Qu’elles aient lieu en temps de guerre ou de paix, les occupations militaires entraînent souvent l’hostilité et la résistance des populations occupées. En particulier après la Révolution française, la présence de troupes ou d’une administration étrangère devient un affront aux notions émergentes de souveraineté, d’autonomie et d’identité nationale. Les raisons expliquant ces mouvements de résistance sont cependant variées et complexes. Il n’existe pas de définition unique de la « résistance », bien que certains chercheurs opèrent la distinction entre « résistance » et « opposition ». Quoi qu’il en soit, nombre d’entre eux s’accordent à dire que la résistance consiste en actions qui visent explicitement à s’opposer à l’occupant et impliquent une dimension transgressive ainsi qu’un risque de punition pour le résistant. La résistance a ainsi pu adopter de nombreuses formes, de la lutte armée à la grève, des mouvements coordonnés à l’opposition spontanée. Nous présentons ici quelques cas notables de résistance depuis le xixe siècle, en analysant les motivations à l’œuvre, les actions entreprises et leur éventuelle réussite.
Aux XVIIIe et XIXe siècles, de l'Espagne aux Balkans
Dès la fin du xviiie siècle, l’Europe devient le théâtre de nombreux mouvements de résistance, souvent armés, à l’occupation. Les troupes napoléoniennes, qui occupent l’Espagne de 1808 à 1814, subissent ainsi dès les premières heures des attaques dans le cadre d’une révolte populaire. En mai 1808, la population de Madrid se soulève contre les quelque trente mille soldats des troupes d’occupation françaises, lesquelles finissent par écraser la rébellion, exécutant sommairement des centaines de civils. Si ce mouvement commence de manière spontanée, l’hostilité à l’encontre des Français est bientôt encouragée, coordonnée et organisée par le clergé local, la noblesse ainsi que des membres de l’ancien gouvernement espagnol. Des groupes armés s’organisent en juntas (assemblées) provinciales qui pratiquent ce que l’on appellerait de nos jours des actions de guérilla, et affrontent même les troupes françaises sur le champ de bataille. Ces résistants ne sont jamais totalement vaincus et contraignent la France à engager trois cent mille hommes supplémentaires en Espagne, mais sont néanmoins forcés, à partir de 1811, de se cantonner aux seules régions côtières et montagneuses. La religion joue un rôle central dans la résistance en raison des craintes que suscite la France, perçue par les catholiques espagnols comme une puissance séculaire, peurs que nourrissent le pillage des biens de l’Église et les exécutions de prêtres auxquels se livrent les forces d’invasion et d’occupation. Des œuvres de propagande sont produites en Espagne qui présentent la France comme l’antéchrist, ajoutant d’une certaine façon une facette « culturelle » à la résistance, mais le sentiment anti-français s’enracine aussi dans l’opposition que suscite la conscription napoléonienne. Au fil de l’occupation, les Français répliquent aux attaques par de dures représailles, augmentant davantage le désir des Espagnols de libérer leur pays de l’occupant.
Dans la deuxième moitié du xixe siècle, les Balkans sont à leur tour le théâtre de mouvements de résistance similaires. À l’issue du congrès de Berlin de 1878, les grandes puissances autorisent l’Autriche-Hongrie à occuper la Bosnie-Herzégovine, ce qu’elle fait jusqu’en 1882. Les chefs militaires des Habsbourg, qui s’attendaient à être accueillis comme des libérateurs, se voient alors contraints de mener une campagne de quatre ans contre des forces insurgées mêlant des troupes turques régulières et des dizaines de milliers de volontaires bosniaques. Cette résistance est particulièrement militarisée et, comme dans l’exemple précédent, motivée par les désaccords religieux ainsi que les griefs nourris à l’encontre de l’armée : dans leur immense majorité, les résistants sont des musulmans ou des chrétiens orthodoxes s’opposant à la fois à la domination de la Vienne catholique et à la conscription militaire. Contrairement aux troupes napoléoniennes, en revanche, les armées austro-hongroises finissent par écraser le mouvement de résistance grâce à un mélange d’opérations militaires et d’actes de clémence, évitant ainsi d’imposer de dures représailles qui leur auraient aliéné l’ensemble de la population.
Pendant et après la Grande Guerre
Au cours du xxe siècle, les occupations pendant et après la Seconde Guerre mondiale entraînent l’émergence de nombreux mouvements de résistance de formes variées. Les progrès de l’éducation populaire et des moyens de communication facilitent et organisent la résistance, laquelle prend souvent une forme non armée. De 1914 à 1918, en France et en Belgique occupées, une petite minorité vient en aide aux soldats des forces alliées qui se perdent derrière les lignes ennemies, notamment dans la région frontalière avec la Hollande, dans le cadre de réseaux tels que le comité Jacquet de Lille ou encore, de façon spontanée, en offrant un refuge à ces hommes. D’autres résistants publient des journaux clandestins ou espionnent pour le compte des services secrets des Alliés, à l’instar du réseau franco-belge la Dame blanche. Six mille personnes tout au plus participent à cette forme de résistance, laquelle est passible de mort, et des résistants sont effectivement exécutés. Les actes de résistance que l’on pourrait qualifier de « symboliques », comme chanter l’hymne national, porter les couleurs du drapeau ou dire des blagues aux dépens des Allemands, sont plus courants ; tous sont également passibles de sanction. La résistance armée aux forces allemandes est en revanche pratiquement inexistante sur le front occidental, mais est plus fréquente à l’Est.
En temps de paix, l’occupation de la Ruhr par les Alliés (1918-1930) est elle aussi le théâtre de formes non armées de résistance, qui deviennent particulièrement manifestes lorsque la France et la Belgique occupent cette région de 1923 à 1925 pour obliger l’Allemagne à payer les réparations de guerre. Gustav Stresemann, le chancelier allemand, condamne officiellement la « résistance passive » des ouvriers, qui entrent en grève et sont bientôt remplacés par des travailleurs français. Cette forme de résistance économique et politique est finalement abandonnée en 1925.
Résister à l'occupation nazie entre 1939 et 1945
Les occupations survenues lors de la Seconde Guerre mondiale donnent lieu à des actes de résistance bien connus. L’opposition active à la domination nazie constitue partout un phénomène minoritaire, impliquant entre 1 et 3 % des Français, 2,4 % des Belges, de 1 à 2,5 % des Danois et environ 10 à 15 % des Polonais. La résistance organisée commence souvent par l’établissement d’un réseau constitué pour diffuser des publications clandestines, lesquelles visent soit à encourager l’hostilité de la population vis-à-vis de l’occupant, soit (comme c’est le cas en Pologne) à lutter contre la nazification en préservant l’identité et la culture locales. Des mouvements de résistance armée font leur apparition en Europe de l’Est après l’invasion nazie et se multiplient dans l’Europe occidentale occupée à partir de 1942, encouragés par les défaites de la Wehrmacht en Afrique du Nord et, plus tard, en Russie. Les motifs politiques et idéologiques jouent un rôle important, les antifascistes et communistes prenant souvent la tête de ces mouvements d’opposition. En raison de la méfiance et de l’hostilité que se vouent les divers groupes de résistants, aucun pays ne compte de mouvement unifié. Les résistants actifs tuent des ennemis, mènent des opérations de sabotage ou encore créent des filières pour sauver des juifs ou exfiltrer des membres des forces alliées, entre autres. Ces groupes sont parfois sous la houlette d’une entité nationale externe, comme la France libre du général Charles de Gaulle, qui parvient à unir de nombreux groupes de résistants disparates fin 1943. Les résistants ciblent et punissent les collaborateurs locaux, en particulier au cours de la libération qui survient entre 1944 et 1945, bien que certains aient pu participer aussi bien à la résistance qu’à la collaboration selon les périodes. Les actes de résistance passive (ou symbolique), comme écouter la BBC ou porter les symboles nationaux (à l’instar des Hollandais et des Danois qui choisissent d’arborer la fleur et l’insigne de la royauté) sont plus courants à travers l’Europe occupée, mais tous les historiens ne considèrent pas de tels actes comme des formes de résistance. De manière générale, même la résistance active ne joue pas un rôle majeur dans la libération. Les attaques contre les Allemands entraînent souvent une répression violente (prenant par exemple la forme d’exécutions sommaires) et sont régulièrement critiquées par certains des compatriotes des résistants, qui voient (quelquefois à raison) ces derniers comme des bandits. La résistance armée contribue néanmoins à affaiblir la machine de guerre allemande, bien que dans une modeste mesure.
Les hommes et femmes d’Europe se sont engagés dans de multiples formes de résistance à l’occupation militaire, tour à tour armée et symbolique, passive ou culturelle, notamment au xxe siècle. L’hostilité réservée à l’occupant a souvent été animée par des considérations idéologiques d’ordre nationaliste, politique ou religieux, ainsi que par les propres pratiques de celui-ci. Expliquer et définir ce phénomène complexe, et peut-être même inévitable, et évaluer le succès qu’ont rencontré ces mouvements demeure une tâche aussi difficile que fascinante.