Une forte augmentation des femmes migrantes dans l’UE
Le projet politique et économique de la construction européenne a commencé dans une Europe réduite à six pays dont cinq perçus comme pays d’immigration et un comme d’émigration (Italie). Dans cette Communauté économique européenne en gestation, les femmes, nettement minoritaires parmi l’ensemble des migrant·es, présentent un taux d’activité généralement inférieur de plus de 30 points par rapport aux hommes. En 1986, l’Acte unique européen est une étape importante pour l’organisation des mobilités au sein et en direction de l’Europe communautaire. Elles suivent une tendance à l’échelle mondiale puisque près de la moitié des migrant·es sont de nos jours des femmes (48,6 %), dont le déplacement est moins familial et davantage individuel, autonome (Commission mondiale sur les migrations internationales, 2005). Dans de nombreux contextes migratoires, les femmes sont impliquées de manière active dans les réseaux et circulations européennes et transnationales et entrent en ligne de compte à la fois comme co-décideuses, comme réceptrices d’envois de fonds ou comme migrantes et, à ce titre, initiatrices des transferts d’argent. Pendant les trois dernières décennies, la possibilité de mobilité a davantage contribué à l’accès à l’indépendance sociale, résidentielle, et professionnelle féminine.
Les institutions européennes ont souhaité encourager les mobilités étudiantes européennes. Le programme de coopération universitaire ERASMUS est créé en 1987. On considère que celui-ci a permis la mobilité de cinq millions d’étudiant.es en 32 ans, dont une légère majorité de femmes (56 % des étudiants concernés en 2018). Certes, les mobilités officiellement associées à ces échanges sont de courte durée (généralement inférieure à un an, le seuil de durée pour définir internationalement une personne comme migrante), mais une proportion élevée d’ancien·nes étudiant·es ERASMUS poursuivent leurs cursus et carrières professionnelles par des mobilités en Europe. Élément favorable à l’émergence d’un sentiment de citoyenneté européenne, on estime à un tiers le nombre d’étudiant·es ERASMUS qui constitue un couple avec un·e citoyen·ne d’un autre pays européen, et on considère ainsi que jusqu’à un million de « bébés ERASMUS » seraient nés en Europe depuis trente ans.
L’effondrement des régimes communistes d’Europe de l’Est, au début des années 1990, a également favorisé le développement de migrations intra-européennes et entraîné de profonds changements dans les profils migratoires des femmes entrant dans les pays d’Europe occidentale. L’assouplissement des politiques de visa, l’élargissement de l’Union européenne (UE), ainsi que l’introduction de l’économie libérale dans les anciens pays communistes facilitent cette mobilité avec un quasi-équilibre entre hommes et femmes (52 % pour 48 %). Cependant depuis 2010 les femmes sont majoritaires à immigrer à Chypre, en Italie, Espagne, France et en Irlande. Alors qu’en Italie et en Espagne, les femmes immigrées les plus nombreuses viennent toujours de l’Est (Roumanie, Bulgarie), les femmes venues de l’Afrique, et dans une moindre mesure de l’Asie, prennent le relais. Comme les Philippines, Sri-Lankaises ou Vietnamiennes à Chypre.
La migration, facteur d’émancipation pour les femmes ?
Ces migrations s’opposent au modèle jusque-là dominant, d’une migration dont l’objectif serait une installation définitive. Les femmes provenant de l’ex-bloc soviétique (Albanie exclue) émigrent en tant que cheffes de ménage (« breadwinners ») et sont majoritairement employées en tant que femmes de ménage, gardiennes de petits enfants et de personnes âgées ou dans le secteur du tourisme. Beaucoup n’aspirent pas à faire venir leur famille et investissent au contraire leurs revenus dans leur pays d’origine.
Par ailleurs, depuis le début du xxie siècle perdurent des migrations alternantes (« in and out migrations ») où les femmes jouent un rôle prépondérant. Il s’agit majoritairement de déplacements liés à des activités commerciales d’import-export (la sociologue Mirjana Morokvasik l’a montré pour les femmes originaires d’Europe de l’Ouest, la chercheuse Camille Schmoll a fait de même, en 2005, pour les femmes tunisiennes pratiquant le commerce international).
Les conditions de vie des migrantes dans les pays d’accueil obligent parfois ces derniers à légiférer. Une étape importante est franchie avec la reconnaissance, par les administrations concernées et les juridictions, de l’existence de réseaux d’exploitation de femmes, réseaux de prostitution trouvant leurs origines dans les pays de départ. Ainsi, le concept de « groupe social » (par exemple celui des femmes nigérianes cherchant à se soustraire des réseaux de prostitution, ou encore celui des femmes cherchant à échapper à un mariage forcé) apparaît dans les jurisprudences nationales – c’est le cas en France depuis le début des années 2000 -, sur fond de légitimation par les juridictions européennes. Les femmes persécutées dans leurs pays, mais aussi celles risquant de l’être, peuvent obtenir une protection internationale, la protection subsidiaire, ou même, comme en France, la reconnaissance de la qualité de réfugiée. Si l’on considère les migrations de filles mineures, de nombreux pays protègent aussi celles susceptibles d’être victimes de mutilations génitales (excision). En France, la Cour nationale du droit d’asile, puis le Conseil d’État en 2012, ont pris d’importantes décisions en ce sens.
Se pose enfin la question de savoir si les migrations dans l’Europe contemporaine sont un facteur d’émancipation des femmes. Il n’y a sans doute pas de réponse unique, mais les femmes migrantes en Europe participent activement à la redéfinition des rôles de genre dans la société, tant dans les mondes professionnels, familiaux que artistiques et intellectuels. Les femmes sont pleinement devenues des sujets de droits, et l’existence, dans la jurisprudence, de groupes sociaux fondés sur leur identité de genre et sur les risques que de nombreuses femmes ont encourus est un progrès important. Les femmes des pays d’Europe ont pu, grâce aux programmes ERASMUS, connaître des mobilités nouvelles et élargir leurs opportunités professionnelles et leur choix de vie. Dans le cas des femmes provenant des pays de l’ex-bloc communiste, la migration devient un moyen de maintenir une place sociale et des identités professionnelles qu’elles ont perdues après la chute du communisme dans leur pays d’origine, tandis que les femmes provenant de l’Afrique ou de l’Asie peuvent obtenir un nouveau statut social à travers cette mobilité. Cependant, de plus en plus, est mis l’accent sur l’effet de certaines politiques d’austérité dans l’Union européenne, qui ont pu plonger des jeunes femmes dans des difficultés économiques les empêchant de migrer, ralentissant le développement des politiques sociales visant à leur intégration, pour certaines, les forçant à migrer, pour d’autres.