À l’issue des guerres napoléoniennes, la pensée stratégique du xixe siècle met en valeur la notion de « guerre absolue » théorisée par Clausewitz, mobilisant toutes les forces militaires possibles en vue de l’« écrasement » de l’ennemi placé hors d’état de poursuivre les combats. Selon le principe du Vae victis ! (« Malheur au vaincu ! »), la capitulation, en permettant la destruction des forces de l’ennemi, doit anéantir chez celui-ci tout espoir de revanche et sert donc un objectif stratégique large. L’armistice, quant à lui, relève davantage du débat ouvert – notamment en Prusse et en France – sur les relations civilo-militaires et leurs prérogatives respectives : comme les déclarations de guerre, les négociations d’armistice constituent un moment où les hommes politiques sont pleinement intégrés dans le processus de décision. L’armistice, général ou local, est défini par la convention de La Haye de 1907 mais, dans la pratique, les négociations suivent des codes non écrits qui se précisent au fil des guerres : avec les progrès techniques, les clauses d’armistice sur l’armement deviennent ainsi de plus en plus pointues, prenant en compte la quantité mais aussi la qualité des armes ; de même, dans l’article 2 de son acte de reddition de 1945, l’Allemagne doit s’engager à livrer intact son matériel de guerre, en réaction aux sabotages ayant suivi l’armistice du 11 novembre 1918.
Négocier ou capituler ?
Armistice et capitulation sont régulièrement confondus, alors qu’il s’agit de deux démarches distinctes. L’armistice est une initiative politique dont les militaires sont dégagés : en décembre 1918, le chancelier Ebert peut ainsi accueillir en Allemagne ses « soldats invaincus ». La capitulation quant à elle, parce qu’elle est d’abord un acte de reddition dicté à l’armée, épargne l’État : début juin 1940 par exemple, le président du Conseil Paul Reynaud est partisan d’une capitulation qui permettrait au gouvernement de se reconstituer hors de France et donc de refuser la collaboration, comme l’ont fait la Pologne, la Belgique ou encore la Hollande, réfugiées à Londres. Le mode d’arrêt des combats peut donner lieu à de violentes controverses : l’Italie qui signe l’armistice avec les Alliés le 3 septembre 1943 pour sauver Rome de la Wehrmacht, et la Finlande qui accepte le lourd armistice de Moscou du 19 septembre 1944 font partie des rares pays à s’extraire de la Seconde Guerre mondiale sans capituler. Du côté des vainqueurs également il peut y avoir débat – où la crainte d’être victime d’une ruse de guerre le dispute au désir d’une fin rapide – comme lors de la proposition d’armistice par l’Allemagne le 3 octobre 1918 : certains parmi les Européens et Américains pensent qu’il faut obtenir une reddition complète de Guillaume II sur son propre sol. Mais si l’armistice permet de contrôler le cadre de la défaite et donc de s’en sortir avec les honneurs, il n’évite pas l’amertume des vaincus qu’illustre la chanson d’Alphonse Leclerc L’Armistice (1871), avec son refrain : « Ah ! zut à ton armistice !/Bismarck, nous n’en voulons pas ». Le sentiment d’humiliation atteint son acmé lors d’une capitulation « sans conditions ». Cet objectif exceptionnel est adopté par les Alliés à la conférence de Casablanca de janvier 1943, afin de pousser les Allemands à reconnaître leur défaite quand elle aura lieu. La capitulation, signée à Reims le 7 mai 1945 puis à Berlin-Karlshorst dans la nuit du 8 au 9 mai, place l’État allemand en debellatio (anéanti par la guerre) : il a perdu son droit d’assurer sa survie par la négociation de concessions territoriales ou politiques. Ce cas exceptionnel ne s’applique pas au Japon où l’empereur, qui a justifié auprès de son peuple la capitulation du 2 septembre 1945, est maintenu dans ses fonctions.
Armistices techniques et armistices politiques
L’armistice résulte d’un rapport de forces – stratégiques mais aussi économiques et morales – que reflètent ses clauses. Les armistices techniques, classiques jusqu’au début du xxe siècle, stipulent les dispositions d’arrêt des combats sans empiéter sur le futur traité de paix, à l’image du document franco-allemand du 28 janvier 1871. L’armistice russo-ottoman de 1878 est en revanche hautement politique : sous la menace des troupes tsaristes qui campent aux portes d’Istanbul, le sultan signe à Edirne le 31 janvier une convention accordant d’ores et déjà l’indépendance à la Serbie, au Monténégro, à la Roumanie, l’autonomie à la Bulgarie et la Bosnie-Herzégovine… Avec la Grande Guerre, s’impose définitivement l’idée selon laquelle « seuls resteront acquis les avantages consacrés par l’armistice » (Foch), et les conventions prennent un ton résolument politique, engageant l’avenir des négociations. Cette orientation est prise dès l’armistice du 15 décembre 1917 – où les Puissances centrales refusent le retrait des troupes allemandes demandées par Petrograd – et sera confirmée à Rethondes. Cependant des textes plus techniques continuent à être signés sur les fronts dits « périphériques », car la priorité donnée à la dislocation des lignes allemandes y dicte une attitude pragmatique. Aussi l’armistice de Salonique signé par les Alliés avec la Bulgarie le 29 septembre 1918 est-il modéré : l’occupation est limitée à des points stratégiques et épargne Sofia, tandis que trois armées bulgares restent mobilisées pour garder le Danube et la frontière turque. Un mois plus tard, les armistices conclus avec les autorités autrichiennes et hongroises se situent entre les deux modèles : le 3 novembre près de Padoue, la convention signée avec l’Autriche prend des dispositions surtout militaires et navales, mais institue la liberté absolue de déplacement allié y compris sur le Danube.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les armistices consentis par le IIIe Reich ont fini par se substituer aux traités de paix, à l’image des textes franco-allemand et franco-italien qui mettent officiellement fin aux hostilités avec la France le 25 juin 1940. Après 1945, l’arme atomique et la fin des guerres totales font disparaître armistices et capitulations du continent européen au profit d’une catégorie plus instable d’arrêt des hostilités : le cessez-le-feu.
La généralisation des cessez-le-feu
Contrairement à l’armistice, le cessez-le-feu est censé revêtir une dimension exclusivement temporaire. Il est en effet souvent lié à des considérations humanitaires, telles que permettre l’assistance aux populations civiles ou encore le secours aux combattants blessés. Aucun vainqueur n’émerge, mais un compromis s’instaure permettant une pause dans les combats. Depuis la fin de la guerre froide, le cessez-le-feu est utilisé en Europe par le conseil de sécurité de l’ONU pour suspendre les combats rapidement ; il a alors parfois effet d’armistice lorsqu’il précède un accord politique. Ainsi, les combats au Kosovo s’interrompent avec le cessez-le-feu du 3 juin 1999, par lequel la Serbie de Milošević accepte les conditions de paix de l’OTAN et du G8 (retrait de l’armée et de la police spéciale serbes, retour des réfugiés). Mais ils ne prennent fin officiellement que huit jours plus tard lorsque la KFOR (Force pour le Kosovo) dirigée par le général Mike Jackson vient occuper le Kosovo.
Certains stratèges accusent le cessez-le-feu d’imposer un arrêt prématuré des combats qui, en empêchant la désignation claire d’un vainqueur, pérennise en fait l’état de guerre et empêche que ne se dégagent les termes d’une paix durable. Il permettrait aux combattants de tirer profit du temps offert, pour récupérer, recruter, s’équiper. C’est ainsi que les multiples cessez-le-feu imposés aux Serbes et Croates en Krajina entre 1993 et 1995 auraient en fait contribué à maintenir les Balkans en état d’hostilité.