Si les missions assumées par les directeurs ne sont pas nouvelles, la formalisation de la fonction de chef d’établissement peut être mise en lien avec la construction de systèmes scolaires nationaux dans les pays européens, notamment à partir de la fin du xixe siècle. L’augmentation du nombre d’établissements et leur croissance a pu rendre nécessaire la nomination d’une personne pouvant consacrer une part importante de son temps aux questions de gestion. À cet élément organisationnel s’ajoute un cadre institutionnel : la naissance de systèmes nationaux d’éducation est advenue par la prise en charge de l’éducation par les États. Ces derniers ont défini le cadre d’exercice des écoles, celui de la formation de leurs agents et celui de leur contrôle. Un des moyens retenus pour établir ce contrôle a été la construction d’une chaîne hiérarchique dans laquelle les directeurs d’établissement jouent un rôle de maillon entre échelons central et local.
Les missions de direction
Pour les établissements publics, les réformes du xixe siècle confirment la spécificité du rôle de chef d’établissement scolaire. A la tête des lycées et collèges sont nommés, dès 1802, respectivement des proviseurs et principaux qui sont les supérieurs hiérarchiques des personnels de leur établissement. Ils doivent assumer une fonction d’administrateur en gérant l’établissement avec l’aide du censeur, et en devant appliquer les directives venant de l’échelon central. Les textes réglementaires leur attribuent également un rôle pédagogique, étant notamment incités à faire évoluer les méthodes d’enseignement. Dans le contexte de concurrence entre secondaire privé et public du xixe siècle, le succès à l’échelle locale, mesurée par le taux de fréquentation, est un indicateur de réussite pour le chef d’établissement, ce qui implique qu’il parvienne à être apprécié, ou tout au moins reconnu, par les notabilités locales. La mise en place d’un bureau d’administration pour chaque collège ou lycée, dans lequel siègent des notables, facilite cette bonne intégration. L’importance de la fonction de direction est rendue visible par la construction d’une logique de carrière : les proviseurs et principaux français sont membres de l’Université, et peuvent aspirer à une promotion dans un établissement plus important si leur gestion est saluée. Ils reçoivent un traitement qui les placent au-dessus des enseignants – même s’il existe un écart non négligeable entre proviseur et principal.
Concernant les écoles primaires, le rôle de direction ne renvoie pas aux mêmes enjeux. À l’échelle de l’Europe, la plupart des écoles ne comprennent qu’un ou deux enseignants, notamment au début du xixe siècle, période d’apogée de la méthode mutuelle et de prépondérance des écoles rurales. À mesure que se diffuse la méthode simultanée et que l’Europe s’urbanise, les équipes d’enseignants peuvent s’agrandir dans les écoles les plus fréquentées et requérir la définition d’un rôle de direction. Après une expérimentation dans le département de la Seine, la fonction de directeur d’école est définie en France par la loi Goblet en 1883. Elle est assumée par l’un des enseignants de l’école mais il s’agit davantage d’une mission supplémentaire que d’une profession à part entière. Les directeurs demeurent des enseignants, ce qui peut générer des tensions au sein des équipes. La logique de construction d’une carrière spécifique ne se retrouve pas pour l’enseignement primaire. Il existe donc un fort contraste entre la direction d’établissements selon les degrés concernés du primaire ou du secondaire.
Entre progression de carrière et représentations péjoratives : profils et perceptions
Enseignement et direction ne sont pas à dissocier. Dans l’enseignement secondaire du xixe siècle, les chefs d’établissement sont d’anciens enseignants. Il n’y a pas d’accès direct à la fonction. Cette configuration française est représentative des pays européens et se retrouve au moins en Grande-Bretagne et en Suède. En France, l’accès au corps de direction s’est ouvert à d’autres fonctions de l’éducation, soit de façon ponctuelle, comme celles de censeur, soit de façon pérenne, comme pour les conseillers principaux d’éducation à partir de 1988.
Ce choix de poursuivre une carrière dans l’administration est cependant fréquemment perçu comme une fuite de l’enseignement après des expériences malheureuses. Les chefs d’établissement sont dépeints par leurs anciens collègues comme des traitres, avides d’une forme de pouvoir, sans considération pour l’activité d’enseignement. Du côté de l’administration, des critères de sélection et des contenus de formation ont progressivement été établis pour tenter de trouver le profil réunissant toutes les qualités requises.
Ces exigences ont des effets sur d’autres aspects des profils des directeurs : les fonctions de direction ont été majoritairement occupées par des hommes. Si, pour la France, la création des lycées féminins en 1880 a bien engendré celle de fonction de directrices de lycée (on note le fait que le terme de proviseur n’a pas été retenu), les directions d’école dès la fin du xixe siècle ont majoritairement été occupées par des hommes à un moment où le corps des instituteurs se féminisait. Les rapports d’inspection constituent un autre point d’entrée dans la dimension genrée de la fonction : les caractéristiques attendues pour une direction efficace ne sont pas les mêmes entre hommes et femmes. Par exemple, on attend une gestion maternelle voire maternante des directrices, leur insertion locale n’est pas autant mise en avant que pour les hommes.
Des directions autonomes ou des relais des administrations centrales ?
L’étude du quotidien de l’exercice de la fonction permet de souligner la variété des missions de direction, d’autant plus marquée dans le contexte de la massification scolaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et des évolutions des politiques publiques depuis les années 1980, autour du nouveau management public.
Les missions de gestion des directeurs d’institutions scolaires se sont accrues et nécessitent la maîtrise d’un savoir plus technique. Pour le secondaire, cette évolution s’est accompagnée du passage d’un recrutement sur liste d’aptitude à un concours interne en 1988. En outre, depuis 2001, les personnels de direction peuvent provenir d’autres professions hors éducation.
Dans ce contexte, il ne faut pas les considérer uniquement comme un relai de l’administration centrale. Connaissant les enjeux éducatifs à l’échelle locale, étant en contact avec les familles des élèves, les directeurs jouent un rôle de traduction des règlements et injonctions venant de l’échelon central. Outre la variété des missions de direction d’établissements scolaires, le rôle d’interface entre différents mondes caractérise fortement ce corps professionnel. Les évolutions réglementaires de la fonction de chef d’établissement depuis la seconde moitié du xxe siècle accentuent ce positionnement, pour institutionnaliser une identité d’encadrant intermédiaire, chargé de coordination et de pilotage. Ces enjeux se retrouvent aujourd’hui dans les tensions autour de l’évolution du statut de directeur d’école.