Au xixe siècle, que ce soit en France, en Allemagne, en Angleterre ou en Russie, un nombre croissant de jeunes femmes quittent les zones rurales pour les villes. Conséquence de l’industrialisation, de l’urbanisation et de l’ascension de la bourgeoisie, la demande de personnel domestique féminin y a augmenté. Ces femmes sont considérées comme signe d’un statut social élevé et de richesse au sein de la société bourgeoise. La féminisation de la domesticité reflète également l’idée toujours plus répandue que le travail domestique et la dépendance particulièrement prononcée dans ces relations de travail sont spécifiquement féminins.
Dans toute l’Europe, la domesticité prend des formes identiques : pour de nombreuses jeunes femmes, travailler comme bonne est le seul moyen d’accéder à une activité rémunératrice ne nécessitant ni formation, ni capital de départ propre. Les jeunes filles habitent dans la famille au service de laquelle elles travaillent, dont elles reçoivent un salaire en plus d’être nourries et logées. À l’échelon le plus bas de la hiérarchie se trouvent les « bonnes à tout faire » qui, outre la tenue du foyer, sont souvent responsables des courses, des enfants, de la cuisine et de la couture. Leur revenu est significativement inférieur à celui de la main-d’œuvre qualifiée que représentent les cuisinières ou les gouvernantes, et même si leur salaire est complété d’avantages en nature, elles connaissent une situation financière inférieure à celle des vendeuses.
Les domestiques femmes se distinguent par leur grande mobilité. « Prendre une place » implique presque toujours de changer de lieu. On quitte fréquemment la campagne pour une ville proche, mais au-delà d’une mobilité régionale existe aussi une mobilité transnationale : au xixe siècle, Paris attire de nombreuses jeunes filles originaires de tous les pays européens, ce qui est le cas d’autres grandes villes comme Budapest et Vienne. La plupart des bonnes viennent de couches sociales modestes et rurales. Leur mode de vie se différencie particulièrement de celui de la bourgeoisie urbaine dans laquelle elles servent.
Ce sont souvent des raisons économiques qui mènent à la décision de travailler comme bonne : le foyer parental a ainsi un enfant de moins à nourrir, et les bonnes envoient leur salaire chez elles. Les jeunes femmes veulent économiser de l’argent, apprendre à tenir un foyer et nouer des contacts avec des employeurs qui pourraient leur servir plus tard. Elles pensent ainsi augmenter leurs chances de trouver un mari et connaître l’ascension sociale en épousant un commerçant, un négociant ou un artisan. Cela n’arrive pourtant que dans environ un tiers des cas. Souvent, les jeunes femmes souhaitent aussi échapper au contrôle parental en menant une vie libre et indépendante dans une grande ville.
La recherche de travail prend une place importante dans la vie des bonnes, car les jeunes femmes changent fréquemment de place. Un véritable marché de la domesticité s’établit, caractérisé par de forts réseaux de sociabilités et d’amitié entre les jeunes femmes, mais aussi par la présence d’agences de placement, qui prélèvent des honoraires exorbitants et dont la réputation est souvent très mauvaise. Aussitôt un employeur trouvé, on signe la plupart du temps un contrat de travail flexible à durée déterminée, où le temps de travail est quasiment illimité pour la bonne. Ces domestiques sont particulièrement vulnérables du fait du manque de réglementations juridiques, de leur incapacité à organiser leurs intérêts sur le marché du travail et de leur situation précaire dans le cas où elles perdaient leur travail. Les jeunes femmes peuvent à tout moment et sans aucun motif particulier être mises à la rue, elles doivent alors de nouveau rechercher du travail, situation coûteuse en argent et en temps. De nombreuses jeunes femmes sombrent dans l’alcoolisme et la prostitution.
Au cours du xixe siècle, parallèlement à la redéfinition du rôle des femmes, s’opèrent une distanciation sociale et une transformation du rapport à la domination. Les domestiques cessent de faire partie de la famille. La séparation spatiale est avant tout visible en France, où les domestiques de Paris vivent dans des « chambres de bonnes » au 6e étage, auxquelles on accède par un escalier de service. Les conditions d’hygiène dans ces petites chambres mal aérées font souvent l’objet de plaintes, y compris de la part des autorités françaises.
Au tournant du siècle, il y a de moins en moins de postes de domestique à pourvoir, tandis que le nombre de bonnes baisse. On débat alors en Allemagne de « la question de la domesticité », ou comment continuer à combler ces besoins. De plus en plus de femmes gagnent leur vie dans l’industrie, les bureaux, les grands magasins et les commerces, de même que dans le secteur des services, comme en blanchisserie ou en restauration. La diminution du nombre de personnel domestique se poursuit sans discontinuer jusqu’à l’après-Seconde Guerre mondiale. Seules les années 1920 et 1930 voient la tendance s’inverser brièvement. La hausse est surtout importante en Norvège, en Angleterre, en Belgique, en Italie, aux États-Unis et dans la Russie post-révolutionnaire, un peu plus faible en France. Cela s’explique par la crise économique mondiale, qui entraîne une fermeture du marché du travail aux jeunes femmes, de sorte qu’elles sont à nouveau plus nombreuses à tenter de pénétrer dans les foyers privés. En Italie et en Allemagne, l’arrivée du fascisme entraîne aussi une inversion de la tendance : les femmes sont assignées au rôle de mère et d’épouse. Sur le plan idéologique, la valeur morale du travail domestique est mise en avant. Comme les jeunes femmes doivent malgré tout subvenir à leurs besoins ou à ceux de leur famille, elles migrent dans les villes pour y trouver un salaire en tant que bonnes.
Après la Seconde Guerre mondiale, la domesticité a en grande partie disparu du monde professionnel, notamment parce que la classe moyenne ne peut plus se permettre d’avoir des domestiques. De façon surprenante, les dernières décennies du xxe siècle assistent à une nouvelle augmentation du nombre d’employés de maison en Europe et aux États-Unis. Venues d’Asie, ce sont principalement des femmes philippines qui travaillent comme aides ménagères, mais il y a aussi des femmes venant d’Europe de l’Est, d’Amérique latine et d’Afrique. Le nombre de domestiques masculins ré-augmente également.
Aujourd’hui aussi, des aides ménagères sont requises en Allemagne, en France, en Italie et aux États-Unis, principalement pour permettre aux femmes ayant une famille d’exercer une profession. À la différence du xixe siècle, l’emploi de travailleuses domestiques n’est plus une question de statut, mais de besoin. Pour autant, l’égalité entre femmes et hommes dans les pays européens se paie par une inégalité accrue entre classes sociales et entre pays. Il en est de même dans l’assistance aux personnes âgées et aux malades, ce sont souvent des femmes issues de l’immigration qui travaillent comme aides ménagères. La plupart d’entre elles sont mobiles sur une durée déterminée et effectuent des allers-retours transnationaux. On observe peu de changements dans la situation souvent précaire de ces jeunes femmes et l’isolement auquel elles sont exposées rend en outre difficile la possibilité de s’organiser collectivement et de se protéger des abus.