Collaborations en Europe (1939-1945)

La collaboration en temps de guerre ne concerne pas uniquement les rapports entre occupants et occupés mais aussi l’aide apportée par tout gouvernement à un régime criminel. Durant la Seconde Guerre mondiale, la collaboration des gouvernements et citoyens est déterminante pour la mise en place et le maintien de la domination allemande en Europe continentale et participe de la persécution et déportation des Juifs d’Europe.

Poignée de main entre Pétain et Hitler le 24 octobre 1940 à Montoire-sur-le-Loir.
Sommaire

L’occupation d’un territoire fait partie des guerres et entraîne des comportements de collaboration ou de résistance. Le développement d’une conscience nationale à partir de la fin du xviiie siècle et l’identification croissante du citoyen avec l’État changent le regard sur ces comportements, impliquant un jugement moral relatif à la loyauté vis-à-vis de l’État ou à sa trahison. Durant la Seconde Guerre mondiale et en lien avec les crimes commis par l’Allemagne nazie, le terme de « collaboration » a cependant pris la connotation véritablement négative que nous lui connaissons aujourd’hui.

Force est de constater que cette collaboration apportée par des gouvernements comme par de simples citoyens est un élément fondamental dans le fonctionnement de l’Europe allemande. Elle n’est aucunement un fait marginal, contrairement à l’engagement idéologique explicite de certains Européens pour la cause nazie. Le phénomène ne se limite pas aux pays occupés par la Wehrmacht : les gouvernements des pays libres comme la Finlande, la Hongrie, la Roumanie ou la Bulgarie ont collaboré, comme l’ont aussi fait ceux des pays neutres, tels la Suisse, la Suède ou le Portugal, chacun certes à des degrés divers.

Définition

La collaboration, aussi diverse soit-elle dans ses motivations et ses réalités, correspond toujours à un soutien à l’Allemagne nazie, du moins à sa gestion de guerre. Dès 1968, l’historien Stanley Hoffmann a proposé une distinction entre une première collaboration de nécessité, ou « collaboration d’État », qui peut être volontaire ou involontaire et qui vise le maintien de l’ordre public et de la vie économique (intérêts partagés autant par l’occupant que par l’occupé) – c’est le cas du gouvernement de Vichy –, et une deuxième collaboration, désirée et individuelle, motivée par la conviction ou une convergence idéologique, le « collaborationnisme ». L’historien polonais Czesław Madajczyk fait la distinction entre collaboration « nuisible » et collaboration « utile ». Mais les limites entre les différentes formes de collaboration sont perméables, bon nombre d’ultracollaborationnistes estimant agir en patriotes.

Motivations

Dans le cas d’une occupation comme dans celui d’une alliance acceptée plus ou moins librement, la collaboration s’appuie sur des intérêts partagés. L’Allemagne nazie compte notamment sur les pays occupés, satellites et alliés, pour assurer son ravitaillement et son approvisionnement ; leur coopération devient donc indispensable pour la gestion de la guerre. Par ailleurs, les gouvernements collaborateurs servent par leur adhésion aux positions nazies à construire une légitimité aux politiques d’agression, de répression ou de persécution. Quant aux pays collaborateurs, ils tentent d’acquérir une place plus ou moins honorable dans le nouveau dispositif européen sous emprise allemande, de sauvegarder une indépendance ou de parvenir à la révision de statuts ou de frontières issus des traités de paix d’après 1918. Ce phénomène s’observe dès 1938, à l’exemple des États balkaniques qui souhaitent se protéger, notamment, des visées expansionnistes de l’URSS. En 1940, la France de Vichy espère, de son côté, sauvegarder son unité territoriale, tout en tirant profit de la défaite pour instaurer un régime autoritaire.

Stratégies et pratiques allemandes

Afin de stimuler la collaboration, Berlin emploie de nombreux agents officiels et officieux à l’étranger qui ont pour mission de renforcer les courants anticommunistes et antisémites et de présenter le régime totalitaire sous l’aspect de la modernité et du progrès social. Apparaît ainsi un groupe de – souvent jeunes – « experts » allemands de la collaboration dont Otto Abetz, ambassadeur de 1940 à 1944 dans Paris occupée, qui, en alternant un discours conciliateur et culpabilisateur, aboutit à des résultats impressionnants. C’est le cas également de Rudolf Rahn, de Manfred von Killinger, d’Edmund Veesenmayer, ou encore de Hermann Neubacher, proche de Hermann Göring, qui gère l’exploitation des économies de l’Europe du Sud-Est. Généralement, les conceptions idéologiques ne viennent qu’après les priorités d’ordre sécuritaire, économique et militaire : tant que les élites politiques, économiques et administratives traditionnelles sont prêtes à collaborer et à assurer le maintien de l’ordre, Berlin se montre peu enclin à recourir aux collaborateurs extrémistes. Au niveau économique, les échanges s’articulent autour du clearing, un système de compensation négocié. Présenté à l’origine comme une alternative au libéralisme anglo-saxon pour sortir de la crise d’endettement, il se transforme en un redoutable outil d’exploitation des économies européennes.

Radicalisation

L’attaque de l’URSS par l’Allemagne en 1941, présentée comme le combat final pour libérer l’Europe du bolchévisme, a de fortes répercussions sur la collaboration européenne et entraîne une radicalisation progressive. Le Reich accroît en effet ses exigences auprès de ses partenaires : livraisons d’armement, approvisionnement en vivres, travailleurs et combattants. Dans le même temps, l’opposition au nazisme s’organise, les mouvements de résistance se développent dans les pays occupés, et cela en dépit d’une répression sévère et systématique. Les élites en place, prêtes jusque-là à coopérer, se retirent progressivement ou ne collaborent plus aussi efficacement. Elles cèdent peu à peu la place aux mouvements collaborationnistes. Ainsi la nomination de Vidkun Quisling, en Norvège, en qualité de ministre-président en février 1942, nourrit de grands espoirs parmi les collaborateurs d’autres territoires occupés. En France, si le retour de Pierre Laval à la tête du gouvernement en avril 1942 se fait sans les collaborationnistes parisiens, il marque néanmoins l’ouverture de grandes négociations franco-allemandes sur des livraisons vers l’Allemagne. Sur pression allemande, des collaborationnistes – Joseph Darnand, Philippe Henriot, Marcel Déat – entrent finalement au gouvernement à partir de décembre 1943.

La persécution et la déportation des Juifs

Cette collaboration européenne s’avère particulièrement néfaste et tragique en ce qui concerne la persécution des Juifs d’Europe. Depuis la fin des années 1930, les diplomates allemands en poste dans les capitales européennes sont chargés, vis-à-vis des gouvernements, de soulever la question de mesures antisémites, afin de conduire, ici encore, à un rapprochement des politiques. Dans ce dessein, Berlin peut s’appuyer sur les courants antisémites existant depuis la fin du xixsiècle. Dans un certain nombre de territoires occupés par le Reich à partir de l’été 1941, des forces politiques locales se livrent à des pogroms, avec ou sans incitation allemande. Berlin cherche aussi des appuis pour la propagande à l’international, notamment en direction des États-Unis : il s’agit alors de légitimer cette persécution d’une partie de la population en l’inscrivant dans un mouvement plus général qui serait suivi par de nombreux États européens. Dans les pays réticents à l’amorcer et à la coordonner, Berlin dépêche des experts issus de l’entourage d’Adolf Eichmann, dont Theodor Dannecker, organisateur des premières déportations en France, puis à Sofia, Rome et enfin à Budapest. En effet, bon nombre de gouvernements et de gouvernants sont prêts à livrer les Juifs de leur territoire aux nazis, participant ainsi à la dimension européenne de la Shoah. L’exclusion des Juifs, leur internement et leur déportation vers les camps d’extermination allemands sont parmi les principaux aspects criminels de la collaboration européenne. Cette assistance apportée par des gouvernements ou des individus a finalement rendu possible un crime de telle envergure.

Citer cet article

Barbara Lambauer , « Collaborations en Europe (1939-1945) », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/06/20 , consulté le 19/04/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/12220

Bibliographie

Hoffmann, Stanley, « Collaborationism in France during World War II », The Journal of Modern History, vol. 40, n° 3, sept. 1968, p. 375-395, version française dans Stanley Hoffmann, Essais sur la France : déclin ou renouveau ?, Paris, Seuil, 1974.

Dieckmann, Christoph (dir.), Kooperation und Verbrechen : Formen der « Kollaboration » im östlichen Europa 1939-1945, Göttingen, Wallstein, 2003.

Hilberg, Raul, La destruction des Juifs d’Europe, Paris, Gallimard, 2006 [1985], 3 vol. (I : 712 p., II : p. 710-1593, III : p. 1595-2402).

Lambauer, Barbara, Otto Abetz et les Français ou l’envers de la collaboration, Paris, Fayard, 2001.

Lambauer, Barbara, « Un engagement pour l’Europe allemande : la collaboration », dans Alya Aglan, Robert Frank (dir.), La guerre-monde, Paris, Gallimard, 2015, p. 1113-1178.

Mazower, Marc, Hitler’s Europe : Nazi Rule in Occupied Europe, Londres, Penguin, 2008.

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