L’adjectif « naturiste » apparaît dans le vocabulaire médical à la fin du xviiie siècle. Il qualifie alors l’attitude de médecins qui, par scepticisme vis-à-vis de la pharmacopée classique, choisissent de s’en remettre à la disposition naturelle des organismes vivants à lutter pour recouvrer la santé. Plus qu’à un véritable corps de doctrines, le terme renvoie à une éthique médicale fondée sur l’observation attentive de la marche des maladies et sur une certaine abstention thérapeutique, le médecin devant veiller à ne pas perturber la « force médicatrice de la nature ». Intimement lié au contexte culturel de l’époque, ce naturisme médical des Lumières décline dans le premier tiers du xixe siècle. À bien des égards, il apparaît rétrospectivement comme une étape dans l’élaboration d’une conception sécularisée de la physiologie – la spécificité du corps vivant n’étant plus attribuée à l’intervention d’un principe spirituel, mais à l’action d’une force naturelle –, et dans la naissance de la médecine clinique.
Le scepticisme médical dont ce naturisme était porteur subsiste néanmoins. Dans les pays germaniques, une partie de l’aristocratie et des élites cultivées se détourne de la médecine officielle et préfère s’en remettre aux traitements empiriques de guérisseurs. Qu’il s’agisse de la cure d’hydrothérapie du paysan silésien Priessnitz (1799-1851), de celle du curé bavarois Kneipp (1821-1897) ou de la cure atmosphérique du teinturier suisse Rickli (1823-1906), ces systèmes reposent tous sur la certitude que l’exposition du corps aux éléments naturels, associée à un mode de vie simple et rustique, accroît la capacité de l’organisme à lutter contre les maladies. Les médecines naturelles connaissent un véritable succès et l’on assiste, dans toute l’Allemagne, à la formation d’associations vouées à leur promotion. À la veille de la Grande Guerre, l’Union allemande des associations pour une manière de vivre et de soigner conforme à la nature (Deutscher Bund der Vereine für naturgemäße Lebens- und Heilweise) compte ainsi près de 150 000 adhérents. À travers elle se manifeste une forme de résistance sociale à la professionnalisation et à la technicisation de la médecine.
Femmes nues après la baignade, Suède, 1893. Photographie tirée d’un album de famille. Collection particulière.
Plus largement, des années 1870 à la Grande Guerre, la croissance urbaine et industrielle de l’Europe occidentale suscite une critique multiforme de la modernité, qui trouve parfois dans le retour à la nature un remède à la décadence. Adeptes du végétarisme ou des médecines naturelles, promoteurs de la culture physique ou des cités jardins, militants de la lutte contre l’alcool, le tabac ou le port du corset, tous partagent la même hantise de la dégénérescence et la volonté de revenir à un mode de vie jugé plus naturel. En Allemagne, où cette nébuleuse militante est la plus développée, elle se constitue en un véritable mouvement pour une réforme des modes de vie (Lebensreformbewegung). Au sein de ce courant, la résurgence de l’intérêt pour l’Antiquité grecque et la recherche du contact avec la nature conduisent certains auteurs à prôner les vertus hygiéniques, esthétiques et éthiques de la nudité. Selon eux, le corps nu serait par nature non érotique. En revanche, le développement de la pudeur, en éveillant des curiosités et des obsessions malsaines, aurait entraîné la multiplication des vices et des perversions. Le dévêtissement intégral, collectif et mixte permettrait alors de retrouver la nudité chaste et ingénue des origines, de libérer l’individu de la honte de son corps et de favoriser des relations saines entre les sexes.
Des associations nudistes se forment alors parmi les classes moyennes urbaines allemandes – qui commencent à profiter de congés payés – et aménagent des bains d’air et de lumière (Licht und Luftbad) pour se ressourcer au contact des éléments naturels. Hors des pays germaniques, en revanche, la nudité mixte et intégrale reste inconvenante. En France, par exemple, les médecins naturistes prescrivent de prendre les bains d’air ou de soleil sexes séparés ou, dans le cadre des bains familiaux, avec un pagne pour les hommes et une tunique pour les femmes.
Il faut attendre l’entre-deux-guerres pour que, suivant l’exemple du nudisme allemand, des mouvements analogues se forment dans le reste de l’Europe. Au Royaume-Uni, l’English Gymnosophical Society fondée en 1922 aménage deux ans plus tard un terrain dans l’Essex. En France, le premier « centre gymnique », le Sparta-Club, ouvre en 1927 dans une propriété de l’Eure. Cette pratique, socialement réprouvée, reste le plus souvent le fait d’un public aisé, regroupé dans des associations locales et de taille modeste. Des tentatives ont lieu pour les rassembler, comme au sein de la ligue Vivre (France, 1927) ou de la British Sun Bathers Association (1943). Toutefois, ce n’est guère qu’en Allemagne, où l’ensemble des groupements totalise environ 100 000 adhérents, qu’existe véritablement un nudisme de masse. L’avènement du nazisme conduit à la dissolution de ces associations. Seul subsiste le Bund für Leibeszucht, organisation raciste, exaltant le corps « aryen », qui obtient finalement le soutien du régime.
Tract du Sparta-Club (1932), « centre gymnique » fondé en 1926 (collection de l’auteur).
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, on assiste à une véritable démocratisation du naturisme nudiste et à l’émergence d’organisations de grande envergure en Europe de l’Ouest : Deutscher Verband für Freikörperkultur (RFA, 1949), Fédération française de naturisme (1950), Central Council for British Naturism (1964), Unione naturisti italiani (1964). Ces fédérations, elles-mêmes rassemblées au sein de la Fédération naturiste internationale (1953), accompagnent l’intégration progressive du naturisme à l’économie du tourisme de masse. En RDA, malgré les tentatives du pouvoir d’en prohiber la pratique, le nudisme s’impose comme un loisir populaire, notamment sur le littoral de la mer Baltique.
En se démocratisant, le naturisme voit s’émousser le degré de conviction et d’engagement individuel nécessaire à sa pratique. Certes, il reste associé à la dénonciation des excès de la vie moderne, à la volonté de retrouver une relation harmonieuse avec la nature et à un idéal de vie saine. Mais la fréquentation des centres naturistes semble principalement motivée par la possibilité qu’elle offre d’éprouver les plaisirs du contact du corps nu avec les éléments naturels. Le naturisme s’est ainsi chargé d’une dimension hédoniste, signe de l’émergence d’une nouvelle forme d’attention de l’individu à son propre corps et aux sensations qu’il lui procure. Certains courants de la contre-culture des années 1960 associent d’ailleurs la pratique de la nudité collective à une révolution des mœurs plus globale, et notamment à une certaine forme de liberté sexuelle. Face à cette évolution, les tenants d’un naturisme plus classique continuent de prôner une nudité chaste, associée à un idéal de vie sobre et rustique.
Parallèlement à ce naturisme-nudiste, qui se développe dans l’ensemble des pays industrialisés dans la deuxième moitié du xxe siècle, subsiste un naturisme médical et hygiéniste, désormais désigné par les expressions « médecine douce » et « médecine naturelle ». Ses adeptes associent généralement le retour à la nature à l’adoption d’un régime diététique particulier, au refus des traitements conventionnels et à un mode de vie échappant, au moins partiellement, à la société de consommation.
Si le naturisme fait l’objet de conflits de définition et de querelles d’héritage dans les milieux militants, le grand public, pour sa part, lie désormais ce terme à la pratique occasionnelle de la nudité collective en plein air, associée dans certains cas à un idéal de vie simple et respectueuse de l’environnement et dans d’autres cas à une forme de libertinage sexuel.