La création des recteurs d’académie en France au xixe siècle

Entre réalités scolaires locales et politiques éducatives nationales 

S’il existe déjà un recteur sous l’Ancien Régime, professeur de faculté, élu pour un temps bref à la tête d’une université, si le terme de recteur est aussi utilisé comme synonyme de prêtre d’une paroisse dans l’Ouest de la France, le recteur d’académie est une création de l’époque contemporaine. C’est un administrateur à qui l’État confie la gestion des affaires scolaires et universitaires. Plusieurs fois menacée de suppression, la fonction rectorale existe toujours 216 ans après sa création de 1808.

L’habit de recteur d’académie (site Internet libre de droit)
L’habit de recteur d’académie (site Internet libre de droit)
Sommaire

Une création napoléonienne de 1808

Le recteur d’académie tel qu’il apparaît dans les décrets constitutifs de l’Université impériale du 17 mars 1808, est un haut fonctionnaire responsable d’une académie, c’est à dire d’un territoire regroupant plusieurs départements, circonscription administrative propre à l’Instruction publique. Sa création suit de peu la loi fondamentale du 10 mai 1806 qui crée l’Université impériale affirmant un théorique « monopole de l’État » sur l’enseignement. Aucun établissement scolaire ne peut exister en dehors d’elle et tous les enseignants sont obligatoirement membres de cette corporation publique. Le recteur met en œuvre et contrôle la politique scolaire et universitaire conformément aux directives du Grand-Maître, tout en tentant d’adapter ces décisions éducatives au terrain local. Dotés de peu de moyens matériels et humains pendant des décennies (un très modeste secrétariat), le recteur doit lutter pour imposer son autorité, face aux préfets, aux évêques et aux notables locaux. Peu à peu, il affirme les prérogatives de l’État, ses règlements, son organisation. Les recteurs napoléoniens, recrutés dans l’Instruction publique mais aussi dans le monde juridique et administratif, pas forcément dotés du doctorat, donnent la priorité au secondaire et tentent de développer les lycées, fondés en 1802, surveillant le personnel et les élèves. Dans le supérieur, ils mettent en place les facultés nées du décret du 17 mars 1808. 

Une fonction conservée par la monarchie

La monarchie restaurée, après avoir pensé à supprimer la fonction, comprend l’intérêt de la conserver à son service. Les titulaires sont renouvelés pour être conformes au nouveau profil politique exigé, mais le recteur apparaît comme un rouage essentiel de l’application dans les académies, des consignes ministérielles. De 1815 à 1848, les recteurs sont d’abord chargés du développement de l’enseignement primaire (ordonnance du 29 février 1816 mais surtout loi Guizot du 28 juin 1833), de la création des écoles normales de formation des maîtres et de la dynamisation des lycées et collèges. S’il a parfois à ses côtés un inspecteur d’académie, il dispose à partir de 1835 d’inspecteurs primaires. L’enseignement supérieur, par ses différentes facultés, est encore peu développé sauf à Paris. 

La Révolution de février 1848 ne s’en prend pas à la fonction rectorale, même si elle modifie la carte des académies et les profils des titulaires. Hippolyte Carnot demande aux cadres de l’Instruction publique mais aussi aux enseignants de soutenir la République en se portant candidat lors des premières élections au suffrage universel masculin mais aussi en « éclairant » les masses. La démission de Carnot (juillet 1848), la victoire de Louis-Napoléon Bonaparte aux présidentielles de décembre 1848 puis celle du parti de l’Ordre aux législatives de février 1849, changent la donne. Le camp conservateur trouve dans les enseignants de faciles boucs-émissaires responsables du développement des idées subversives qui a entraîné la Révolution de 1848.

Une réaffirmation des prérogatives rectorales après 1854

La loi Falloux du 15 mars 1850 atteint fortement le prestige de la fonction rectorale qui est départementalisée (c’est la période des « petits recteurs »). Les recteurs ne sont pas choisis exclusivement parmi les membres de l’enseignement public. Ils doivent avoir le grade de licencié ou dix années d’exercice comme inspecteurs d’académie, proviseurs, censeurs, chefs ou professeurs des classes supérieures dans un établissement public ou libre. Les 86 recteurs doivent se transformer en petits préfets, attentifs à ce que les membres de l’enseignement ne troublent pas la morale publique. 

Si Hippolyte Fortoul est bien conscient que l’École doit œuvrer à consolider les pouvoirs du Prince impérial et contribuer à la diffusion des valeurs chrétiennes, il est aussi profondément attaché à la défense d’un système scolaire public et à la limitation de l’influence de l’Église sur l’École. Une réaffirmation des prérogatives de l’État est alors nécessaire. Par la loi du 14 juin 1854, la France est divisée en seize circonscriptions académiques administrées chacune par un recteur assisté d’autant d’inspecteurs d’académie qu’il y a de départements dans la circonscription (article 2). Le décret impérial du 22 août 1854 précise ensuite le rôle du recteur et confirme la perte presque totale de ses pouvoirs sur l’enseignement primaire. Les attributions du recteur comprennent : « la direction et la surveillance des établissements d’enseignement supérieur ; la direction et la surveillance des établissements publics d’enseignement secondaire; la surveillance de l’enseignement secondaire libre ; le maintien des méthodes de l’enseignement primaire public (article 17) ». Ce texte du 22 août 1854 relève également que « nul ne peut être nommé recteur, s’il n’est pourvu du grade de docteur (article 16) ». Dès lors, les recteurs ne jouent plus qu’un très faible rôle dans l’enseignement primaire sauf pour les écoles normales. Dans le secondaire, il s’agit surtout de résister au développement des établissements privés et la tâche est difficile depuis la loi Falloux qui a accordé la liberté de l’enseignement secondaire. Les recteurs consacrent beaucoup de temps à la rénovation et au bon fonctionnement des établissements secondaires. L’enseignement supérieur devient également un enjeu important, même si les moyens matériels demeurent longtemps limités. Les recteurs de Napoléon III conservent aussi une mission politique forte et se doivent de mobiliser leurs troupes pour qu’ils soutiennent les candidats officiels lors des élections. 

Citer cet article

Jean-François Condette , « La création des recteurs d’académie en France au xixe siècle », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 05/05/24 , consulté le 23/03/2025. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22303

Bibliographie

Jean-François Condette, Les recteurs d’académie en France de 1808 à 1940, 3 tomes, Lyon, INRP-ENS, 2009, 790 p.

Jean-François Condette (dir.), Le recteur d’académie : Deux siècles d’engagements pour l’École, Rennes, PUR, 2009, 256 p.

Jean-François Condette et Henri Legohérel (dir.), Les recteurs d’académie en France : deux cents ans d’histoire, Paris, CUJAS, 2008, 316 p. 

Patrick Gerard, « Le recteur et son académie », dans Mathilde Gollety (dir.), L’art, la gestion et l’État. Voyage au cœur de l’action. Mélanges en l’honneur de Pierre Grégory, Paris, ESKA, 2013, p.353-380.   

François Weil, Olivier Dugrip, Marie-Pierre Luigi et Alain Perritaz, La réorganisation territoriale des services déconcentrés des ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’Innovation, Paris, MEN, rapport au Ministre de l’Éducation nationale, mars 2018, 50 p.

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Ill.1.Élèves attendant l’arrivée du ministre Lucien Paye pour l’inauguration du lycée Malherbe à Caen, le 25 novembre 1961. La visite est mouvementée (ministre sifflé, boycott des enseignants). © Archives Ouest France.
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Photographie du directeur, des contremaîtres et des élèves de l’école primaire supérieure d’Aubenas vers 1900, © Musée national de l’Éducation, numéro 1979.36669.63.
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