Depuis l’élaboration de la notion de « droit des gens » par Emer de Vattel au xviiie siècle, une distinction est faite entre annexion et occupation militaire, introduisant l’idée d’une protection plus sûre des populations placées sous le contrôle d’une armée étrangère. Au xixe siècle, des règles coutumières régissent les occupations, jusqu’à ce que la convention de La Haye de 1907 définisse la notion et impose à l’armée occupante la tâche du maintien de l’ordre dans le respect des lois en vigueur dans le pays occupé. La convention de Genève de 1949, complétée par le Protocole de 1977, met ensuite l’accent sur la protection des personnes. Malgré cette uniformisation juridique, les régimes d’occupation en Europe ont largement varié en fonction de la nature des conflits, des espaces géographiques ou de la nature politique du régime exerçant l’occupation militaire.
Des occupations de garantie au XIXe siècle
Les occupations militaires contemporaines sont d’abord un moyen de neutraliser une puissance vue comme menaçante ou revancharde. Il s’agit de lui imposer son statut de vaincue, ainsi de la France à l’issue des guerres napoléoniennes (1814-1818) ou de celle de 1870 (1870-1873) : paiement d’indemnités, entretien des troupes d’occupation. Vues comme temporaires, elles reposent sur un besoin de garantie de l’occupant. Celle de la Valachie et de la Moldavie, principautés ottomanes, par l’armée russe à partir de 1828, entre dans cette catégorie. La Russie cherche à obtenir de Constantinople la reconnaissance de ses engagements pris envers la Grèce au traité de Londres (1827). Toutefois, les ambitions russes ne se limitent pas à une garantie territoriale, dans la mesure où une administration militaire russe s’impose dans les principautés. À la seule garantie s’ajoute en effet une volonté d’influence et de domination politique et culturelle.
Les régimes d’occupation dans les guerres mondiales
La réalité des occupations militaires est généralement marquée par les violences contre les populations. Lors de la Grande Guerre, les cas allemands dans le nord de la France et en Belgique, austro-hongrois en Serbie, correspondent à un régime de terreur. Les autorités militaires justifient ainsi les exécutions de civils par la répression contre les espions et les francs-tireurs, en même temps qu’elles ont recours aux réquisitions d’hommes et de matériel, dans le contexte de l’effort de guerre. L’administration locale reste parfois en place, servant de relais aux occupants. Des gouverneurs généraux sont installés en Belgique, en Pologne, également en Galicie et en Serbie mais un contrôle militaire s’exerce parallèlement. C’est le cas en Roumanie avec le général Mackensen et en Pologne avec le maréchal Hindenburg. Quant aux pays Baltes, soumis à une administration militaire (Ober Ost), l’objectif allemand est l’exploitation, la germanisation forcée et, à plus long terme, la colonisation et l’annexion.
On retrouve certaines similitudes dans les régimes d’occupation de la Seconde Guerre mondiale, malgré la dimension plus idéologique du conflit. C’est notamment le cas en Pologne, dès la fin septembre 1939. Pendant que la Pologne occidentale est incorporée au Reich, un gouverneur général (Hans Frank) relevant directement de Hitler administre les territoires polonais de l’Est, avec Varsovie et Cracovie, selon des méthodes répressives afin de soumettre la population à la servitude. En Europe occidentale, les régimes d’occupation sont plus complexes. En France coexistent ainsi différentes zones d’occupation allemande (Nord et Pas-de-Calais en « zone interdite », Alsace-Moselle annexée de fait) et une zone italienne. Dans la zone occupée, les lois du gouvernement de Vichy doivent recevoir l’approbation des autorités allemandes. L’occupation militaire se traduit par une réquisition systématique des ressources et des hommes. Les populations occupées sont placées sous l’autorité d’une administration militaire qui délègue ses responsabilités en matière de répression aux services de sécurité et de police allemands, pendant que les questions politiques sont confiées à un représentant du ministère des Affaires étrangères, Otto Abetz. L’objectif premier est de contrôler le pays afin d’empêcher son retour éventuel dans le conflit mais l’occupant en vient rapidement à utiliser à son compte les ressources du pays, en s’appuyant sur la collaboration de l’État français.
Les occupations d’après-guerre au XXe siècle
À l’issue des deux conflits mondiaux, les occupations visent à faire appliquer les traités de paix. Après 1918, les régimes d’occupation alliés – principalement français – évoluent, selon qu’il s’agit d’appliquer les clauses de l’armistice, du traité de Versailles et de l’Arrangement rhénan annexé, ou d’occuper la Ruhr en 1923. L’occupation est une garantie mais aussi une pression sur le vaincu. Les objectifs et les moyens diffèrent dans les territoires où la population est appelée à choisir son pays d’appartenance par plébiscite (Sarre, Haute-Silésie, Memel).
S’appuyant sur les préceptes de la convention de La Haye, les services publics et privés doivent reprendre leur cours normal pour que la sécurité des troupes d’occupation soit assurée, ainsi de l’occupation préventive en Allemagne, d’abord placée sous le régime de la convention d’armistice. Outre l’évacuation militaire de la rive gauche du Rhin, les troupes d’occupation contrôlent l’administration des territoires rhénans par les autorités locales. Toutefois, pour la première fois, le commandement militaire est subordonné à une administration civile, la Haute Commission interalliée des territoires rhénans (HCITR), jusqu’à réduction progressive de l’occupation, selon les territoires et dans un délai de quinze ans, dans la mesure où l’Allemagne respecte ses engagements. Une évacuation anticipée survient d’ailleurs en 1930. Malgré la reconnaissance de la souveraineté allemande, la HCITR a le pouvoir d’édicter des ordonnances en matière de justice et de police, dispose d’un droit de réquisition et contrôle l’entrée en vigueur des nouvelles lois allemandes. Cette politique de « pénétration pacifique » se double d’ailleurs d’une politique de force et de sanction en cas de non-respect des obligations allemandes. L’occupation pèse donc de tout son poids sur une population qui a du mal à supporter cette présence, plus d’ailleurs du fait de l’ostentatoire domination française que des pressions financières.
En juillet 1945, à la suite de la conférence de Potsdam, l’occupant mène dans les quatre zones allemandes et autrichiennes sa propre politique envers la population et les autorités locales. Toutefois, une administration commune se dessine dans les secteurs occidentaux avec la fusion des zones américaine et britannique (janvier 1947) puis française. Lors de la création de la RFA, en mai 1949, les gouverneurs militaires cèdent la place à des hauts commissaires civils jusqu’à la fin de l’occupation (mai 1955). Le mouvement est à peu près similaire en RDA. Toutefois, Berlin demeure divisée en quatre secteurs d’occupation jusqu’en 1990. Dans un contexte de guerre froide naissant, les occupations se veulent plus souples voire « amicales », dès lors qu’il s’agit d’occuper un pays devenu allié.
Les occupations de temps de guerre ont montré toute la sévérité des administrations militaires envers les populations souvent soumises à un régime de terreur. Dans le cadre international naissant de la SDN, puis de l’après-1945, l’occupation vise à faire respecter l’exécution des traités de paix mais les populations restent soumises aux pratiques variées de maintien de l’ordre des forces occupantes.