Une longue période de stabilité sous la Troisième République
Si elle réalise une œuvre fondamentale dans l’Instruction publique, la Troisième république ne change pratiquement rien aux attributions du recteur si ce n’est pour renforcer son rôle d’homme-orchestre dans l’enseignement supérieur. L’analyse des cursus professionnels des 114 recteurs de la période confirme la domination exclusive du recrutement au sein de l’Instruction publique, mais aussi la domination des enseignants du supérieur (65,7%). Le temps de l’accès à la fonction pour des proviseurs chevronnés ou d’anciens inspecteurs d’académie est révolu : c’est désormais la figure de l’ancien doyen de faculté qui s’impose. La grande stabilité de la fonction permet à certains de se créer de véritables « règnes ». Dès lors, ces recteurs quasi-inamovibles sont autant, sinon plus, les défenseurs de leur petite patrie académique auprès du ministère que les représentants du ministre en province.
Les recteurs jouent un rôle majeur dans le développement de l’enseignement secondaire, inspectant souvent les établissements et les enseignants, veillant à la bonne marche des études et des examens, faisant appliquer au mieux les réformes demandées par les ministres. Ils développent le réseau des établissements secondaires féminins nés de la loi Camille Sée (1880). Le recteur d’académie devient, à partir de la loi du 10 juillet 1896 qui restaure les universités en France, le président de l’université de son ressort académique et il le demeure jusqu’à la loi Faure de novembre 1968. « Couronné » par la présidence du conseil de l’université, il joue un rôle majeur d’impulseur et d’intermédiaire. Symbole évident d’une tutelle du pouvoir central, il n’est cependant pas uniquement cet œil de Paris, surveillant général de la vie universitaire. Ancien enseignant de faculté, installé à la tête de son académie pour de nombreuses années, à l’écoute des projets des enseignants, il tente d’y répondre en multipliant les contacts personnels auprès des élites régionales et du ministère.
Un élargissement des prérogatives après la Libération
Après l’épisode délicat de la Seconde Guerre mondiale et du Régime de Vichy, la fonction rectorale retrouve sa stabilité. Les attributions du recteur sont renforcées par les ordonnances du 20 novembre 1944 et du 9 juillet 1945, puis par la circulaire du 24 avril 1946 qui lui restituent les attributions que la loi du 14 juin 1854 avait transférées aux préfets concernant l’enseignement primaire. Ils retrouvent alors un pouvoir certain de nomination et de contrôle sur le premier degré. Le recteur conserve dans le même temps l’ensemble de ses prérogatives sur les enseignements secondaire et supérieur. Par l’article 30 de la Constitution de 1946, les recteurs d’université sont nommés par le président de la République en conseil des ministres. Leur existence est ainsi constitutionnalisée, ce qui est confirmé par la constitution de 1958 qui modifie l’appellation erronée de « recteurs d’université » par celle, plus juste, de « recteurs d’académie ».
Le recteur voit ses missions s’alourdir progressivement par l’explosion des effectifs d’élèves, d’étudiants et d’enseignants, conséquence à la fois du Baby Boom et de la démocratisation des études secondaires puis supérieures après 1955-1960. Il devient un gestionnaire de services dont le travail repose sur des équipes nombreuses. La complexification s’accroit également avec l’apparition de nouveaux partenaires, en liaison avec la politique de régionalisation lancée à partir de 1959. Le décret du 14 mars 1964 créant les préfets de région prévoit un haut représentant de l’État, tandis qu’on redéfinit le découpage de certaines académies pour les faire correspondre aux circonscriptions d’action régionales. Les mesures progressives de déconcentration, qui transfèrent au niveau académique des compétences jusque-là concentrées dans les bureaux ministériels de l’Éducation nationale, alourdissent aussi les missions du recteur. C’est ce qui explique, en partie, l’arrivée massive des professeurs de droit dans la fonction. Le recteur demeure cependant un notable universitaire qui reste assez longuement à la tête de son académie, pratiquement inamovible. Guy Debeyre (1911-1998) demeure ainsi à la tête de l’académie de Lille de 1955 à 1972 [Ill.1].
Depuis 1968 : une mission administrative temporaire pour managers de l’Éducation nationale
La fin des années soixante marque un tournant. Le ministre Alain Peyrefitte rappelle en décembre 1967 qu’un recteur n’est pas un « mandarin » embrassant jusqu’à la retraite une carrière de haut fonctionnaire. Les événements de mai-juin 1968 portent également un coup sérieux à la fonction rectorale. La Loi d’Orientation sur l’Enseignement Supérieur du 12 novembre 1968 transforme en profondeur les structures universitaires. C’est désormais un président élu par ses pairs, et non plus le recteur, qui dirige le nouveau conseil d’administration de l’Université, le recteur ne conservant qu’un rôle de coordination des enseignements en devenant le chancelier des Universités qui exerce un contrôle et une tutelle administrative et financière. La loi Savary du 26 janvier 1984, tout comme la loi « Libertés et Responsabilités des Universités (LRU) du 10 août 2007, viennent confirmer cette répartition des pouvoirs. En qualité de chancelier des universités, le recteur assure la coordination des enseignements supérieurs en région, conserve la responsabilité directe de l’enseignement supérieur en lycée (CPGE, BTS) et met en place en les contrôlant l’ensemble des dispositifs d’inscription des nouveaux bacheliers.
Depuis les années 1970, la fonction a pris une dimension politique, les équipes rectorales se renouvelant le plus souvent avec les changements de majorité. Le recteur est un « outil politique », envoyé en mission temporaire dans une académie et chargé d’y expliquer et d’y appliquer la politique éducative du gouvernement. La politique de déconcentration des années 1960 puis de décentralisation, à partir de 1982-1983, complexifient ses missions par la multiplication des compétences et des partenaires. La loi du 22 juillet 1983, modifiée par la loi du 25 janvier 1985, constitue le texte fondamental de cette décentralisation qui met en place un système de compétences partagées entre la commune (le primaire), le département (les collèges) et la région (les lycées), l’État, représenté par le recteur, conservant un certain nombre d’attributions majeures.
Au début du xxie siècle, la déconcentration est renforcée, confiant aux recteurs de nouvelles attributions. Dans le même temps, la hiérarchie des académies est réorganisée pour tenir compte de la nouvelle carte des grandes régions (lois du 16 janvier et du 7 août 2015). Le recteur de région académique est l’interlocuteur unique du préfet de région et du président du conseil régional, doté également de davantage de pouvoirs. Comme le note le rapport de 2018, cette géographie à échelles multiples entraîne une « débauche d’énergie pour un fonctionnement imparfait » (p. 2). En 2019, sept nouveaux recteurs délégués à l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation (ESRI) sont nommés dans sept régions académiques pour être les interlocuteurs privilégiés des universités, des écoles supérieures et des organismes de recherche. On note également une volonté ministérielle d’ouvrir le recrutement à d’autres milieux socio-professionnels que celui des professeurs d’université avec le décret du 29 juillet 2010 qui n’oblige plus d’être titulaire de la thèse (devenue habilitation à diriger les recherches), dans la limite de 40% des postes. La dernière évolution est celle d’une féminisation accentuée avec l’adoption du principe de parité. Rappelons que la première femme rectrice, Alice Saunié-Seïté, est nommée en 1973 soit 165 ans après les premières nominations de 1808. Sur les 30 recteurs d’académie, on compte en 2023 quinze femmes et quinze hommes, en ajoutant le recteur du Centre national d’éducation à distance (CNED) qui est un homme.