Les lycées au cœur de la réorganisation du système éducatif par l’État (1802-1880)
Napoléon Bonaparte, sous le Consulat (1799-1804), pose les fondements du système éducatif tel que nous le connaissons aujourd’hui. Son objectif est triple : réorganiser le pays sur des bases solides, dégager une élite sociale et installer durablement le monopole de l’État. À côté de l’enseignement primaire dont la responsabilité continue à incomber aux communes, deux autres niveaux sont distingués qui passent désormais sous l’autorité directe de l’État, l’enseignement secondaire (collèges et lycées) et l’enseignement supérieur (facultés). L’un et l’autre sont intégrés à la nouvelle « Université impériale » (1808), expression qui désigne le système éducatif dans sa globalité (à l’exception de l’enseignement primaire) contrôlé par l’État, et auquel appartiennent différents corps de fonctionnaires (proviseurs, professeurs des lycées et collèges ou encore professeurs des facultés). L’éducation et l’instruction sont clairement affirmées comme des missions de service public. Dans cette nouvelle architecture, les lycées (exclusivement de garçons) occupent la place centrale. Fondés dès 1802, payants, dotés d’internats, réhabilitant le système des classes (qui vont alors de la 6e à la « philosophie » c’est-à-dire Terminale), très stricts sur le plan disciplinaire, les lycées ont vocation à former les futures élites du pays, choisies parmi les familles de notables.
Cette organisation du système éducatif survit largement à la chute de l’empereur. Le lycée devient au cours du xixe siècle son maillon central, en dépit des changements réguliers de régimes politiques.
Les lycées de la République et des républicains (1880-1950)
Les lycées s’installent durablement dans le paysage éducatif français de la fin du xixe siècle au milieu du siècle suivant. C’est d’abord l’œuvre de la Troisième République entre les années 1880 et 1914, période qui place l’Instruction publique au cœur du projet républicain avec une forte intervention de l’État. Il s’agit d’une spécificité française à l’échelle européenne. Dans les autres pays européens, le monopole de l’État apparaît moins marqué. Les républicains font du lycée une institution clef de l’ancrage du républicanisme dans l’État et dans la société. Implantés au cœur des villes et suscitant un attachement local, les lycées incarnent la culture républicaine et peuvent même se retrouver sous le feu de l’actualité nationale, ainsi au moment de la grande révolte des élèves du lycée Louis-le-Grand en 1883.
C’est également l’époque d’une ouverture limitée aux filles avec la création de lycées qui leur sont réservés (loi Camille Sée de 1880), mais dont les enseignements sont moins ambitieux pour être conformes « à la nature féminine » (la scolarité dure cinq ans au lieu de sept) et ne permettent la préparation du baccalauréat qu’à partir de 1924 (décret Bérard). Des écoles secondaires pour les filles ont toutefois été fondées plus tôt, dès le milieu du xixe siècle, dans d’autres pays européens comme en Suisse, en Grande-Bretagne ou en Russie.
Au tournant du siècle, les pouvoirs publics essaient d’apporter des réponses à la crise profonde que connaissent les lycées, soumis à la rude et efficace concurrence de l’enseignement privé catholique mais aussi à une série de problèmes structurels. La grande réforme pédagogique de 1902, suite à la commission d’enquête parlementaire de 1899, introduit une plus grande diversité des parcours (pour la première fois des « séries » au baccalauréat) et des enseignements moins théoriques, tandis que les lycées sont progressivement dotés d’une plus forte autonomie financière. Après une longue phase de réflexions pédagogiques et politiques, suscitées notamment par la vague des « révoltes » de lycéens des décennies 1870 et 1880, le régime disciplinaire est quant à lui assoupli en 1890. C’est à ce moment-là que le conseil de discipline est créé.
Le système scolaire demeure néanmoins profondément dual (primaire/secondaire) et inégalitaire jusqu’aux années 1950. C’est d’ailleurs partout le cas en Europe. L’entrée au lycée reste, en France, réservé à une infime minorité, malgré un système de bourses. Les lycéens représentent moins de 2 % d’une génération dans la première moitié du xixe siècle, le double dans la seconde moitié. 5 700 bacheliers sont reçus en 1900, 7 700 en 1914. Des mesures commencent, certes, à être prises dans l’entre-deux-guerres, comme la gratuité de l’accès au lycée en 1933, mais l’entrée y demeure sélective et les inégalités socio-scolaires sont encore très fortes. Plus de 20 000 bacheliers sont reçus à la session de 1938.
Le double défi de la massification et de la démocratisation scolaires (années 1950 à nos jours)
Ce n’est qu’après 1945 que la situation des lycées évolue fortement, en France et à l’échelle européenne. Le baby-boom des années 1940 entraîne une inédite et longue période de croissance démographique qui s’étire sur l’ensemble des « Trente Glorieuses ». Le nombre de jeunes scolarisés connaît un accroissement rapide et sans précédent dans tous les pays d’Europe occidentale. En France, il passe de cinq millions d’élèves et d’étudiants en 1945 à treize millions à la fin des années 1970. La progression est particulièrement spectaculaire pour l’enseignement secondaire, dont les effectifs passent de 740 000 en 1945 à près de quatre millions en 1970. Au Royaume-Uni, le nombre d’élèves du secondaire passe d’un million en 1945 à quatre millions à la fin des années 1970. Les enjeux deviennent alors considérables pour absorber le choc de cette massification. Les débats sont nourris, par exemple en France au moment du plan Langevin-Wallon de 1947, très ambitieux mais non appliqué.
Le lycée français doit se réinventer pour s’adapter. Tout en réaffirmant son monopole éducatif (loi Debré de 1959 créant l’enseignement privé sous contrat), l’État allonge l’obligation scolaire jusqu’à seize ans (décret Berthoin de 1959), crée les lycées agricoles (1960), renforce l’enseignement technique et repense l’organisation des filières du lycée général (1965) : A (littéraire), B (économique), C (mathématiques) et D (sciences expérimentales). Avec l’essor scientifique et technologique des années 1960 et 1970, les filières C et D rencontrent un grand succès, conformément aux vœux de l’État gaulliste pour qui l’École doit accompagner la modernisation économique et sociale du pays. Par ailleurs, la création en 1963 (loi Foucher) des CES (collèges d’enseignement secondaire) entraîne le détachement du lycée des « petites classes » (de la 6e à la 3e) et ainsi la construction de nouveaux bâtiments.
La mixité est un autre changement de taille. Longtemps vue comme impossible ou scandaleuse, cantonnée à quelques cas très isolés dans l’entre-deux-guerres (lycée Marcellin Berthelot de Saint-Maur-des-Fossés en 1937), elle progresse dans la plupart des pays européens au cours de la décennie 1950, avant d’être imposée par l’État. En France, les nouveaux lycées construits sont obligatoirement mixtes (1959), les CES le sont dès l’origine (1963) puis les décrets Haby (1976) font de la mixité une obligation légale pour tout le système éducatif. Les six lycées de la Défense, héritiers des collèges militaires, participent eux aussi à cette double exigence républicaine de la démocratisation et de la mixité.
Après la création du « collège unique » (loi Haby de 1975) qui contribue à atténuer la coupure entre le collège et le lycée, la démocratisation se poursuit dans les années 1980 avec la création des lycées professionnels (1985) puis avec la loi d’orientation de 1989 qui fixe l’objectif ambitieux d’amener 80 % d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat. Le nombre total des lycées (généraux et technologiques mais aussi professionnels) passe ainsi d’environ 2 100 au début des années 1960, à 2 600 au début des années 1990, puis environ 3 700 en 2023.
Dans les années 1980, la gouvernance des lycées est repensée dans le sens d’une autonomie accrue, liée à la création du statut juridique de l’EPLE (établissement public local d’enseignement) en 1985 (contexte de la décentralisation de l’État) puis au lent développement du new public management des années 1990 et 2000. Celui-ci demeure moins important en France que dans d’autres pays européens comme l’Italie ou le Royaume-Uni, où l’État n’hésite pas à se désengager et à déréguler le système éducatif.