La contre-révolution, culture politique structurante tout au long du xixe siècle dans l’ouest du continent européen, et plus particulièrement dans les pays catholiques autour du bassin méditerranéen, accorde un rôle paradoxal aux femmes. Les contre-révolutionnaires, partisans d’un système inspiré de l’Ancien Régime et soucieux de maintenir la sujétion féminine dans le cadre du foyer comme dans celui de la société, laissent pourtant aux femmes des marges de manœuvre importantes.
Ce paradoxe trouve en partie ses racines dans la symbolique et les représentations des mouvements contre-révolutionnaires depuis 1789. Les princesses occupent en effet une grande place dans les panthéons légitimistes. Si Marie-Antoinette (1755-1793) constitue une figure précoce et transnationale de cette dévotion envers les reines et princesses persécutées par la Révolution, à travers une production écrite et artistique qui les exalte, le phénomène se poursuit tout au long du xixe siècle, comme l’illustre le cas de Madame Royale (1778-1851), l’orpheline du Temple. Ces princesses sont pourtant loin de ne constituer que des faire-valoir passifs. Marie-Thérèse de Portugal (1793-1874) et Marie des Neiges de Bragance (1852-1941) en Espagne, Caroline de Bourbon-Sicile, duchesse de Berry (1798-1870) en France, ou Marie-Sophie de Bavière, reine des Deux-Siciles (1841-1925) en Italie, s’engagent physiquement dans la lutte pour la Restauration et incarnent ainsi la cause aux yeux de leurs partisans.
Cette importance symbolique des femmes au sein de la contre-révolution a aussi trait à l’essor de la dévotion à la Vierge Marie dans le monde catholique au xixe siècle, essor couronné par la proclamation en 1854 du dogme de l’Immaculée Conception. Dans une culture politique marquée par le catholicisme, la Vierge Marie devient une figure tutélaire internationale, secondée par des incarnations nationales (Virgen del Pilar, Vierge de Lourdes), qui rejoint des héroïnes autochtones : Jeanne d’Arc en France, Agustina de Aragón en Espagne, etc. En 1799, les insurrections anti-françaises se font au cri de « Viva Maria » en Toscane ; au cours des deux guerres carlistes en Espagne (1833-1840 et 1872-1876), les armées légitimistes sont placées sous la protection de la Vierge.
C’est que les femmes tiennent une place particulière dans les soulèvements contre-révolutionnaires et les guerres civiles menées par les légitimistes. Leur présence dans les prises d’armes contre-révolutionnaires se décline sous deux formes. Elle peut d’abord se traduire par leur prise d’armes. Quoique limitée, cette forme d’action est révélatrice : on la retrouve aussi bien pendant la révolte de Maria da Fonte au Portugal en 1846, lancée par des femmes et qui mène à la guerre de la Patuleia (1846-1847), que pendant le soulèvement anti-unitaire des années 1860 dans le sud de l’Italie, dont Michelina di Cesare (1841-1868) devient une figure de proue. De façon plus générale, les femmes ont surtout une fonction logistique dans les guerres civiles contre-révolutionnaires et offrent une assise à des mouvements souvent fondés sur la guérilla et pour lesquels le soutien des communautés locales a une importance cruciale. La Vendée, le Douro, la Navarre ou le Mezzogiorno en sont les principales incarnations. Cette place des femmes dans l’accueil et l’approvisionnement des soldats introduit le paradoxe de leur condition au sein de la contre-révolution : cantonnées à des domaines correspondant à une conception genrée des rôles, elles y disposent pourtant d’une véritable autonomie et d’une reconnaissance pour leur action.
C’est ainsi qu’elles sont considérées comme les vectrices de la fidélité familiale à la cause à travers l’éducation des enfants. La transmission de l’engagement politique leur est donc dévolue, quand bien même les discours mettent en valeur une transmission masculine. Cette mission fait aussi d’elles les porteuses de la mémoire des combats passés et ce sont souvent elles qui se chargent de mettre par écrit la geste de leurs pères, de leurs frères ou de leurs maris : que l’on pense en France à la marquise de La Rochejaquelein (1772-1857) ou à Victoire de Kermel (1824-1911), femme du général Henri de Cathelineau (1813-1891).
La religion et les œuvres charitables sont un autre terrain d’action des femmes au sein de la contre-révolution. Celles-ci s’inscrivent dans le double contexte d’un investissement traditionnel féminin dans les activités caritatives de l’Église catholique et d’un engagement de femmes issues des élites traditionnelles, en particulier de la noblesse, dans les œuvres au xixe siècle. Elles deviennent un pivot des activités qu’on associe au concept de care – aide aux blessés dans les guerres, aux plus pauvres, aux plus fragiles, au sein d’un système paternaliste. Cet investissement est aussi révélateur de la dimension de classe qui régit l’action des femmes contre-révolutionnaires : les femmes de la noblesse ou de la bourgeoisie disposent d’une plus large capacité d’action.
Les femmes acquièrent donc un rôle à part qui traduit une liberté d’action assez remarquable au regard d’un contexte européen où leur rôle politique reste très souvent nié. Plusieurs études montrent ainsi un engagement important de leur part dans les souscriptions et les récoltes d’argent en faveur de telle ou telle cause, en particulier dans le denier de Saint-Pierre, destiné à venir en aide à la papauté. Elles sont aussi à la pointe des combats visant à préserver l’assise sociale de l’Église catholique, comme le révèle leur fort engagement dans la campagne pétitionnaire contre la liberté des cultes en 1869 en Espagne. Toujours privées du droit de vote, elles interviennent pourtant sur la scène publique et dans les débats politiques à travers ces pétitions et ces souscriptions relayées par la presse.
Dès lors, la contre-révolution, malgré une conception régressive de l’action politique et du rôle des femmes, constitue un lieu d’action pour elles, que l’on retrouve dans les avatars de cette famille politique au xxe siècle, mouvements catholiques ou conservateurs. Ainsi, ce sont des femmes catholiques qui s’engagent dans des ligues, en France ou en Italie, pour combattre la perspective d’un élargissement du suffrage aux femmes dans les années 1900.