Dans la mesure où les évolutions de la journée internationale des femmes en Europe sont intimement liées aux spécificités nationales, il s’avère pratiquement impossible de parler d’histoire européenne de celle-ci. Cependant, un examen attentif révèle des similarités et même des connexions, dues au concept politique sous-jacent et au développement du socialisme européen.
À l’occasion de la deuxième conférence de l’Internationale des femmes socialistes (Copenhague, 1910), les socialistes allemandes Clara Zetkin (1857-1933) et Luise Zietz (1865–1922) demandent que tous les pays reconnaissent chaque année une journée internationale de la femme, qui soit simultanément une célébration commune à l’échelle mondiale et un appel en faveur du suffrage féminin. Cette proposition est inspirée par la socialiste américaine May Wood Simons (1876-1948), laquelle encourage les déléguées américaines à faire part au reste des participantes de leurs expériences positives avec la journée américaine des femmes, dont la première célébration en 1909 connut un grand succès et vit la participation de féministes non socialistes. La proposition convainc les déléguées, aboutissant à la création d’une JIF se tenant le même jour et dans tous les pays en faveur de l’extension du droit de vote. La première journée de ce type est soigneusement planifiée et finalement célébrée en 1911 au travers de manifestations, de discours et de grands articles dans les journaux socialistes en Bulgarie, Autriche-Hongrie, Allemagne, Suisse ainsi qu’au Danemark et aux États-Unis.
La date précise de la JIF n’est pas fixée avant 1921. Anna Mai, une déléguée bulgare à la seconde conférence de l’Internationale communiste, soutient la proposition des délégués russes, qui suggèrent de commémorer la journée des femmes russe de 1917 du 8 mars (dans le calendrier grégorien, soit le 23 février dans le calendrier julien alors utilisé en Russie). Ce jour-là, celles-ci s'étaient mises en grève, début d'une révolte armée qui aboutit finalement au reversement du tsar. La proposition est acceptée à l’unanimité. Dans un premier temps, ce sont surtout les partis communistes qui promeuvent le 8 mars.
Dans les pays où elle est célébrée, le degré de développement des partis socialistes est le facteur le plus décisif. Bien que de nombreuses Européennes aient obtenu le droit de vote (Finlande, 1906 ; Danemark et Islande, 1915 ; Estonie, 1917 ; puis Lettonie, Allemagne, Autriche, Pologne, Luxembourg, Pays-Bas à l'issue de la Première Guerre mondiale), la JIF reste célébrée dans tous ces pays, car elle est progressivement devenue une pièce privilégiée dans l’agitation socialiste, communiste ou sociale-démocrate. Dans l’entre-deux-guerres, elle devient un moment privilégié pour mettre en avant les maux de la société et soutenir les droits des femmes.
Dans l’Union soviétique qui se considère comme l'espoir du prolétariat international, la JIF acquiert une importance particulière. Alexandra Kollontai (1847–1952), qui préside la section des femmes du Comité central du Parti communiste à partir de 1920, publie un article en 1921 décrivant le concept futur de la journée dans son pays et, partant, dans les autres pays socialistes. L’égalité entre les sexes étant établie à ses yeux, elle estime que la JIF doit être consacrée au rôle des travailleuses en tant que camarades dans la lutte du prolétariat, évinçant ainsi les revendications féministes associées à cette journée, telles que le suffrage féminin et le droit égal à participer à la société. Le 8 mars est ainsi réduit à un moyen d’agitation (pour les femmes en particulier) dans la lutte pour la révolution mondiale. Dans les années qui suivent, ce concept s’impose dans tous les pays communistes. La JIF perd ainsi graduellement sa pertinence dans la sphère politique pour se réduire à un simple évènement concernant spécialement les femmes. L’importance qu’elle revêt dans l’Union soviétique en fait cependant un objet de suspicion dans les pays occidentaux, même avant la Seconde Guerre mondiale, alors même que les partis sociaux-démocrates tentent d’employer cette tradition pour atteindre leurs propres objectifs.
Le désaccord qui oppose les communistes aux sociaux-démocrates au sujet de la nature et des implications politiques de la JIF devient particulièrement intense après la Seconde Guerre mondiale, au fur et à mesure que les tensions entre l’Est et l’Ouest s’aggravent au cours de la guerre froide. La pluralité des modes de célébration devient particulièrement évidente dans les deux Allemagnes (RDA et RFA). La République démocratique allemande met en avant la tradition d’égalité entre les travailleurs des deux sexes dans les sociétés socialistes ; les travailleuses sont mises à l’honneur et se voient décerner la médaille Clara Zetkin. En République fédérale d’Allemagne, en revanche, la JIF n’acquiert guère d’importance dans les années 1950 et 1960 malgré le regain d’intérêt dont elle fait l’objet à travers le monde suite à la Seconde Guerre mondiale. Dans certains pays où traditions sociales-démocrates, socialistes et communistes coexistent, on célèbre deux versions différentes de la journée des femmes (en Autriche, par exemple) ou des organisations font alors de la surenchère entre elles (comme en France et en Italie).
Ce sont le féminisme de la deuxième vague des années 1970 et l’intensité croissante des revendications féministes qui font renaître la JIF dans les sociétés occidentales. Les mouvements féministes ainsi qu’un nombre toujours plus important de femmes indépendantes se mettent alors à manifester et à employer la journée pour exiger l’égalité entre les sexes. Dans le même temps, certains gouvernements non socialistes commencent à l'utiliser pour leurs propres fins politiques, annonçant de nouvelles mesures relatives aux femmes ou des réformes. Pendant ce temps, en Europe de l’Est, la JIF perd progressivement sa dimension politique d’origine et se déprécie jusqu’à devenir une sorte de « jour des mères » socialiste, mais apolitique. En 1977, enfin, l’Organisation des Nations unies reconnaît le 8 mars comme journée internationale des femmes. En France, l'alternance socialiste qui intervient en mai-juin 1981 fait du 8 mars 1982 le premier grand 8 mars officiel.
La chute de l’Union soviétique au début des années 1990 marque la fin de traditions communes aux pays communistes pendant des décennies. Depuis, la JIF se manifeste sous deux formes : les activités explicitement politiques, d’une part, et la commercialisation capitaliste, d’autre part. Le versant politique s’accompagne souvent d’investigations de grande échelle sur la condition féminine : pour certains journaux (papier ou télévisés), la JIF représente une occasion annuelle de s’intéresser de près à l’égalité entre les sexes. Outre cela, on relève une tendance dans les pays européens à la commercialisation de ce jour dans le secteur de la vente, au travers d’offres spéciales réservées aux clients de sexe féminin dans les pharmacies, les grands magasins et chez les fleuristes. Ironie du destin, ce sont les aspects apolitiques du « jour des mères » socialiste (les fleurs, présents et cartes de vœux) qui ont survécu dans la perception publique de la JIF, conduisant ainsi à sa dépolitisation. Pourtant, dans bien des pays, cette date demeure, une fois par an, l’occasion de mettre en avant la place des femmes dans la société et d’attirer l’attention sur des questions d’une grande importance pour celles-ci.
Traduction de l'image :
« Accordez le droit de vote aux femmes
Journée des femmes
8 mars 1914
Aux femmes qui remplissent leur devoir en tant qu’ouvrières, en tant que mères et citoyennes municipales, qui payent l’impôt à l’État et aux communes, les préjugés et opinions réactionnaires refusent toujours le plein droit à la citoyenneté. Chaque femme, chaque ouvrière doit avoir la volonté ferme et inébranlable de conquérir ce droit naturel de l’homme. Il ne peut y avoir ici ni trêve ni fléchissement. Venez donc toutes, vous, femmes et jeunes filles, à la 9e réunion publique pour les femmes, le 8 mars 1914, dans l’après-midi, à 15 heures. »
Traduit de l’allemand par Angela Wickert