Le Code forestier de 1827 : définir les usages légitimes de la forêt

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En 1827, le roi Charles X promulgue le Code forestier français, une loi de 225 articles qui uniformise les réglementations forestières à l’échelle de tout le territoire national. L’objectif de l’État est d’imposer l’autorité de son administration forestière, alors en pleine expansion, sur les espaces forestiers encore contrôlés par les communautés locales, afin d’y restreindre drastiquement les usages populaires de la forêt. En revanche, dans les forêts privées, le législateur laisse le champ libre aux industriels qui exploitent la ressource en bois, moteur de l’industrialisation du pays. Face aux perturbations engendrées par les nouvelles réglementations, des révoltes éclatent et les habitants se soulèvent pour défendre leurs droits d’accès à la forêt et à ses ressources.

Illustration 2 : « Costume des Demoiselles », Archives départementales de l’Ariège, 4Fi42, s.d.
Illustration 2 : « Costume des Demoiselles », Archives départementales de l’Ariège, 4Fi42, s.d.
Illustration 1 : Code forestier, suivi de l’ordonnance réglementaire, édition revue par M. Baudrillart, Paris, Arthus Bertrand, 1827.
Illustration 1 : Code forestier, suivi de l’ordonnance réglementaire, édition revue par M. Baudrillart, Paris, Arthus Bertrand, 1827.
Sommaire

Dans les années 1820, un vaste débat s’ouvre au sein des assemblées législatives sur l’avenir des forêts françaises, soumises à une pression accrue lors de la Révolution française et des guerres napoléoniennes. Faut-il les laisser à la disposition des particuliers, ou l’État doit-il intervenir pour en réglementer les usages ? Le Code forestier, promulgué le 31 juillet 1827 par le roi Charles X, et l’ordonnance règlementaire du 1er août qui en assure l’exécution, consacrent un système différencié (ill. 1) : dans les forêts publiques, les prérogatives des forestiers de l’État sont renforcées pour leur donner les moyens de faire respecter le nouveau Code, tandis que dans les forêts privées, les propriétaires conservent pratiquement toute leur autorité.

L’État royal et les industriels à la conquête des forêts françaises

Le Code forestier témoigne de l’alliance entre l’État royal et les grands propriétaires fonciers. Tous partagent un même objectif : reprendre le contrôle des espaces forestiers aux populations locales, afin d’optimiser l’exploitation de la ressource en bois.

Pour l’État, l’enjeu est avant tout d’imposer son autorité sur les forêts de montagne (Pyrénées, Alpes, Massif central, Provence) qui échappent encore largement au pouvoir central. Jusque-là, l’utilisation des espaces forestiers y était restée négociée entre les communautés villageoises et les élites locales. Le Code forestier tente de mettre fin aux particularismes locaux, en uniformisant les règlementations forestières. Le premier article classe les forêts françaises selon le régime de propriété, distinguant les forêts privées des forêts domaniales. Dans ces dernières, qui appartiennent à l’État, les 225 articles du Code forestier s’appliquent pleinement, sous l’autorité du service forestier de l’État.

L’administration des Eaux et Forêts est alors en pleine expansion. En 1824, Charles X a créé l’École royale forestière de Nancy pour former des administrateurs aux principes de la sylviculture scientifique, et les gardes forestiers sont chargés de mettre ces principes en application sur le terrain. Ils doivent parcourir les forêts domaniales et communales pour encadrer l’exploitation du bois et « dresser procès-verbal de tous les délits ou contraventions qui y auront été commis ». Ce sont leurs chefs (inspecteurs, sous-inspecteurs ou gardes généraux) qui accordent aux individus l’autorisation d’exploiter les forêts domaniales ou d’y installer des fourneaux à charbon ou des loges et ateliers.

En revanche, l’imposition de nouvelles règlementations forestières ne se fait pas contre les industriels. Le Code accorde « tous les droits résultant de la propriété » aux possesseurs de forêts particulières. S’ils doivent obtenir l’autorisation du service forestier pour défricher leurs parcelles, l’administration adopte une politique de grande tolérance pour ne pas entraver l’industrialisation. Dans les Pyrénées par exemple, le développement, depuis le xviiie siècle, des forges catalanes, qui fabriquent du fer par fusion du minerai au charbon de bois, entraîne des défrichements importants. 

Les usages populaires des forêts, cible du Code forestier

Dès lors, les restrictions posées par le Code forestier concernent avant tout les droits d’usage des communautés locales, hérités de l’Ancien Régime. Dans les territoires de montagne, ceux-ci s’inscrivaient au sein d’un système économique complexe, adapté aux spécificités d’un environnement peu propice à l’agriculture. Pour compenser la rareté des terres cultivables, les populations utilisaient notamment les forêts comme des espaces de pâturage pour le bétail. Elles y puisaient également, comme ailleurs, du bois et d’autres matières pour se chauffer, alimenter les fours, ou encore fabriquer divers objets, voire construire des bâtiments. En 1827, ces droits d’usage persistaient dans la plupart des régions de montagne.

Le Code forestier les attaque frontalement. Seuls les droits reconnus « soit par des actes du Gouvernement, soit par des jugemen[t]s ou arrêts définitifs », c’est-à-dire par des textes écrits, peuvent subsister. Or, la plupart des droits d’usage relèvent de la coutume et rares sont ceux qui ont été mis par écrit. De plus, l’exercice de ces droits est désormais soumis à l’encadrement du service forestier. Pour le pâturage par exemple, c’est à l’agent forestier de déterminer, chaque année, le nombre de bêtes autorisées à entrer dans les forêts domaniales de sa circonscription. Enfin, toute nouvelle concession de droits d’usage est désormais interdite.

Pour justifier cette offensive, l’État s’appuie sur la science sylvicole, alors en plein essor. Les forestiers affirment qu’en broutant les jeunes arbustes en forêt, le bétail des populations empêcherait la régénération des arbres, et menacerait donc l’existence des forêts. Or, ils attribuent à la forêt un rôle clé dans l’habitabilité d’un territoire. Les arbres permettraient de lutter contre l’érosion des sols, de prévenir les inondations, de réguler les températures et le climat, d’attirer les pluies ou encore d’assainir l’air respiré par les humains. C’est donc pour protéger ces espaces que le service forestier devrait y exercer son autorité. Ce discours oppose ainsi l’action rationnelle d’un État servant l’intérêt général, éclairé par la science moderne, à l’archaïsme des droits d’usage populaires. Pourtant, entre 1830 et 1870, l’État, en quête de recettes, cède près de 200 000 hectares de forêts domaniales à des particuliers, qui les défrichent. 

Un Code massivement contesté par les populations locales

Dès la fin des années 1820, l’État envoie ses forestiers dans les forêts de montagne pour y appliquer le Code forestier, mais les populations rejettent massivement l’intrusion des agents de l’État. L’exemple le plus connu est celui de la « guerre des Demoiselles » (ill. 2). Dans les Pyrénées ariégeoises, alors que les maîtres des forges catalanes exercent déjà une pression croissante sur les forêts, les gardes forestiers commencent à verbaliser les habitants, conformément au nouveau Code. À partir du printemps 1829, les attaques de gardes, mais également d’ouvriers travaillant en forêt pour les maîtres des forges, se multiplient. De jeunes hommes habitant des villages éparpillés dans différentes vallées se regroupent, se déguisent et font un usage contrôlé de la violence (embuscades, jets de pierres, incendies de cabanes, mais jamais assassinats) pour chasser ceux qui cherchent à les priver des ressources de la forêt. Ce faisant, ils tentent non seulement de limiter la détérioration de leurs conditions de vie, menacée par les industriels qui abattent de plus en plus de bois pour alimenter leurs forges, mais ils défendent également une identité locale mise à mal par les agents de l’État, ces derniers entendant mettre fin aux usages populaires de la forêt. 

Sous l’Ancien Régime, avant que l’État n’impose progressivement le principe de la primogéniture masculine, l’aîné(e) héritait dans certaines communautés pyrénéennes, qu’il s’agisse d’un homme ou d’une femme. En se déguisant en femmes pour chasser les représentants de ce même État, les « demoiselles » cherchent certes à échapper à la répression, mais revendiquent aussi le retour à un passé mythifié, dans lequel les femmes auraient eu davantage de pouvoir. Ils programment aussi leurs attaques en fonction de la temporalité du carnaval, lié au rythme des saisons agricoles, et en reprenant les codes du charivari, rituel qui relève d’une forme de justice populaire. Ils mènent enfin une véritable guérilla de reconquête des espaces forestiers, mettant à profit leur connaissance de l’environnement pour échapper aux poursuites. Les insurgés revendiquent donc avec force leur capacité propre à réguler les relations entre les hommes, les femmes et la forêt, fondamentalement à l’opposé de celles que les forestiers, les industriels et l’État cherchent à imposer depuis le centre.

Pendant des décennies, l’ambition de l’État est mise à mal par les résistances des populations locales. Cependant, dans le dernier tiers du xixe siècle, l’État et son service forestier finissent par l’emporter. Ce faisant, ce sont tout un ensemble de représentations et de pratiques propres aux populations locales qui disparaissent.

Citer cet article

Jonas Matheron , « Le Code forestier de 1827 : définir les usages légitimes de la forêt », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 18/10/24 , consulté le 14/11/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22448

Bibliographie

Buttoud, Gérard, « L’État forestier : politique et administration des forêts dans l’histoire française contemporaine », thèse d’histoire, Université Nancy II, 1983.

Chalvet, Martine, Une histoire de la forêt, Paris, Seuil, 2022 [2011].

Corvol, Andrée, L’homme aux bois : histoire des relations de l’homme et de la forêt, xviie-xxe siècle, Paris, Fayard, 1987.

Sahlins, Peter, Forest Rites: the War of the Demoiselles in Nineteenth-Century France, Cambridge, Londres, Harvard University Press, 1994.

Soulet, Jean-François, Les Pyrénées au xixe siècle, Toulouse, Eché, 1987.

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