Du xixe siècle à la Seconde Guerre mondiale
Avant le xxe siècle, le recours au conflit armé n’est pas en soi remis en cause et le vainqueur remporte le droit, ou tout du moins le pouvoir politique, de s’approprier les biens du vaincu afin de se faire rembourser en partie ses coûts de guerre. Pillages et destructions sont de rigueur à l’époque moderne ; pendant la guerre de Trente Ans (1618-1648), les armées de mercenaires dépouillent les populations civiles. Au xixe siècle, la contribution, c’est-à-dire la collecte forcée de taxes par l’occupant, devient avec les guerres napoléoniennes (1803-1815) une arme de prédilection. Elle est intégrée dans la Convention concernant les lois et les coutumes de la guerre sur terre conclue à La Haye en 1907, un texte qui peut aujourd’hui être considéré comme une étape clé : le pillage est désormais interdit (art. 47) et le montant de la contribution est à fixer en fonction des besoins de l’armée d’occupation (art. 49).
Logements détruits, complexes industriels endommagés, zones frontalières ravagées par la guerre de positions et une dizaine de millions de morts : c’est la Première Guerre mondiale, considérée en Europe comme un bouleversement sans précédent, qui donne la toile de fond aux délibérations sur les remaniements territoriaux et les indemnités de guerre. Le traité de Versailles (1919) attribue notamment, par l’article 231, la responsabilité de la guerre à l’Allemagne et oblige la nouvelle République dite de Weimar à des transferts de fonds et des cessions territoriales aux puissances alliées. Bien que ces réparations répondent aux attentes des populations ayant souffert de violences de guerre, la question se trouve désormais au centre de débats politiques fort conflictuels, notamment en Allemagne.
Politiques de réparations après 1945
La Seconde Guerre mondiale, dont la violence prend des dimensions inédites, met les Nations unies face à des nouveaux enjeux, parmi lesquels l’ampleur des pertes matérielles et immatérielles, le grand nombre de soldats tombés pendant les combats ainsi que les victimes civiles et celles de la Shoah. Dès lors, tout recours à la force armée est formellement condamné par les Nations unies qui stipulent en 1945 que « les membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force » art. 2 (4).
Bien avant la fin des hostilités, les Alliés commencent à dresser le bilan de leurs pertes. Les grandes puissances européennes font valoir leurs exigences à l’occasion de la conférence de Potsdam (août 1945) en statuant sur la partition de l’Allemagne en zones d’occupation. La démilitarisation du pays et sa dénazification sont par la suite indissociablement liées à une réorganisation de son industrie lourde qui s’achève deux ans plus tard dans un climat de guerre froide.
Selon cette logique, les demandes individuelles d’indemnisation de victimes de l’occupation allemande et de la déportation sont du ressort des gouvernements des pays jadis occupés. Ceux-ci feront valoir leurs dépenses auprès de la République fédérale par le biais d’accords bilatéraux signés par celle-ci avec onze États d’Europe occidentale entre 1959 et 1964. En revanche, les victimes du nazisme en Europe de l’Est ne bénéficient pour la plupart d’aucune compensation avant 1989, leurs revendications surgissant de façon inattendue au moment de la réunification.
La législation d’outre-Rhin ne concerne que les victimes allemandes du national-socialisme, majoritairement juives. Les premières lois relatives aux restitutions et aux indemnisations sont promulguées dès 1945 sous l’impulsion des Alliés, notamment en zone d’occupation américaine, tandis que la zone d’occupation soviétique choisit de suivre sa propre voie, ce qui équivaut au bout du compte, au rejet des demandes des personnes concernées.
L’inégalité qu’entraîne la diversité de ces programmes de dédommagement caractérise d’emblée l’histoire des indemnisations de la Seconde Guerre mondiale. Cette inégalité concerne autant les catégories de bénéficiaires que le montant des sommes versées, tout en faisant intervenir les modes d’inclusion et d’exclusion de victimes et de survivants dans les cultures commémoratives nationales. Ainsi il n’existe de nos jours aucun lieu commémoratif collectif, à l’exception peut-être du traité germano-israélien de 1952 sur les réparations, démarche diplomatique incontournable mise en œuvre par la République de Bonn afin de regagner sa souveraineté trois ans plus tard.
Réparations, colonialisme et génocides
Se pose aussi la question de savoir si les réparations peuvent prétendre à une validité rétroactive et s’appliquer à des époques plus lointaines pour atténuer les effets traumatisants de crimes d’État et d’injustices historiques. En France notamment, la loi Taubira reconnaît en 2001 l’esclavage comme crime contre l’humanité. La même année, la question fait débat pendant la conférence mondiale contre le racisme de l’ONU, dans la ville portuaire sudafricaine de Durban, jusqu’ici sans espoir de compensation matérielle pour l’esclavage et le commerce d’esclaves. Pourtant, le principe est affirmé par les spécialistes des droits de l’homme et de l’humanitaire (résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 2006). La question du dédommagement – actuellement dans le contexte des débats sur les spoliations d’art indigène au profit des collections ethnologiques des métropoles européennes – ne s’est posée que progressivement et assez tardivement à la fin du xxe siècle (rapport Felwine Sarr/Bénédicte Savoy, 2018).
Il en est de même en ce qui concerne les réparations pour crimes génocidaires, notamment au Cambodge et au Rwanda. Les revendications des victimes arméniennes du génocide de 1915-1916 restent en suspens. Les commissions de vérité sud-africaines ont, dans le traitement du régime d’apartheid (jusqu’en 1994), privilégié les gestes de réconciliation. Les victimes civiles des guerres en Yougoslavie n’ont reçu aucun dédommagement matériel ; la Croatie (membre de l’Union européenne depuis 2013) et la Serbie (candidate à l’entrée dans l’Union européenne) considèrent les indemnisations des dommages survenus pendant la guerre civile (1991-1995) comme une question ouverte. Aujourd’hui, la question des réparations se trouve, dans la pratique, étroitement liée à l’accès des victimes à la justice, notamment par le biais de la Cour pénale internationale établie par le statut de Rome (CPI) en 1998, sur l’exemple du Tribunal international de Nuremberg (1945-1946). C’est la poursuite de violations graves par les instances judiciaires compétentes qui ouvre la voie aux réparations. De même, les indemnisations s’avèrent essentielles à tout geste de réconciliation ou de réparations symboliques, notamment les excuses publiques et les hommages aux victimes.