De la Libération aux années 1980, l’éducation au cinéma se développe à travers l’essor des ciné-clubs. Le modèle ciné-club se caractérise par le triptyque « présentation – projection – discussion » d’un film dans une visée culturelle et non commerciale. Ces associations s’implantent dans des lieux très divers (universités, cinémas, établissements scolaires, entreprises, colonies, institutions, etc.) et s’adressent à des publics tout aussi divers (jeunes, urbains, ruraux, familiaux, féminins, coloniaux, etc.). Véritables lieux d’échange sur le cinéma, les ciné-clubs se répartissent dans une dizaine de fédérations aux identités et idéaux distincts. Tous ces réseaux jouent un rôle essentiel, de près ou de loin, dans le processus de consécration symbolique du cinéma en tant qu’art et dans le développement général des cinéphilies.
Une histoire institutionnelle
Après l’Occupation, le public retourne massivement en salle, provoquant une vague cinéphile. Parallèlement les ciné-clubs, nés dans les années 1920, connaissent un développement sans précédent via deux fédérations « emblématiques » : l’Union française des œuvres laïques d'éducation par l'image et le son (UFOLEIS), affiliée à la Ligue de l’enseignement, et la Fédération française des ciné-clubs (FFCC). Dès 1947, une Fédération internationale des ciné-clubs (FICC) est portée par la FFCC dans laquelle l’on retrouve l’Angleterre, la Belgique, les Pays-Bas, l’Irlande, l’Italie, la Suisse, le Portugal et des pays non européens. Au début des années 1980, elle regroupe 76 fédérations nationales sur les cinq continents. La France se distingue au niveau international par son nombre de fédérations : la majorité des autres pays participant à la FICC n’en dénombrent qu’une.
Dans le contexte de la guerre froide, de nombreuses autres fédérations voient le jour, correspondant aux multiples courants politiques, idéologiques et religieux. Cet essor entraîne l’adoption du décret n° 49-1275 du 21 septembre 1949 établissant le statut du cinéma non commercial. Avec cette spécificité française, pour que leurs projections soient légales, les ciné-clubs doivent désormais s’affilier à une fédération « habilitée à diffuser la culture par le film » – agrément attribué par le CNC (Centre national de la cinématographie) et la direction générale de la Jeunesse et des Sports – et se soumettre à des encadrements plus stricts (publicité réglementée, déclaration de séance, diffusion de films de plus de quatre ans, etc.). Dénonçant des abus et une concurrence déloyale, de nombreuses tensions apparaissent entre les professionnels du cinéma et les ciné-clubs.
Parmi la dizaine de fédérations obtenant l’habilitation définitive, deux grandes familles se distinguent : les laïques et les confessionnelles. Au sein de la première figurent l’UFOLEIS, la FFCC, l’Union nationale des inter ciné-clubs (UNICC), la fédération Jean-Vigo, la Coopérative régionale du cinéma culturel (CRCC) ; le seconde est représentée par la Fédération loisir et culture cinématographique (FLECC), Film et vie, Film et famille, la Fédération des associations de ciné-clubs (FAC). Les tensions entre les différents positionnements s’atténuent progressivement jusqu’à la fin des années 1960, quand les subventions diminuent : les fédérations se réunissent alors pour faire face aux difficultés et au début du déclin.
Une histoire éducative
Dans l’après-guerre, le regain d’intérêt porté au cinéma recoupe celui qui ravive l’éducation populaire. Au cours de la guerre, le rapport entre l’éducation et le cinéma a changé. Désormais le cinéma n’est plus seulement un support éducatif permettant la transmission des savoirs, il est directement un objet de savoir, de culture et d’éducation au langage cinématographique. Des ciné-clubs militants aux ciné-clubs esthétiques en passant par les ciné-clubs sociaux et éducatifs scolaires et postscolaires, les enjeux mis en avant sont divers, avec un débat constant autour de l’importance première de la valorisation du fond ou de la forme des œuvres.
De plus, les méfiances à propos de l’influence supposée du cinéma sur les jeunes et sur l’augmentation de la délinquance poussent les pouvoirs publics et les associations à développer l’éducation au cinéma, favorisant l’implantation de ciné-clubs dans les établissements scolaires. Ainsi toutes les fédérations portent un intérêt particulier à la jeunesse. Le cinéma de « qualité » est considéré comme un moyen de réfléchir, de s’ouvrir au monde, de le découvrir, de développer ses connaissances et son esprit critique.
Dans une période de décolonisation marquée par l’idéologie de l’« humanisme colonial », les discours prônant le cinéma comme un instrument de paix se multiplient. L’image animée, n’ayant pas besoin de traduction, est considérée comme un langage universel pouvant entraîner de meilleurs échanges et une meilleure compréhension entre les peuples.
Les principales actions des fédérations
Les fédérations mettent en œuvre différents moyens de communication et de diffusion pour aider au mieux les ciné-clubs affiliés. Afin de les approvisionner en films, elles mettent en place des réseaux de location et des cinémathèques par des offices régionaux. Les bulletins d’information, favorisés pour valoriser les catalogues de films, sont aussi utilisés par la majorité des fédérations pour maintenir le lien avec leurs ciné-clubs et leurs animateurs. Ils leur permettent de réagir à l’actualité cinématographique et administrative, de promouvoir des ouvrages éducatifs ou des stages de formation et d’initiation, de publier des cotations et des fiches filmographiques, de valoriser des œuvres, d’entretenir la culture cinématographique (esthétique et technique), etc. Certaines publications deviennent de véritables revues de cinéma à grand tirage comme Image et son – La revue du cinéma (UFOLEIS), ou Cinéma (FFCC), très vite complétées par de nombreux ouvrages et manuels.
Des stages de formation, adressés majoritairement aux animateurs, assurent la qualité des interventions, en même temps qu’ils maintiennent les liens entre les différents niveaux de la fédération. C’est l’occasion d’aborder les aspects techniques, esthétiques et culturels du cinéma, d’assister à de nombreuses projections et de renforcer les relations entre les animateurs. De nombreux autres moyens d’action sont également mis en place : création de maison d’édition, de distribution, de production et de doublage, de la vente de matériel, etc.
La fin des ciné-clubs ?
Si Film et famille ferme ses portes dès 1970, beaucoup de fédérations disparaissent progressivement dans les années 1980 et 1990. Quelques-unes connaissent une plus grande longévité – la FLECC disparaît en 2016 – tandis que d’autres, comme la CRCC et Inter-film, sont encore en activité aujourd’hui.
Les causes de ce déclin sont diverses : multiplication des supports de diffusion (télévision, VHS, DVD, internet), développement des cinémas d’art et essai, développement de l’animation socioculturelle, non-renouvellement militant, institutionnalisation de l’éducation à l’image, choix du format 16 mm, etc. Si les associations sont aujourd’hui devenues rares, le modèle « ciné-club », quant à lui, a évolué et s’est diversifié à travers les projections et discussions en ligne, les programmes écoles, collèges et lycées au cinéma, la multiplication des festivals, les projections-discussions des cinémas d’art et essai, etc. Les ciné-clubs laissent une trace indélébile dans ce qui constitue aujourd’hui l’éducation cinématographique.