Dans un article paru dans la Revue des Deux Mondes au début du xxe siècle, le journaliste Jacques Lacour-Gayet s’émerveille de l’essor de l’industrie minière en Tunisie. Décrivant le « va-et-vient de wagonnets » extrayant le minerai de fer d’une « montagne en démolition », il s’enthousiasme des milliers de tonnes déplacés en direction du nouveau port de La Goulette prêts à satisfaire les appétits insatiables des maîtres des forges européens. En quelques lignes, l’auteur aborde certaines des questions environnementales posées par l’essor de cette activité. La mise en place de nouveaux systèmes techniques y est décrite par le menu de même que leur inscription visible dans la transformation des paysages. En dépit de la tonalité exaltée de l’article, témoin de la foi presque inébranlable dans le progrès en vogue dans les milieux industriels, Jacques Lacour-Gayet note la présence « d’une poussière rouge [qui] embue l’atmosphère ». Le lecteur contemporain perçoit au travers de ces quelques mots les enjeux sanitaires dramatiques qui se nouent autour de cette poussière et de l’atmosphère embuée et inquiète dans laquelle se déploie l’activité des mineurs.
Pour la période contemporaine, ces thématiques de l’histoire environnementale des mines ont été explorées avec une prédilection pour les terrains européens et américains. En revanche, sur les mines en situation coloniale, l’historienne Marion Fontaine note que les travaux sont « encore rares ».
L’essor de nouveaux systèmes techniques
Les mines constituent les vecteurs de l’introduction de nouveaux systèmes techniques en situation coloniale. Dans le cadre de l’industrialisation du xixe siècle, les premières lignes de chemin de fer accompagnent la mise en exploitation des mines dont ils constituent souvent une condition nécessaire à la rentabilité. En Inde, la première ligne de chemin de fer transporte les pierres de granit extraites d’une carrière jusqu’à la destination de Madras où elles servent de matériaux de construction. Dans les décennies suivantes, l’extension du charbon et celle du rail vont de pair. Si la première mine de charbon est ouverte en 1820, le développement de l’East Indian Railway lui donne une véritable impulsion à partir de 1854. La chronologie n’est guère différente de celle de l’Algérie où la première ligne ferroviaire relie les mines de fer de Karézas au fleuve de la Seybouse, par lequel le minerai est ensuite acheminé par barge jusqu’au port de Bône pour y être transbordé sur des navires l’exportant vers la France ou l’Europe. Extraction minière, développement ferroviaire et portuaire fonctionnent de concert dans la transformation des territoires.
La transformation des territoires et des écosystèmes
L’activité minière déplace littéralement des montagnes. L’apparition des mines à ciel ouvert à la fin du xixe siècle découpe des pans entiers de montagne comme au djebel Djerissa décrit par Jacques Lacour-Gayet. L’invention de la dynamite Nobel en 1867 favorise cette technique d’extraction par rasage de montagne. En Nouvelle-Calédonie, la découverte du nickel bouleverse le territoire comme ses populations. Entre 1880 et 1990, un demi-milliard de tonnes de roches sont extraites pour en retirer 2,5 millions de tonnes de nickel. L’activité charge les cours d’eau de limons asphyxiant les poissons et empêchant la navigation. Lors d’inondations, les rejets de graviers sur les terres de plaine ruinent l’agriculture. En Algérie, la mine de Mokta el Hadid ne se contente pas de creuser la montagne mais ses propriétaires font également assécher un lac de 14 000 ha. La présence de ce lac nuisait au creusement des galeries en profondeur trop régulièrement inondée et suscitait des vagues de fièvre parfois mortelles du fait de la présence de moustiques. L’étude du paludisme trouve sur cet espace minier et marécageux un terrain de prédilection. Alphonse Laveran y fit notamment des observations qui lui valurent le prix Nobel de médecine en 1907. Les activités de pêche et de chasse d’un gibier d’eau qui préexistent à la mise en exploitation de la mine, périclitent alors rapidement. La mine dévore son territoire et affecte la santé des populations qui vivent dans ses environs ou travaillent en son sein.
Santé et environnements miniers en situation coloniale
Les travailleurs et travailleuses qui y trouvent un gagne-pain sont diversement affectés par l’environnement minier. Les conditions de travail sont pénibles et des maladies s’y développent. Dans toutes les mines, les affections pulmonaires comme la silicose engendrée par la respiration de poussières, sont les maladies les plus répandues. Dans les mines de mercure ou les mines d’or ayant recours au mercure en vue de son traitement, les mineurs contractent des affections rénales ou neuronales qui peuvent être mortelles. Dans l’empire espagnole de l’époque moderne, les mines de mercure de Huancavelica exploitées notamment pour traiter l’or de Potosi sont décrites par Kris Lane comme un lieu de travail à la mortalité élevée.
Les mineurs en situation coloniale sont toutefois loin d’être les seuls à souffrir de ces maladies. Dans l’ouvrage coordonné par Paul-André Rosental, Silicosis : A World History, les auteurs témoignent du caractère transnational des affections liées à la silice chez les mineurs. Les spécificités coloniales n’en sont pas moins présentes dans les dispositifs politiques et sanitaires mis en place pour le traitement des maladies. Randall Packard l’a mis en lumière à propos de la tuberculose. Dans White Plague, Black Labor, l’historien montre que si la tuberculose est une affection typique de l’industrialisation, la perpétuation de la maladie à un taux élevé parmi les mineurs noirs d’Afrique du Sud s’explique par le maintien de conditions de travail particulièrement pénibles pour ces derniers. Cette différenciation au travail est renforcée par l’exclusion des populations noires de certains dispositifs sanitaires dans la période coloniale comme sous l’Union sud-africaine à partir de 1910. Le même schéma s’observe à propos de la silicose qui peut d’ailleurs être le prélude à une tuberculose. En 1911, le Miners’ Phthisis Act (la silicose est alors connue sous le nom de phtisie du mineur) distingue ainsi les compensations financières accordées aux deux catégories de travailleurs. Les dispositifs de soins divergent également. Si les mineurs blancs ont accès à des consultations réalisées par des médecins spécialistes et ont droit à un examen clinique incluant une radiographie pulmonaire, les mineurs noirs doivent quant à eux consulter des médecins généralistes récemment diplômés et surchargés de patients. Le diagnostic de la silicose ne donne pas droit aux mêmes traitements. Les sanatoriums accueillent les blancs, les ouvriers migrants noirs, souvent recrutés dans les colonies autour de l’Afrique du Sud, sont rapatriés. La situation coloniale produit un traitement différencié de la main-d’œuvre se traduisant par un taux de mortalité nettement supérieur chez les mineurs noirs.