Les femmes européennes dans les principales organisations internationales de femmes

Les luttes des Européennes pour leurs droits et pour la justice sociale commencent au début du xixe siècle et sont presque immédiatement transnationales. À partir des années 1860, le militantisme féministe international se structure de manière plus officielle. Les principales organisations internationales de femmes de la fin du xixe siècle et du début xxe siècle ont un caractère bourgeois et sont dominées par des femmes d’origine européenne. À partir de 1907, les femmes socialistes ou socialistes féministes créent également des structures internationales pour renforcer les droits des femmes. Comme l’ont reconnu les Nations unies, les trois principales organisations internationales de femmes du monde post-45 (le Conseil international des femmes, l’Alliance internationale des femmes pour le droit de vote et l’égalité des citoyens, et la Fédération démocratique internationale des femmes nouvellement créée) ont apporté une contribution cruciale en faveur des droits et de la condition des femmes non seulement en Europe mais dans le monde.

Board Meeting of the International Alliance of Women for Suffrage and Equal Citizenship (IAW), 8-10 May 1936, at the newly established but not yet opened International Archives for the Women’s Movement (known in Dutch as IAV), Keizersgracht 264, Amsterdam. Left: Margery Corbett Ashby, IAW President. Third from right: Rosa Manus, IAW First Vice-President and IAV Founding President.
Sommaire

L’histoire de l’organisation de la lutte des Européennes pour leurs droits et pour la justice sociale commence au début du xixe siècle et revêt presque immédiatement un caractère transnational. Une des pionnières est la quaker britannique Elizabeth Fry (1780-1845), qui établit en 1821 la Société des dames britanniques en faveur de la réforme des prisonnières (British Ladies’ Society for Promoting the Reformation of Female Prisoners). Cette société est probablement la première « organisation de femmes », au sens d’organisation constituée par des femmes pour améliorer la condition et les droits des femmes. Dans les années 1830 et 1840, Fry fait plusieurs visites sur le continent européen afin de diffuser ses idées concernant la réforme des prisons, aider à constituer des organisations de femmes pour représenter les prisonnières et œuvrer au nom de « celles qui sont de leur sexe ».

Plus généralement, le féminisme et le socialisme se développent en Angleterre et en France dans le contexte qui suit la Révolution française, et sont menés par des militantes qui défendent l’internationalisme. C’est en partie de ce même groupe qu’émerge ce que l’historienne Bonnie Anderson appelle le « premier mouvement international des femmes » qui consiste en un réseau d’une vingtaine de Françaises, Britanniques, Allemandes, Scandinaves et Nord-Américaines. Elles font campagne pour les droits sociaux, économiques et politiques des femmes, et tirent profit de leur réseau international aussi bien pour diffuser des informations que pour demander et offrir de la solidarité. Ce réseau précoce comprend l’Allemande Mathilde Franziska Anneke (1817-1884), la Suédoise Frederika Bremer (1801-1865) et la Française Jeanne Deroin (1805-1894). La répression politique qui suit les révolutions de 1848 en Europe met fin à ce mouvement. Mais le militantisme international émerge de nouveau pour se structurer de manière plus officielle. En témoignent l’Association internationale des femmes (1868-1871) de la Suissesse Marie Geogg-Pouchoulin et l’Association nationale des dames pour l’abrogation des lois sur les maladies contagieuses (1869) de la Britannique Josephine Butler, qui devient en 1876 la Fédération britannique, continentale et générale pour l’abolition de la réglementation gouvernementale de la prostitution.

Les organisations féministes internationales avant 1940

Les trois principales organisations internationales de femmes de la fin du xixe et du début du xxe siècle sont le Conseil international des femmes (ICW), l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes (IWSA) et la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (WILPF). La première, l’ICW, est fondée lors d’une conférence organisée par l’association américaine intitulée Association nationale pour le suffrage des femmes (NWSA en anglais) à Washington en 1888. Pour atteindre ses deux objectifs principaux, à savoir « établir une communication constante entre les associations des femmes de tous les pays » et « leur fournir des occasions de se rencontrer et de délibérer sur les questions relatives au bien public et à la sécurité de la famille et de l’individu » (statuts de l’ICW, 1888), l’ICW tient des réunions d’abord tous les cinq ans, puis tous les trois ans. L’IWSA organise également des congrès internationaux de grande envergure qui suscitent un soutien populaire et politique au suffrage féminin. La WILPF voit le jour au célèbre Congrès international des femmes organisé par les féministes hollandaises Aletta Jacobs (1854-1929) et Rosa Manus (1881-1942) à La Haye en 1915, en pleine Première Guerre mondiale. La WILPF est officiellement constituée sous ce nom en 1919. Il convient de remarquer que le Conseil, l’Alliance et la Ligue débutent tous avec des sections nationales en Europe occidentale ou dans les « néo-Europe » (les États-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande). Ce mouvement international dont l’ICW, l’IAW et la WILPF constituent le noyau se caractérise comme étant « bourgeois et dominé par des femmes d’origine européenne » (Leila Rupp).

Les femmes socialistes ou socialistes féministes créent également des structures internationales destinées à accroître les droits des femmes, à l’exemple de l’Allemande Clara Zetkin. Elle participe à la création du Secrétariat international des femmes socialistes (1907-1915). À la seconde conférence internationale des femmes socialistes à Copenhague en 1910, Zetkin ainsi que Luise Ziets (1865-1922) proposent ce qui devient la Journée internationale des femmes, dont le but principal est à l’origine de « faire campagne pour le droit de vote des femmes ». Entre 1920 et 1926, l’Internationale communiste comprend un Secrétariat international des femmes. Les femmes soutenant des partis sociaux-démocrates organisent également des conférences internationales dans les années 1920 et 1930, puis de manière régulière à partir de 1948 ; elles se réorganisent en Conseil international des femmes sociales-démocrates en 1955. Durant l’entre-deux-guerres, les femmes socialistes ou féministes de gauche créent en outre la Fédération internationale des travailleuses (1919-1923), la Coopérative internationale de la guilde des femmes (1921-1963), et le Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme (1934).

La participation des femmes à la gouvernance mondiale commence avec la petite percée que font les organisations féministes internationales dans la Société des Nations (SDN) au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le Conseil international des femmes joue un rôle particulièrement important dans le processus, en lançant en 1925 le Comité collectif permanent des organisations internationales de femmes qui fait pression pour que des femmes soient nommées à la SDN ; en 1931, les organisations membres du Comité collectif permanent créent à leur tour le Comité de liaison des organisations internationales de femmes. Le principal succès des organisations internationales de femmes au sein de la SDN est de faire reconnaître que le droit des femmes est une question d’échelle mondiale, au même titre que l’esclavage ou la protection des jeunes et des minorités.

Les trois principales organisations internationales de femmes dans le monde de l’après-guerre

Les « trois grandes » organisations internationales de femmes après 1945 sont les deux déjà bien établies, à savoir l’ICW, l’IAW, ainsi que la Fédération internationale démocratique des femmes (WIDF) d’orientation gauche féministe. La WIDF est fondée à Paris fin novembre 1945, et transfère son siège à Berlin-Est au début de l’année 1951 après que le gouvernement français eut interdit à la WIDF de poursuivre ses activités en France en janvier 1951. Les objectifs de la WIDF sont de combattre le fascisme et de défendre la paix, les droits des femmes et le bien-être des enfants, en ajoutant un fort engagement anti-colonialiste et anti-raciste. Parmi les femmes de premier plan de la WIDF figurent la Française Eugénie Cotton (1881-1967, présidente de la WIDF, 1945-1967), la Bulgare Tsola Dragoicheva (1898-1993), l’Espagnole Dolores Ibárruri (1895-1989), l’Italienne Maria Maddalena Rossi (1906-1995) et la Suédoise Dr Andrea Andreen (1888-1972), ainsi que, issues des anciennes colonies, l’Indienne Kapila Khandwala, la Nigérienne Funmilayo Ransome-Kuti (1900-1978) et l’Irakienne Dr Naziha al-Dulaimi (1923-2007).

En 1947, l’ICW, l’IAW et la WIDF reçoivent un statut consultatif de catégorie « B » auprès du Conseil économique et social des Nations unies, aux côtés de dix autres organisations féministes internationales. Chacune de ces organisations participe activement à la Commission de la condition de la femme de l’ONU. En raison de la guerre froide, la WIDF perd son statut consultatif en 1954 jusqu’à ce qu’il soit rétabli en 1967. Les principaux apports de la WIDF concernant l’amélioration de la condition féminine à l’échelle mondiale sont de proposer à l’ONU la mise en place d’une Année internationale de la femme (1975), ainsi que d’œuvrer à la préparation de la Déclaration sur l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (1967) et de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (1979). Les « trois grandes » – l’ICW, l’IAW, la WIDF – ont ainsi contribué de manière déterminante à améliorer la condition féminine et à accroître les droits des femmes non seulement en Europe, mais au niveau mondial. Au cours de ce processus, elles collaborèrent parfois mais progressèrent toujours à partir des contributions des unes des autres. Par conséquent, ce n’est pas un hasard si l’ICW, l’IAW et la WIDF ont été les seules organisations internationales des femmes à être dotées du statut consultatif le plus élevé de l’ONU en 1975, ce qui confirme leur statut d’organisations féministes internationales les plus importantes du xxe siècle.

Citer cet article

Francisca De haan , « Les femmes européennes dans les principales organisations internationales de femmes », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 26/06/20 , consulté le 05/12/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21305

Bibliographie

De Haan, Francisca, « Writing Inter/Transnational History : The Case of Women’s Movements and Feminisms », dans Barbara Haider-Wilson, William D. Godsey, Wolfgang Mueller (eds), Internationale Geschichte in Theorie und Praxis / International History in Theory and Practice, Vienne, Verlag der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2017, p. 501-536.

De Haan, Francisca, “The Global Left-Feminist 1960s : From Copenhagen to Moscow and New York,” dans Chen Jian et alii (eds), The Routledge Handbook of the Global Sixties. Between Protest and Nation-Building, Londres, New York, Routledge, 2018, p. 230-242.

Offen, Karen, Les féminismes en Europe, 1700-1950 : une histoire politique, traduit de l’américain par Geneviève Knibiehler, Rennes, PUR ; Dinan, Terre de brume, 2012. »

Rupp, Leila J., Worlds of Women : The Making of an International Women’s Movement, Princeton, Princeton University Press, 1997.

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