Le xixe siècle est un temps de questionnement de la place des autorités religieuses dans les sociétés européennes : révolutions (France) et processus de construction des nations (Italie, Allemagne, Belgique) marquent durablement les liens entre autorités politiques et catholiques. La lutte contre l’Église est parfois constitutive de projets politiques, en France à partir de 1791 ou en Italie au temps du Risorgimento (1848-1870). L’agitation anticléricale traverse différents pays : en Espagne, les congréganistes sont attaqués lors de la révolution de 1868 qui détrône la reine Isabelle II ; au Portugal lors de la révolution républicaine d’octobre 1910, des prêtres sont arrêtés. Contestée tout au long du siècle, l’Église catholique, institution patriarcale, dirigée par les hommes, cherche à reconquérir une influence en se positionnant sur les terrains du spirituel, du social et de l’intime ; et en s’appuyant sur une différence sexuée naturalisée qu’elle contribue à produire et à renforcer.
Au xixe siècle, les femmes, dans l’ensemble plus pratiquantes que les hommes, sont considérées comme les agents privilégiés de la conversion des hommes et des enfants grâce à leur rôle d’épouses et de mères. Le clergé diffuse des modèles de dévotion renouvelés, jugés plus adaptés à un public féminin. Le culte du Sacré-Cœur fait florès, de Madrid à Rome en passant par la Belgique. Les associations de femmes sont encouragées à consolider la place du catholicisme dans les champs du social et du spirituel. Congrégations féminines soignantes et enseignantes, associations de femmes catholiques défendent une maternité sociale et spirituelle, par le soin de l’enfant ou du plus démuni. L’engagement des femmes laïques prend des accents politiques, du côté des légitimistes espagnols dans la seconde guerre carliste (1846-1849), ou encore en opposition à l’unification italienne jusqu’à la prise de Rome en 1870. Dans l’éducation, le soin et, sur le terrain missionnaire, l’autorité religieuse sont de plus en plus incarnés par des religieuses. Elles occupent des places inédites : entrer en religion permet de se soustraire à l’autorité du père et du mari et de construire de véritables carrières professionnelles. Cela conduit à des négociations, des appropriations, voire des contestations des pouvoirs masculins dans l’Église. Des congrégations cherchent à gagner une autonomie spirituelle vis-à-vis des aumôniers et congrégations masculines. Quelques femmes, à l’instar de la carmélite Thérèse de Lisieux (1873-1897), expriment un désir de sacerdoce.
Les autorités catholiques promeuvent un système de genre attribuant aux hommes et aux femmes des rôles différents, d’après une conception essentialiste de leurs natures. Aux femmes la maternité, l’éducation et le soin de la famille ; aux hommes les affaires publiques et économiques. Cela ne signifie pas que les modèles de féminité et de masculinité soient rigides. La masculinité catholique met en avant des qualités considérées ailleurs comme « féminines » : l’investissement dans le foyer ou l’aptitude à la sensibilité. Au xxe siècle, les dévotions encouragées soulignent les attendus de genre au sein de la famille, par exemple via la figure du Christ-Roi (instituée fête universelle par Pie XI en 1925). Cette dévotion consiste en un couronnement d’une statue du Sacré-Cœur de Jésus dans l’espace domestique. Garçons et filles ne sont pas appelés aux mêmes tâches au nom d’une conception personnaliste, différentialiste et naturaliste du genre. L’Église réaffirme aussi sa position en matière de morale conjugale en condamnant le recours aux méthodes contraceptives pour les couples catholiques mariés (Casti conubii, 1930), là où l’anglicanisme adopte une attitude plus souple. Rome continue également à s’opposer à l’école « géminée » (mixte) durant l’entre-deux-guerres.
L’évolution des modèles de genre révèle cependant la plasticité avec laquelle, au nom d’un idéal pastoral de reconquête, les autorités catholiques consentent à des innovations. Les ligueuses françaises ou italiennes, les laïques engagées dans le syndicalisme chrétien, les membres féminins des instituts séculiers (reconnus en 1947) font évoluer la place des femmes catholiques européennes. Elles sont appelées à s’emparer des problèmes sociaux de leur temps, bien que les assignations de genre qu’elles subissent restent stables : la préparation à la maternité personnelle et domestique, sublimée et sociale (le care). En Espagne, le mouvement féminin de l’« aide sociale » (auxilio social), « ordonné par Dieu », placé sous le patronage de Thérèse d’Avila (1515-1582) et d’Isabelle de Castille (1451-1504), intègre en 1937 la section féminine de la Phalange, et promeut une « femme nouvelle » ancrée dans un idéal antiféministe qui est celui du franquisme. Cela témoigne de l’hybridation entre une forme nouvelle, s’inspirant du fascisme dans son organisation, et une idéologie de genre pérenne.
Les ruptures interviennent à partir de la seconde moitié du xxe siècle. Les prêtres ouvriers français questionnent les marqueurs de la masculinité sacerdotale : l’absence de travail salarié et le port de la soutane. De leur essor à partir des années 1940 jusqu’à leur condamnation en 1954, ils cherchent à faire converger masculinités ouvrière et catholique via leurs engagements politiques et syndicaux, pour s’adresser aux hommes des milieux populaires. Après leur condamnation, certains rejoignent la vie laïque en se mariant et fondant une famille. Cette remise en cause interne d’une norme de genre fondatrice du catholicisme n’est cependant pas assez puissante pour ébranler le modèle dominant.
Le concile de Vatican II (1962-1965) constitue un repère important dans un contexte européen de profonds changements. Le travail salarié féminin est désigné sous l’expression de « promotion des femmes », présenté comme un « signe des temps » par Jean XXIII (Pacem in terris, 1963). Paul VI (1897-1978) salue l’essor du « féminisme » malgré de nombreuses restrictions, dans un contexte de libération de la parole. Malgré le salazarisme, en mai 1970, les catholiques portugais du centre académique de la démocratie chrétienne de l’université de Coimbra publient un manifeste exigeant une « égalité radicale pour les femmes ». Les questions de morale conjugale préoccupent les catholiques laïcs. Les pères conciliaires se voient retirer la question du birth control confiée par le pape à une commission ouverte à des couples. Contre son avis, Paul VI réitère la condamnation de la contraception (Humanae vitae, 1968). En 1971 enfin, le synode romain sur les ministères ordonnés referme la porte entrouverte au sujet du sacerdoce : les prêtres catholiques resteront des hommes célibataires.
La crise des années 1970 passée, les autorités religieuses n’abandonnent pas leur prétention à normer les comportements sexués et genrés des sociétés européennes au nom d’une tradition théologique. On assiste au contraire, depuis les années 1980, à une reconfiguration identitaire du catholicisme autour d’une idéologie de genre aux accents intransigeants. Cela passe par la défense d’une « anthropologie », animée par des mouvements de laïcs engagés. En 2013, en France, ces groupes se font entendre et disent leur attachement au modèle conjugal et familial hétérosexuel qui doit pouvoir s’appliquer à tous, même aux non-croyants. La loi d’ouverture du mariage à tous, même votée et acceptée par le Conseil constitutionnel, est jugée illégitime. De même, les évêques irlandais s’opposent au mariage pour les couples homosexuels lors du référendum de 2015, bien cela n’empêche pas, dans ce pays à forte tradition catholique, le « oui » de l’emporter. Réfléchir au lien entre genre et autorités catholiques aux xixe et xxe siècles revient donc aussi à s’interroger sur le rôle tout à la fois émancipateur et conservateur des structures religieuses à l’égard des rôles de genre en Europe.