La médiatisation des questions relatives à la protection de la nature, à la préservation de l’environnement et aux dangers de la pollution n’est pas une chose tout à fait nouvelle lorsqu’elle se développe en Europe au xxe siècle.
Un sujet médiatique précoce
Les défenseurs de la nature ont précocement fonctionné en usant de coups d’éclat destinés à faire connaître leur action. Dès les années 1830-1840 en Grande-Bretagne, le Morning Chronicle et le Times médiatisent largement les études scientifiques sur la pollution des cours d’eau. En France, en 1911 Le Petit Parisien s’associe à la campagne lancée par le Fishing Club en faveur de l’hygiène et de l’assainissement des eaux.
C’est cependant surtout la défense des sites et des paysages qui mobilise une élite intellectuelle trouvant dans les journaux le moyen de gagner l’opinion publique à la cause. Dès 1844, une campagne de presse s’oppose à la construction de lignes de chemin de fer dans la région des Lacs en Grande-Bretagne. En France, sous le Second Empire, les journaux et le monde intellectuel prennent fait et cause pour la forêt de Fontainebleau, facilitant sa transformation en « réserve artistique » en 1861. Deux décennies plus tard, The Times ou la Gazette du Valais relaient les protestations des opposants aux projets d’aménagement dans la région des Lacs ou sur le Cervin. Et les nouvelles associations de défense des sites et des paysages lancent leurs propres périodiques (La revue du Touring Club de France en 1891).
Le sujet des pollutions industrielles profite aussi du développement de la technique photographique et devient un thème important de la presse au tournant du siècle.
Centrée sur des thématiques consensuelles, patrimoniales ou sanitaires, cette médiatisation ne remet pas en cause le système productiviste. Chez les Britanniques, seul le Clarion, représentant très populaire du socialisme utopique et ruraliste lancé en 1891, développe un discours proprement politique sur le sujet. Néanmoins, cette médiatisation nourrit un substrat culturel et sensible qui favorise, à partir des années 1880, l’élaboration d’une véritable grammaire et d’une sociabilité de la contestation et de la veille environnementale dans toute l’Europe.
Le tournant du nucléaire
Au xxe siècle, les photographies aériennes, la vue de l'espace par la mission Apollo 8 en 1968, le cinéma et la télévision accélèrent la prise de conscience de la fragilité de la planète et de sa globalité.
Le développement d’une nouvelle culture politique dans toute l’Europe liée, dès les années 1950, au mouvement pour la paix et au désarmement atomique, ouvre la voie à la contestation du nucléaire civil au cours des décennies suivantes : au Bugey, à Wyhl am Kaisertstuhl, le long du Rhin en Suisse et en France, etc. Transnationale, la contestation antinucléaire favorise la saisie des enjeux environnementaux comme enjeux globaux, comme du reste la médiatisation d’accidents ponctuels (la marée noire provoquée par le naufrage du Torrey Canyon le 18 mars 1967).
La politisation de l’information des années 1970 engendre l’apparition d’une presse de combat et de contestation qui modifie sensiblement la hiérarchie de l’information, alimente une véritable contre-culture et fournit un socle à l'organisation des premiers mouvements écologistes. Partout en Europe ces médias sont quantitativement dominés par des publications associatives à la diffusion alternative et des titres régionalistes. Ainsi en RFA, les deux grandes fédérations écologistes allemandes, le BUND et la BBU ont leurs propres publications. Plus connus, les titres indépendants underground et subversifs, souvent abondamment illustrés de dessins satiriques, se multiplient avec des fortunes variées : quand la presse alternative française disparaît rapidement (La Gueule ouverte en 1980), celle de RFA s’épanouit plutôt après 1985.
La percée électorale des écologistes français aux élections municipales de 1977 stimule le lancement d’un réseau de radios « pirates » vertes dont le but est de diffuser de l’information locale et de retisser le lien social (Radio verte Fessenheim). Mais la fin du monopole d’État et la transformation de la bande FM en espace radiophonique commercial sonnent le glas de cette dynamique hexagonale au milieu des années 1980.
Dans le même temps, le relai a été assuré par l’émergence de rubriques environnementales dans la presse généraliste (Le Monde en 1972), et l’apparition d’émissions de télévision consacrées à « La France défigurée » ou, à la radio, à la qualité de la vie. La profession s’organise donc autour de ces thèmes et la création en 1969, de l’Association des journalistes-écrivains pour la nature et l’environnement (JNE), reliée à la Fédération française des sociétés de protection de la nature, constitue le premier maillon d’une soudure entre engagement et professionnalisme.
La création des ministères, celle des partis et des premières listes écologistes aux élections européennes encouragent les rédactions écologistes à ouvrir leurs colonnes à l’actualité européenne et internationale. Quant aux acteurs de la contestation écologiste, ils prennent acte de la nécessité de parler aux médias et de s’appuyer sur les journalistes concernés.
Tandis que la presse écologiste militante adopte les codes de la presse magazine au cours des années 1990 et 2000, privilégiant les thèmes pratiques au détriment des questions politiques, la contestation migre vers internet, suscitant l’émergence de formes d’expression coopérative, citoyenne ou libertaire. Enfin, les années 2010 sont le temps du sacre de l’actualité environnementale et d’une repolitisation de son traitement médiatique.
La mutation du système informatif
Au sein du discours médiatique traitant de l’environnement, des valeurs communes ont émergé dès le xixe siècle : critique du productivisme et de la croissance à n’importe quel prix, justice sociale, solidarité globale et démocratie participative. Ces principes informent la conception même que les titres contestataires se font de l’éthique journalistique et des règles de l’information. Ainsi, l’hebdomadaire britannique The Clarion, imagine un « nouveau journalisme », qui dirait la vérité au peuple en maniant l’invective et l’humour, idéal qu’incarne la presse alternative européenne des années 1970. Faits par des non-professionnels, ces journaux ne se contentent pas de subir le poids de l’événement mais entendent le créer. En pratiquant une communication horizontale fondée sur l’interaction avec le lectorat, en critiquant les « médias dominants », ils produisent de nouvelles formes médiatiques et de nouvelles modalités informatives, inventant entre autres choses le journalisme de solution et/ou de proposition.
Adeptes d’une communication plus verticale (du haut vers le bas), la presse généraliste et la télévision n’en subissent pas moins l’influence de ce modèle médiatique alternatif dont elles adoptent l’habitude du dialogue avec les lecteurs et la tonalité critique.
En facilitant la structuration des mouvements grâce à ses réseaux d’information et en instaurant un dialogue entre les territoires locaux et nationaux, la presse écologiste et/ou environnementaliste s’est imposée comme un des principaux acteurs du mouvement écologiste. Proposant un projet politique alternatif, elle a mis en question les formations politiques classiques et le cadre de l’action politique traditionnelle, élargissant ainsi l’horizon de l’écologie scientifique au politique et ouvrant le débat politique aux questions d’environnement. Symétriquement, la structuration politique de l’écologie autour du parti Grünen et du arti Vert au début des années 1980 a contribué à renforcer le discours politique et l’argumentaire scientifique ou technique de la presse écologiste, même si le ton fut volontiers ludique ou combatif.
De cette histoire en chantier, on retiendra que la rencontre vieille de deux siècles entre les préoccupations environnementales et les médias au sein de l’espace européen a construit un espace discursif nouveau, qu’on le nomme aujourd’hui crise climatique ou effondrement de la biodiversité.