Arme blanche apparue au xviie siècle, la baïonnette vient s’adapter au canon du fusil et constitue un des principaux équipements d’infanterie. La baïonnette à douille, adoptée grâce à Vauban, vient résoudre le problème de la défense du tireur. L’arme à feu peut dès lors être utilisée comme instrument de tir et comme arme d’hast. Cette étape marque durablement les techniques du combat d’infanterie, au moins jusqu’à la Première Guerre mondiale. La baïonnette connaît encore d’autres mutations dans l’après-1945.

Dessin du conte Antonio Cavagna Sangiuliani di Gualdana
Sommaire

Arme blanche apparue au xviie siècle, la baïonnette est une lame qui vient s’adapter au canon d’un fusil ; elle constitue un des principaux équipements du combat d’infanterie. L’adoption de la baïonnette à douille vient révolutionner son usage en permettant d’utiliser l’arme à feu comme instrument de tir et comme arme d’estoc pour le combat rapproché, tout en garantissant la protection du tireur.

Des origines controversées

On attribue la paternité de la baïonnette aux paysans de Bayonne, en révolte dans les années 1660, qui, à court de munitions, fixèrent des couteaux de chasse au bout de leurs bâtons. Séduisante, cette version ne doit pas faire oublier que, dès le début du xviie siècle, les mousquetaires à pied avaient déjà introduit des lames dans le canon des mousquets. Une autre version fait remonter son origine au « baionnier », archer français maniant le couteau court. C’est en tout cas l’épisode de Bayonne qui fixe le terme, à en croire le dictionnaire de Furetière (1690).

Quelle qu’en soit l’origine, les premières baïonnettes apparaissent dans les armées françaises dans les années 1640. Le régiment Royal-Artillerie en est doté en 1671. Elles ne sont alors que des lames d’une trentaine de centimètres de long, directement fichées par une poignée cylindrique dans le canon des mousquets. Ce modèle à manchon laisse la possibilité aux tireurs de se protéger au corps à corps quand une charge ennemie les menace en-deçà de la zone de tir utile du mousquet (moins d’une centaine de mètres), mais ne peut remplacer l’office rempli par les piquiers, chargés de protéger les tireurs. Dotés d’une pique à hampe longue d’environ 4 mètres et munie d’un fer, les piquiers assurent la protection des tireurs lorsqu’ils rechargent leurs armes. La faible cadence de tir rend leur fonction essentielle : une minute est nécessaire pour recharger un mousquet.

Une amélioration décisive

L’introduction du fusil, qui remplace le mousquet sous Louis XIV, vient accroître la cadence de tir mais ne résout pas le problème de la protection des tireurs. C’est l’intuition de Vauban, qui s’en ouvre à Louvois en 1687, de penser à adopter un système qui n’obstrue pas le canon. Naît alors le principe de la baïonnette à douille, composée d’une lame droite avec une base coudée rattachée à une douille cylindrique. Le coude laisse libre l’axe du canon, permettant de recharger sans gêner le passage de la main ou de la baguette. Cette innovation augmente les possibilités de tir tout en permettant au tireur d’assurer sa défense. Une circulaire de novembre 1689 ordonne d’en équiper l’infanterie française. Tous les fantassins et les dragons sont désormais équipés d’armes à feu. Devenus sans utilité, les piquiers disparaissent du règlement militaire de 1703. C’est un élément capital dans l’uniformisation des troupes.

La baïonnette se diffuse rapidement en Europe : son usage contribue à la victoire des jacobites sur les forces soutenant Guillaume d’Orange à Killiecrankie (1689). Des innovations locales viennent en compléter l’usage, tel le système mis au point par Hugh Mackay, la « lame britannique », avec son côté plat et ses deux côtés cannelés.

L’infanterie, reine de batailles

Fortement associée à l’attaque, comme le rappelle au xviiie siècle le feld-maréchal russe Souvorov déclarant : « La balle est folle, mais la baïonnette est une brave ! », la baïonnette a l’avantage d’économiser les munitions ; elle fait figure d’arme des braves puisqu’elle engage un combat au corps à corps. Elle requiert un entraînement spécifique, afin d’acquérir des automatismes. Les tactiques militaires s’adaptent, en théorisant les charges et défenses groupées ; c’est le cas de l’usage de la baïonnette comme épée courte, avec notamment le Baker rifle qui équipe l’infanterie britannique jusque dans les années 1840. L’introduction du fusil rayé à partir de 1854 ne met pas fin à la baïonnette, mais conduit à en développer un usage multifonctionnel, tel le modèle Sawback adopté par la Prusse en 1865 qui permet d’utiliser la lame pour découper les barbelés et couper du bois. La Grande-Bretagne se dote d’un modèle similaire en 1869. Se diffusant dans les armées, la baïonnette voit aussi apparaître de nouvelles formes de combat. Au cours de l’ère Meiji, les Japonais développent une technique de combat particulière, le juken jutsu. Des techniques proches de l’escrime viennent compléter la pratique de cette arme.

La baïonnette rentre dans le quotidien du soldat et trouve une place de choix dans l’argot militaire. Les surnoms affectueux, comme la « Rosalie », côtoient des expressions plus réalistes comme « l’aiguille à tricoter les côtes » ou, pendant la Grande Guerre, le « tire-boche ». « Aller à la fourchette » désigne les charges à la baïonnette, de même qu’un soldat qui embroche un adversaire lui fait « une Rosalie à la boutonnière ». Toutes ces expressions disent l’importance de la baïonnette dans l’équipement, l’entraînement et le quotidien du fantassin. Mais il est à noter que la part qu’elle occupe effectivement dans les combats n’est pas à la hauteur de sa place dans l’imaginaire. Ainsi, au cours de la période 1792-1815, la baïonnette n’est responsable que de 4,5 % des blessures connues chez les vétérans français. Lors de la guerre de Sécession, on compte seulement 1 % de victimes de blessures par baïonnettes.

La Grande Guerre

Bien qu’installée dans une guerre de tranchées, la Première Guerre mondiale voit encore son usage lors des montées à l’assaut. Le jeune capitaine Charles de Gaulle est ainsi blessé à la cuisse par baïonnette en 1916 dans le secteur de Douaumont. Cependant, le mythe des charges à la baïonnette est encore à relativiser. Le fusil Lebel flanqué de sa baïonnette mesure 1,83 m, ce qui le rend difficile à manier. De plus, une fois plantée dans le corps de l’ennemi, elle n’est pas aisée à retirer, ralentissant la progression et exposant dès lors le combattant. Nombreux sont les poilus à opter pour des couteaux de tranchées artisanaux lors des « nettoyages de tranchées ».

Après 1918, les formes en sont réglementées. Les baïonnettes crantées, en usage dans l’armée allemande, sont interdites par la convention de Genève, de même que toute forme de lame compromettant la cicatrisation, telles les baïonnettes en triangle ou en croix.

Les armées occidentales donnent leur préférence aux baïonnettes courtes. De moins en moins utilisées fichées au fusil, et de plus en plus maniées directement à la main, la baïonnette fait encore des ravages, comme lors du sac de Nankin (1937).

L’usage de la baïonnette depuis 1945

La dernière charge à la baïonnette de l’armée française se déroule en février 1951, lors de la guerre de Corée, face aux Chinois. Le développement de l’arsenal militaire, avec la généralisation de la grenade, pouvait laisser penser que la baïonnette allait disparaître du quotidien des fantassins. Il n’en est rien, l’arme se perfectionnant même. Les baïonnettes modernes sont équipées d’une gouttière concave qui en réduit le poids et qui permet de laisser rentrer l’air dans la blessure, facilitant ainsi le retrait de la lame. La baïonnette Sawback U.S. M9, mise en place en 1984, en est une des manifestations. Son fourreau peut être utilisé comme pince coupante pour sectionner le fil barbelé. La guerre d’Afghanistan (2001-2014) a vu encore quelques combats à la baïonnette.

Citer cet article

Nicolas Dujin , « La baïonnette », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/06/20 , consulté le 12/11/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/12203

Bibliographie

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Drévillon, Hervé, L’individu et la guerre. Du chevalier Bayard au soldat inconnu, Paris, Belin, 2013.

Lynn, John Albert, Giant of the Grand Siècle : The French Army, 1610-1715, Cambridge, Cambridge University Press, 1997.

Marty, Cédric, A l'assaut ! La baïonnette dans la Première Guerre mondiale, Paris, Vendémiaire, 2018.

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