Transidentités : histoire d’une catégorie

xxe-xxie siècle

Le terme transidentités, apparu en Allemagne au début du xxe siècle, renvoie à un ensemble de pratiques d’identification à un genre différent de celui assigné à la naissance. La définition des transidentités se situe à la croisée des discours médicaux, des prescriptions juridiques et des pratiques sociales. Les avancées médicales et chirurgicales depuis le premier tiers du xxe siècle rendent possible le changement de sexe ; selon les pays, celui-ci peut comporter une dimension thérapeutique et s’accompagner d’une modification de l’état civil. À partir de la décennie 1960, les transidentités deviennent plus visibles et à des rythmes différents selon le contexte politique national ; des mesures médicales et juridiques sont adoptées pour prendre en compte les demandes des « trans », souvent sous la pression des nouvelles normes internationales. Durant les années 1990, des associations voient le jour et s’européanisent pour dépsychiatriser la transidentité ; elles trouvent dans la Cour européenne des droits de l’homme une alliée pour faire évoluer les législations nationales.

Symbole transgenre. Source : Wikimedia Commons.
Sommaire

Les « transidentités » recouvrent diverses pratiques d’identification à un genre différent de celui assigné à la naissance. Elles ne se résument pas au seul terme de « transsexualisme », qui renvoie à un trouble, une pathologie, souvent associés à un dégoût de son sexe anatomique et à une volonté d’opération. Situées entre questions juridiques, mouvements sociaux et questions médicales, les transidentités sont en 2017 devenues, un enjeu majeur dans la lutte contre les discriminations.

Le berceau des transidentités se trouve en Allemagne : en 1910, en effet, le médecin Magnus Hirschfeld (1868-1935) décrit des personnes exprimant le sentiment que leur sexe anatomique ne correspond pas à celui auquel elles ont l’impression d’appartenir. Les avancées théoriques et médicales et les progrès de la chirurgie (vaginoplasties, phalloplasties, mammectomies, etc.) se combinent alors pour accompagner pleinement les avancées techniques du changement de sexe. Ainsi, selon Hirschfeld, une première mammectomie dans le cadre d’une transition aurait eu lieu en 1912. Et en 1930, à Dresde, Félix Abraham (1901-1937), son disciple, procède à la première vaginoplastie sur Dora, patiente ayant déjà subie une castration et une pénectomie.

Dans le même temps, au Danemark, des opérations de changement de sexe, sans reconnaissance de sa dimension thérapeutique, s’accompagnent d’un changement de prénom ; les patientes, telle Lili Elbe (1882-1931), dont s’inspire Danish Girl de Tom Hooper (2015), sont acceptées comme des « homosexuels demandant une stérilisation ». L’arrivée au pouvoir des Nazis en 1933 suspend les recherches sur les transidentités menées par Hirschfeld et ses disciples, elles se prolongent alors outre-Atlantique. En 1953 l’endocrinologue états-unien d’origine allemande Harry Benjamin (1885-1986) définit le transexualisme comme « le sentiment d’appartenir au sexe opposé et le désir corrélatif d’une transformation corporelle », et distingue le « transsexualisme » de l’homosexualité. La réception européenne de ce concept est lente : en Allemagne on lui préfère le terme de « travestite », et en France, celui d’homosexualité occulte, jusque dans les années 1970, celui de transexualisme. Néanmoins, en 1956, le Français Jean-Marc Alby (1926-2003) soutient une thèse intitulée Contribution à l’étude du transexualisme qui s’oppose aux demandes de changement de sexe et témoigne du poids de la psychanalyse contre les propositions psychiatriques.

Des révélations dans la presse, telles celle d’April Ashley (née en 1960) en Grande-Bretagne, et de Coccinelle (1931-2006) en France rendent plus visible le « transexualisme ». Les demandes des trans interpellent la médecine et la justice. Toutefois, en France, le Conseil de l’ordre des médecins refuse l’accompagnement chirurgical des opérations des trans. En 1972, les Pays-Bas et la Suède établissent des soins remboursés pour les personnes demandant des réassignations chirurgicales. S’inspirant des modèles états-uniens, on tente, en Angleterre et en France, de mettre sur pieds des gender clinics, c’est-à-dire des regroupements de médecins chargés de suivre les demandes de transition durant la seconde moitié des années 1970. La première équipe française reconnue voit le jour en 1979 à Paris, autour des professeurs Jacques Breton (psychiatre à Fernand Widal), Jean-Pierre Luton (endocrinologue à Cochin) et Pierre Banzet (chirurgien plasticien à Saint-Louis). Si la médecine avance timidement vers une prise en charge des demandes de changement de sexe, c’est en partie sous la pression de nouvelles normes internationales, comme le Diagnostic and Statistical Manual (DSM) établi par l’Association américaine de psychiatrie (APA), référent majeur en ce domaine, mais objet aussi de critiques – qui tendent à reconnaître la « dysphorie de genre » comme une maladie mentale. Dans ce contexte, le droit autorise aléatoirement des changements d’état civil. La Belgique ouvre cette possibilité dès 1973, des tribunaux français (Toulouse, 1977) autorisent des opérations si l’objectif « thérapeutique » est avéré, tandis que d’autres (Saint-Étienne, 1978) valident même des changements d’état civil. Faute de témoignages, la situation dans nombre de pays est peu connue ; on sait que l’Espagne franquiste criminalise les changements de sexe quand l’URSS les passe sous silence : en Lettonie, le professeur Kalnberz opère en 1970 une patiente, Inna. Dans d’autres États, les opérations de réassignations tardent à être autorisées (Allemagne de l’Ouest, 1981 – Italie, 1982) et y sont conditionnées au changement d’état civil, et non l’inverse. Le couple « psychiatrie-droit » entérine alors, sous des formes variées, une reconnaissance des personnes trans, à la condition d’un diagnostic psychiatrique attestant de la demande. Ces conditions strictes privent de nombreuses personnes des opérations. En 1983, à Bordeaux, le VIIIe congrès de la HBIGDA (Harry Benjamin International Gender Dysphoria Association, actuellement World Professional Association for Transgender Health) dénonce cette situation ; en 1986, suite à des plaintes de citoyen.ne.s trans britanniques et belges, la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) refuse d’imposer aux États membres une procédure de changement d’état civil.

À partir des années 1990, et plus encore après les années 2000, naissent dans les pays occidentaux de nombreuses associations trans, militant en faveur de la reconnaissance juridique et du changement des mentalités. Alors que la reconnaissance psychiatrique avait permis une institutionnalisation du « transsexualisme », sa définition par la psychiatrie provoque une pathologisation forte des personnes concernées. Ces associations s’européanisent rapidement autour de structures comme l’« ILGA » (International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association, fondée dès 1978) ou « Transgender Europe » (2005) ; elles entérinent un triple mouvement, caractéristique de nombreuses associations nationales : l’expertisation (notamment juridique), la professionnalisation (sur les questions de santé par exemple) et l’internationalisation. En portant des projets de lois, en fondant des groupes d’auto-support et en rédigeant des rapports sur l’état des discriminations, elles dynamisent le mouvement trans européen. En 2017, celui-ci doit toujours lutter contre toutes les formes de transphobie, il milite pour la dépsychiatrisation des parcours de changements de sexe et leur prise en charge dans l’ensemble des pays membres de l’Union.

En parallèle, des évolutions juridiques sont enregistrées en faveur des droits des personnes trans. La France est condamnée en 1992 par la CEDH pour non-respect de la vie privée de la personne, puisqu’elle doit se justifier systématiquement de la différence entre son apparence et le sexe légal. La législation française est modifiée et élargit le droit au changement de sexe à l’état civil. La même année, la jurisprudence polonaise autorise des changements de sexe. En 1994, le juriste et activiste Stephen Whittle (né en 1955) réclame une loi reconnaissant les personnes trans : le Gender Recognition Act est voté en 2004. L’année précédente, l’Allemagne est, elle aussi, condamnée par le CEDH et fait évoluer son droit. L’Espagne et la Belgique suivent la même évolution, allégeant les parcours et les conditions d’obtention d’un nouvel état civil. Si certains pays sont lents à faire évoluer leur droit (Portugal, France), d’autres (Lettonie, Lituanie) ne disposent en 2017 d’aucune disposition pour accompagner les demandes des personnes trans.

Citer cet article

Arnaud Alessandrin , « Transidentités : histoire d’une catégorie », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/06/20 , consulté le 05/10/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/12504

Bibliographie

Foerster, Maxime, Elle ou lui ? Une histoire des transsexuels en France, Paris, La Musardine, 2012.

Stryker, Susan, Whittle, Stephen, The Transgender Studies Reader, New York, Routledge, 2006.

Ayoub, Philipp, Paternotte, David, LGBT Activism and the Making of Europe : a Rainbow Europe ?, Houndmills, Basingstoke, Hampshire, Palgrave Macmillan, 2014.

Vidéos INA

Reportage sur l'AMAHO, Association pour les malades hormonaux. A2. 1980

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