Entre les années 1960 et 1980, une floraison de mouvements de libération sexuelle se développent dans les pays du Nord et donnent lieu à ce qu’on appelle communément la révolution sexuelle. Cette libération réside dans la conquête d’une vie sexuelle non exclusivement reproductive et dégagée du carcan de l’institution du mariage. Cette révolution consiste en la modification en profondeur des mentalités, des valeurs, des savoirs et des comportements dans le sens d’une conception optimiste et positive de la sexualité fondée sur la reconnaissance du plaisir sexuel comme source d’épanouissement. Ce processus de longue durée s’est fondé sur des transformations culturelles et scientifiques initiées dès le début des années 1950, avant que des mouvements sociaux et politiques n’inscrivent les questions sexuelles comme des questions politiques nécessitant la réalisation d’un programme libérateur. À l’opposé, la misère sexuelle se perçoit comme le produit des dispositifs sociaux, médicaux, légaux, idéologiques, religieux et esthétiques qui œuvrent à la réduction de la vie sexuelle dans un cadre reproductif et conjugal, et qui constituent la répression sexuelle. L’acceptation de la misère sexuelle apparaît comme le socle de la soumission aux idéologies autoritaires. La révolution sexuelle réside alors dans l’idée que les combats visant à la libération sexuelle constituent de puissants leviers politiques en vue de l’émancipation sociale. Elle vise à la création d’institutions, à l’abrogation ou la formulation de lois et réglementations, à la production de connaissances et à l’évolution des mentalités visant à favoriser la légitimation de l’activité sexuelle non reproductive et non conjugale et la reconnaissance des pratiques, relations et identités qui l’accompagnent.
La conception optimiste de la sexualité est élaborée dès la fin du xixe siècle, notamment en réponse à la répression de l’homosexualité – particulièrement féroce en Allemagne et en Grande-Bretagne –, avec la publication de travaux de sexologues comme le Britannique Havelock Ellis (1859-1939) ou l’Allemand Magnus Hirschfeld (1868-1935) mais aussi grâce aux réflexions d’écrivains et artistes homosexuels. Pour les plus politisés de ces auteurs, les obstacles matériels et idéologiques à l’exercice d’une vie sexuelle non reproductive font partie intégrante des rouages de la domination sociale exercée par le capitalisme : la libération sexuelle devient une dimension centrale de l’émancipation de l’humanité. La Ligue mondiale pour la réforme sexuelle (1921-1932) est une des premières organisations internationales associant l’émancipation sociale à la libération sexuelle. En Allemagne, le psychanalyste marxiste Wilhelm Reich (1897-1957) défend l’idée de révolution sexuelle dès les années 1920. Le philosophe Herbert Marcuse (1898-1979) donne un fondement philosophique à ces idées dans son ouvrage Eros et civilisation publié aux États-Unis en 1955.
Au cours des années 1960 et 1970, des découvertes scientifiques et médicales ainsi que des modifications juridiques transforment les conditions d’exercice de la vie sexuelle. Les sciences médicales rompent leur alliance avec la morale de l’Église catholique en développant des idées et des outils qui donnent toute sa légitimité à la vie sexuelle non reproductive. Des mouvements politiques tels que les féminismes et les premiers mouvements homosexuels vont s’emparer de ces découvertes pour obtenir des changements législatifs. En France, à la suite du mouvement étudiant de Mai 1968 qui a eu une forte dimension sexuelle, c’est principalement le Mouvement de libération des femmes (MLF) créé en 1970 et le Front homosexuel d’action révolutionnaire créé en 1971 qui inscrivent les combats sexuels dans la lutte pour l’émancipation.
La pilule contraceptive, prévue initialement pour le contrôle des naissances chez les femmes des pays du Sud, est commercialisée en RFA dès l’année de son invention aux États-Unis, en 1956. Dans les années qui suivent, les mouvements féministes alliés à certaines fractions de l’institution médicale obtiennent la dépénalisation de l’avortement dans quelques pays européens. En 1966, tandis que les sexologues américains William Masters (1915-2001) et Virginia Johnson (1925-2013) démontrent dans Human Sexual Response que l’orgasme – de l’homme comme de la femme – est un phénomène physiologique naturel, leur collègue Harry Benjamin (1885-1986) légitime dans The Transsexual Phenomenon la possibilité de changer de sexe/genre grâce aux hormones et aux chirurgies de réassignation sexuelle. La masturbation est promue comme pratique sexuelle « normale » des adolescents par le Dr Jean Carpentier dans son pamphlet Apprenons à faire l’amour publié en 1971. En 1973, tandis qu’elle était jusqu’alors considérée comme un trouble mental, l’homosexualité est retirée de la principale classification psychiatrique nord-américaine (DSM-III). Six ans auparavant, elle avait cessé d’être considérée comme un délit en Angleterre et au pays de Galles. La censure qui frappait la pornographie est assouplie, notamment en France en 1975, enfermant néanmoins les films pornographiques dans le ghetto du X qui génère de lourdes taxes. Enfin, la mise sur le marché d’un médicament qui permet de traiter les troubles érectiles, mais qui sera utilisé comme aphrodisiaque masculin (le sildénafil vendu sous le nom de Viagra en 1998), constitue le dernier avatar de la libération sexuelle… des hommes.
La révolution sexuelle fait toujours l’objet de controverses. D’abord sur la qualification même de « révolution » ou seulement de « modernisation de la sexualité ». D’autre part, sur les conséquences pour les femmes, positives grâce aux changements dans les législations comme les mentalités, ou à l’inverse négatives à cause d’une nouvelle « tyrannie du plaisir » qui aggraverait leur situation.
L’accès à la contraception, à l’avortement et au divorce ont été obtenus au cours des années 1970 dans la majorité des pays européens industrialisés. Tandis que les rapports sexuels ne sont plus obligatoires dans le cadre du mariage, la vie sexuelle et la procréation en dehors du mariage ne sont plus stigmatisées, voire sont même revendiquées dans certains cas. Les unions ou mariages entre personnes de même sexe ont été progressivement reconnus dans la majorité des pays européens, à commencer par les Pays-Bas en 2001.
Néanmoins, la garantie des libertés sexuelles des jeunes, des personnes âgées, des personnes en situation de handicap ainsi que la pleine citoyenneté des personnes homosexuelles, transgenres et intersexuées restent encore largement à conquérir. Des programmes d’éducation sexuelle destinés aux adolescents prêchent parfois l’abstinence sexuelle préconjugale. L’avortement est toujours illicite et son accès reste difficile dans de nombreux pays, notamment dans certains pays européens comme la Pologne, Malte ou Chypre. L’homosexualité et les relations extra-conjugales restent frappées d’interdits et font encore l’objet d’une répression féroce ou d’ostracisme. Mais le principal acquis des révolutions sexuelles est de considérer l’épanouissement sexuel comme un droit et comme une valeur individuelle et sociale inscrite dans le champ de la santé, tels que promus par l’Organisation mondiale de la santé à partir de 1975. Aujourd’hui, le combat pour la libération sexuelle se poursuit, que ce soit sur les questions de droits sexuels ou sur celles de santé sexuelle et reproductive.