Les Pays-Bas, seuls survivants du réseau européen des Coligny au xviie siècle ? 

Au milieu du xvie siècle, les Coligny occupent une place importante sur la scène politique européenne. C’est notamment le cas de l’amiral Gaspard II de Coligny dont l’autorité morale et les fonctions au sein du parti huguenot lui permettent de correspondre directement avec les souverains et princes étrangers. La Saint-Barthélemy en 1572 vient totalement ruiner ce réseau européen, et les Coligny disparaissent peu à peu de la scène et des archives européennes. Au début du xviie siècle, ils ne conservent un lien privilégié qu’avec les Pays-Bas. Il s’agit ici d’étudier le cas particulier de Gaspard III de Châtillon (1584-1646), petit-fils de l’amiral, qui parvient toutefois à conserver des liens étroits avec les Pays-Bas, mais des liens qui ne sont fondés presqu’exclusivement sur des relations amicales avec la famille de Nassau, et non plus sur la notion de solidarité évangélique et la recherche d’une victoire des Évangiles en Europe.

Jan Antonisz van Ravesteyn (atelier de), Portrait de Gaspard III de Coligny, comte de Châtillon sur Loing, ca 1609-1633, huile sur bois, 30 x 24,1 cm.
Jan Antonisz van Ravesteyn (atelier de), Portrait de Gaspard III de Coligny, comte de Châtillon sur Loing, ca 1609-1633, huile sur bois, 30 x 24,1 cm. Rijksmuseum, Amsterdam
Généalogie simplifiée des Coligny (XVIe-XVIIe siècle). Crédit : Nicolas Breton.
Généalogie simplifiée des Coligny (XVIe-XVIIe siècle). Crédit : Nicolas Breton.
Sommaire

Une famille européenne

Pour apprécier les liens qui unissent Gaspard III de Châtillon aux Pays-Bas, il faut tout d’abord rappeler à quel point sa maison s’est investie sur la scène européenne. Gaspard II de Coligny (grand-père de Gaspard III, 1519-1572) et ses deux frères, Odet de Coligny, cardinal de Châtillon (1517-1571), et François d’Andelot (1521-1569), ont été nourris de culture antique par leur précepteur, l’humaniste Nicolas Bérauld (v. 1470-v. 1555). Cette instruction soignée explique le voyage de Coligny et Andelot en Italie en 1546. Au cours des règnes de François Ier et de Henri II, les deux hommes poursuivent leur parcours de l’Europe : l’amiral se rend à Bruxelles en 1556, tandis qu’Andelot effectue plusieurs missions diplomatiques dans l’Empire avant de partir combattre en Écosse. Mais c’est surtout au cours des guerres de Religion que les trois frères développent leur réseau européen : si Andelot mobilise les princes luthériens en 1562 et si Châtillon est dépêché à la cour d’Élisabeth entre 1569 et 1571, c’est surtout la figure de l’amiral qui émerge. En 1562-1563, il échange régulièrement avec la reine d’Angleterre et son Conseil ; en lien avec le prince de Condé, il sonne la mobilisation dans les cantons suisses, et braque finalement son attention vers les Pays-Bas à partir de 1568. Réformés de France et des Pays-Bas unissent leurs efforts contre la très catholique Espagne de Philippe II. D’ailleurs, l’acharnement de l’amiral à obtenir de Charles IX une intervention militaire aux Pays-Bas contre l’Espagne suscite de très fortes tensions au sein du Conseil du roi à l’été 1572. Le massacre de la Saint-Barthélemy vient mettre un terme à ces ambitions. Les enfants de l’amiral – exécuté aux premières heures du 24 août – trouvent refuge à Bâle puis à Berne. Relégués socialement et politiquement, les Coligny n’occupent pas une place prépondérante dans les conflits qui s’ouvrent après 1572, mais peuvent encore capitaliser sur l’aura de l’amiral. Par calcul politique, mais aussi par amitié envers ce dernier, Guillaume de Nassau, prince d’Orange, allié aux huguenots français dans leur lutte contre l’Espagne et qui avait, à ce titre, combattu au cours des premières guerres de Religion avant de devenir stathouder –gouverneur militaire des Pays-Bas –, épouse sa fille, Louise de Coligny, en 1583.

Un lieu de formation militaire

Âgé de 34 ans en 1591, François de Châtillon, fils aîné de l’amiral, meurt. De son union avec Marguerite d’Ailly, il laisse trois garçons et une fille. L’aîné de ces garçons, Henri, effectue sa formation militaire auprès d’Henri de Montmorency, puis du roi Henri IV, avant d’être autorisé à aller combattre en Hollande en 1600. Intégré dans l’armée commandée par Maurice de Nassau, il y fréquente son cousin Frédéric-Henri (fils de Louise de Coligny et de Guillaume d’Orange), avant de trouver la mort sur les remparts d’Ostende en 1601. Ses charges échoient alors à son cadet, Gaspard III, qui lui aussi parfait son instruction en Hollande à partir de 1603. Au cours de ces années de formation, le jeune homme développe une véritable passion pour la poliorcétique. La maîtrise de cet art d’assiéger les villes qu’a perfectionné Maurice de Nassau, lui confère une certaine gloire une fois revenu en France. Maréchal depuis 1622, Gaspard III de Châtillon participe à toutes les campagnes de la guerre de Trente Ans entre 1635 et 1641. Et par trois fois, il s’illustre. D’abord en reprenant Corbie aux Espagnols en octobre 1636, puis en emportant Damvillers dans le duché du Luxembourg l’année suivante et enfin en se rendant maître d’Arras en août 1640. Le maréchal sait donc tirer le meilleur parti de ses années hollandaises et ambitionne une instruction tout aussi soignée pour ses propres enfants : pour les Coligny, les Pays-Bas sont avant tout un haut lieu de formation. En 1632, Gaspard III envoie ses deux fils, Maurice (1618-1644) et Gaspard IV (1620-1649) terminer leurs études à Leyde. Cinq ans plus tard, en 1637, il peut compter sur leur présence pour mener à bien le siège de Damvillers et leur faire comprendre l’essence de la poliorcétique hollandaise. Ainsi les Pays-Bas occupent une place fondamentale dans l’histoire de la formation militaire des Coligny dès la fin du xvie siècle. Mais les Pays-Bas sont aussi une terre d’exil. C’est ainsi que l’on pourrait résumer la mission-exil de Gaspard IV de Coligny en 1644. Converti au catholicisme en 1643, celui-ci s’éprend d’Élisabeth-Angélique de Montmorency-Bouteville, fille du fameux bretteur condamné à mort en 1627. Pour empêcher cette union qu’ils désapprouvent, Gaspard III et son épouse, Anne de Polignac, l’envoient aux Pays-Bas auprès du prince d’Orange. Peine perdue cependant puisque dès son retour en 1645, Gaspard IV enlève et épouse la jeune fille.

Comme François d’Andelot, Gaspard II de Coligny et Odet de Châtillon avant eux, Henri, Gaspard III, Maurice et Gaspard IV voyagent et se forment en Europe ; mais contrairement à eux, ils ne s’engagent pas dans les affaires politiques européennes, et néerlandaises en particulier.

Un non-engagement politique

Fin juillet 1618, Maurice de Nassau fait arrêter le grand-pensionnaire de Hollande, Jan van Oldenbarnevelt. Si des considérations politiques et religieuses motivent cet acte, le roi de France n’y voit qu’une déstabilisation politique, une fissure par laquelle le roi d’Espagne pourrait s’engouffrer pour emporter rapidement une victoire définitive contre les protestants. Or Louis XIII, qui a besoin de cet équilibre pour maintenir son cousin mais néanmoins ennemi à distance, renforce son personnel diplomatique. Envers et contre tout, Nassau et les États généraux – corps constitué de représentants des provinces et qui exerce avec le stathouder le pouvoir politique – restent fermes. Le roi se tourne alors vers celui qui apparaît comme le plus intime du stathouder : Gaspard III. Son fils aîné, né en octobre 1618, n’a-t-il pas reçu le prénom de son parrain, Maurice de Nassau ? Pour la première fois, ce n’est pas une fonction militaire mais diplomatique que le jeune homme de 34 ans se voit confier aux Pays-Bas. Une mission qui est loin d’emporter son enthousiasme. Nombre d’observateurs néerlandais soulignent ses maladresses, et pire, sa mauvaise volonté dans cette affaire. Manifestement, Gaspard III ne s’acquitte de sa charge qu’a minima. Après deux mois de séjour à La Haye, il rentre dans le royaume de France début février 1619 ; Oldenbarnevelt est exécuté le 13 mai suivant.

Pour comprendre ce non-engagement de Gaspard III dans les affaires néerlandaises, il faut avant tout mettre en exergue sa qualité d’homme de guerre ; la négociation, la diplomatie ne font pas partie de son bagage culturel. Mais cet élément ne saurait expliquer à lui seul le contraste entre l’engagement européen de ses père, grand-père et grands-oncles et son propre désintérêt pour les questions politiques européennes. Gaspard III doit davantage être présenté comme le fruit d’une époque et l’héritier d’une mémoire familiale complexe. Ce qui fondait l’investissement européen des Coligny était la recherche de la victoire des Évangiles partout en Europe, combat noyé dans le sang de la Saint-Barthélemy et abandonné par les générations suivantes au profit de la reconnaissance de l’existence légale du culte. Cette politisation du combat réformé, conjuguée à la relégation sociale des Coligny et à la disparition précoce de François de Châtillon en 1591, explique la disparition de cet engagement européen et la dislocation de leur réseau. Depuis le début du xviie siècle, Gaspard III concentre ses efforts sur le seul royaume de France et se soucie seulement d’apparaître comme le plus parfait et loyal sujet du roi afin de reconquérir cette estime dont la monarchie avait si spectaculairement privé sa maison en 1572 ; efforts enfin récompensés le 18 août 1643 lorsque le très jeune Louis XIV élève les Coligny au rang de duc et pair en récompense de leurs services.

Citer cet article

Nicolas Breton , « Les Pays-Bas, seuls survivants du réseau européen des Coligny au xviie siècle ?  », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 03/02/22 , consulté le 06/10/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21734

Bibliographie

Breton, Nicolas, Je les espreuve tous. Itinéraires politiques et engagements religieux des Coligny-Châtillon (mi xve-mi xviie siècle), Genève, Droz, 2020.

Daussy, Hugues, Le parti huguenot (1557-1572). Histoire d’une désillusion, Genève, Droz, 2014.

Martin, Claire, « Protestantisme et diplomatie à l’aube du Grand Siècle : Benjamin Aubery Du Maurier (1566-1636), ambassadeur de Louis XIII à La Haye », Bulletin de la Société de l’histoire du protestantisme français, t. 151-2, 2005, p. 265-297.

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