La mobilité étudiante féminine dans l’Europe contemporaine

Le renouveau de la mobilité étudiante dans l’Europe de la fin du xixe siècle a été un facteur important de la féminisation des universités. Même minoritaires, des femmes venues de Russie ou de Roumanie en Europe occidentale ont ouvert la voie, et inspiré les générations d’étudiantes qui ont profité, au début du xxe siècle, des premières bourses de voyage au départ des pays occidentaux. Malgré des difficultés spécifiques – en matière d’accès au logement étudiant en particulier – la mobilité féminine, qui n’est pas similaire à celle des hommes en termes de répartition géographique ou de disciplines étudiées, n’a cessé de croître au cours du xxe siècle jusqu’à être aujourd’hui nettement majoritaire.

Bibliothèque du foyer international des étudiantes (Student hostel), Paris. Carte postale, s. d.
Sommaire

La fin du xixe siècle a été marquée par un renouveau important de la mobilité étudiante, pratique fréquente à l’époque moderne mais que la nationalisation des universités et la fin de l’utilisation du latin comme langue universelle d’enseignement avaient mise à mal. C’est à l’âge de la consolidation des États-nations que les pays européens prennent la mesure de ce que représentent pour leur rayonnement à la fois l’attractivité de leurs universités et leur capacité à envoyer leurs futures élites étudier à l’étranger. Dans ce processus, les femmes jouent un rôle spécifique qui tient à la fois à la tardive et lente féminisation de l’enseignement supérieur et au caractère genré des modes de voyage dans l’Europe du tournant du siècle, où le voyage féminin non accompagné se normalise.

Pionnières de la mobilité étudiante

L’histoire de l’ouverture internationale des universités et celle de la féminisation de l’enseignement supérieur sont inextricablement liées. La Suisse joue dans ces deux domaines un rôle pionnier, qui profite d’abord aux étudiantes venues de Russie : la première femme admise dans une Faculté de médecine européenne en Europe est la Russe Nadejda Souslova (1843-1918) qui obtient son doctorat en 1867. En 1871, c’est encore une Russe, Nadejda Smeckaya, qui est la première à s’inscrire à l’École polytechnique fédérale de Zurich.

Plusieurs facteurs expliquent l’importance de cette filière russe en Suisse. La première tient aux difficultés des jeunes femmes russes, pourtant bien éduquées par un système d’enseignement secondaire performant, à poursuivre leurs études dans leur pays d’origine. Brièvement ouvertes à la fin des années 1850, les universités russes interdisent l’accès des femmes à leurs bancs. Au même moment, la Suisse, et d’abord Zurich, suivie de Berne, Genève et Lausanne, apparaît comme la seule destination à même de les accueillir. Plus tard, les étudiantes russes se retrouvent en nombre dans les universités d’Europe occidentale au fur et à mesure que les restrictions sont levées. En France, la première femme licenciée en droit en 1887, qui obtient le premier doctorat féminin du monde dans cette discipline trois ans plus tard, est roumaine : Sarmiza Bilcescu (1867-1935). Les Russes et les Roumaines représentent ainsi plus du tiers des étudiantes de l’université de Paris de 1905 à 1913 – à un moment où les femmes ne représentent qu’un peu moins de 10 % de la population étudiante. Le même phénomène s’observe, avec quelques années de décalage, dans les universités germaniques et scandinaves au fil des évolutions réglementaires – le Danemark et la Suède autorisent les femmes à s’inscrire en 1873 et 1875. L’origine géographique de ces étudiantes en mobilité tend également à se diversifier au début du xxe siècle avec l’arrivée de plus en plus massive d’Américaines et la naissance de mobilités internes à l’Europe occidentale.

L’ouverture de l’enseignement supérieur et l’intensification des migrations semblent se nourrir l’une l’autre. La forte présence d’étrangères dans la population étudiante est un facteur d’accélération de la féminisation des universités puisque les étudiantes nationales, initialement peu incitées aux études supérieures et guère préparées par le lycée de jeunes filles, leur emboîtent le pas.

Le genre des destinations

Les mobilités étudiantes ne se limitent toutefois pas à une logique de déplacement des universités fermées aux femmes à celles qui s’y ouvrent timidement. La féminisation de l’enseignement supérieur est en effet concomitante, de façon plus générale, de son ouverture internationale. À la fin du xixe siècle, la plupart des pays européens mettent en place des programmes de bourses de mobilité, soit sous l’impulsion de l’État, comme l’Italie dès son unification, soit par l’intermédiaire de mécènes comme en France où les fondations Rothschild, Albert Kahn (1860-1940) et David-Weill (1871-1952) jouent un rôle fondamental dans la mise en mobilité des étudiantes. Nombre de jeunes femmes bénéficient de ces opportunités qui leur sont inégalement ouvertes – Albert Kahn leur donne accès à sa bourse au bout de quelques années, mais sans leur offrir le tour du monde prévu pour les étudiants, quand David Weill leur ouvre son financement à égalité avec les hommes. Il faut attendre l’entre-deux-guerres pour que des bourses spécifiquement dédiées aux femmes soient créées comme celles de la Fédération internationale des femmes diplômées des universités (FIFDU), fondée en 1919 pour promouvoir l’accès des femmes aux études.

Toutefois, même lorsque les conditions d’accès sont équivalentes pour les hommes et les femmes, la géographie des mobilités étudiantes demeure profondément genrée : de France, les hommes partent massivement vers l’Allemagne et l’Autriche tandis que l’Italie attire davantage les femmes– seule l’Angleterre présente une forme d’équilibre de sexe. Cette différence s’explique certes par des variables disciplinaires – les femmes sont plus nombreuses à étudier l’histoire de l’art et donc à se diriger vers l’Italie, tandis qu’il y a plus d’hommes physiciens, attirés par les progrès de leur discipline en Allemagne. Cela n’empêche pas les femmes scientifiques de se rendre plutôt en Italie, en Suisse ou en Angleterre et de moins candidater pour l’Allemagne, où elles sont de toute façon moins retenues. Il y a donc un genre des destinations d’études, qui tient à la fois à l’inclination des candidat‧es et au processus de sélection.

Héberger les étudiantes

L’émergence autour des principales universités européennes d’une communauté croissante d’étudiants étrangers pose avec une acuité nouvelle la question de leur logement. De grands projets comme la Cité internationale étudiante de Paris, lancée en 1925, entendent relever ce défi ; mais la lente construction des nouvelles maisons ne suit pas le rythme d’accroissement de la demande et l’hébergement des femmes n’est que rarement considéré comme prioritaire.

C’est l’Angleterre qui apparaît comme pionnière dans ce domaine avec la mise à disposition des étudiantes anglaises et étrangères de Colleges féminins dans les grandes universités comme Cambridge où son successivement fondés le College Girton, dès 1869 par Emily Davis (1830-1921) puis celui de Newhnam mis en place par Henry Sidgwick (1838-1900) entre 1871 et 1875. La Suisse, qui accueille pourtant nombre d’étudiantes étrangères, met plus de temps à prendre la mesure du problème : on n’y trouve pas de résidence universitaire dédiée aux femmes avant l’entre-deux-guerres et les étudiantes doivent se loger dans des hôtels ou pensions en ville, souvent plus onéreuses et moins adaptées à la vie étudiante. En France, c’est encore une fois sur le mécénat privé transnational que les étudiantes doivent compter pour leur permettre de se loger en attendant l’ouverture de la Cité internationale étudiante. La mécène américaine Grace Whitney-Hoff (1862-1938) est ainsi à l’origine de la fondation, à partir de 1906, d’un Student hostel appelé à devenir le Foyer international des étudiantes pour favoriser l’hébergement d’étrangères à Paris.

Mobilités féminines et massification universitaire

L’augmentation continue au cours du premier xxe et des premières décennies du xxie siècle de la part des femmes dans les effectifs étudiants, qui a conduit la plupart des pays européens à dépasser la parité, s’est mécaniquement traduite par une augmentation des mobilités féminines, en particulier avec l’explosion de ces mobilités grâce au programme de coopération universitaire Erasmus, créé en 1987. Mieux encore, la proportion des femmes dans l’ensemble des étudiants en mobilité est largement plus forte que celle de la féminisation des études supérieures : en 2000, 61 % des étudiants en mobilité dans l’Union européenne étaient des étudiantes. Plusieurs phénomènes témoignent toutefois de la permanence des différences de genre dans les populations étudiantes en mobilité : les femmes continuent à se diriger plus massivement vers l’Europe méditerranéenne et les disciplines qu’elles y étudient restent marquées par leur présence majoritaire dans des domaines comme les sciences de gestion ou les sciences humaines et sociales tandis que les sciences dures et l’ingénierie restent sous-représentées.

Citer cet article

Antonin Durand , « La mobilité étudiante féminine dans l’Europe contemporaine », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 07/10/20 , consulté le 02/12/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21431

Bibliographie

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