L’Empire ottoman et la question arménienne
Au début du xxe siècle, la majorité des Arméniens vit répartie entre l’Empire russe, l’Empire ottoman et la Perse. Plus de deux millions d’Arméniens forment, avec les Grecs et les Assyro-Chaldéens, la population chrétienne d’un Empire ottoman majoritairement musulman de 20 millions d’habitants. Les Arméniens sont très présents dans les provinces orientales d’Asie Mineure et en Cilicie, mais aussi dans toutes les grandes villes de l’Empire (Constantinople, Trébizonde, Smyrne, Alep, Damas, etc.). Ils vivent dans une relative prospérité, même si la majorité rurale et paysanne a durement été affectée par les violences de masse et les déprédations chroniques de la fin du xixe siècle. Alors que les mouvements nationaux qui s’affirment des Balkans à l’Anatolie dans la seconde moitié du xixe siècle traversent la société arménienne, la « question arménienne », c’est-à-dire le sort des Arméniens de l’Empire ottoman, émerge sur la scène internationale à la fin du xixe siècle, après la guerre russo-turque de 1877-1878 et le congrès de Berlin (1878). Les puissances
Les grandes phases du génocide
À l’hiver 1914-1915, le désastre de l’offensive ottomane dans le Caucase est présenté par l’état-major et le ministre de la Guerre, Enver, comme le résultat d’une trahison des Arméniens au profit des Russes et de leurs coreligionnaires situés de l’autre côté du front russo-ottoman. En février 1915, ordre est donné de désarmer les conscrits arméniens de la IIIe armée ottomane et de les reverser dans des bataillons de soldats-ouvriers (amele taburiler) où ils sont assassinés par les soldats et officiers turcs qui les encadrent dans les mois qui suivent. À partir du 24 avril, la police procède à l’arrestation de centaines de personnalités arméniennes de la capitale et des grandes villes. Hauts fonctionnaires, députés, négociants, rédacteurs de presse, artistes et écrivains, sont pour la plupart exilés, emprisonnés puis assassinés : c’est l’élite politique, économique et culturelle des Arméniens ottomans qui est décapitée.
Des massacres de civils arméniens sont commis dès mars 1915 par des escadrons paramilitaires désignés sous le nom d’Organisation spéciale (Teşkîlât ı-Mahsûsa) et placés sous le commandement direct du comité central du CUP. De premières déportations ont déjà lieu, sous couvert de relocalisation temporaire nécessitée par la guerre et la proximité du front russe. C’est toutefois l’essentiel de la population arménienne, dans l’ensemble de l’Anatolie, qui est déporté entre mai et août 1915 selon des modalités diverses. Dans de nombreux cas (notamment dans les provinces orientales), les hommes sont tués avant que le reste de la population (femmes, jeunes enfants, vieillards) ne soit contraint de se mettre en route. Les tueries, confiées à l’Organisation spéciale, sont aussi fréquemment l’œuvre de populations civiles musulmanes qui attaquent les convois de déportés pour les piller. Parallèlement, l’État et le CUP organisent la spoliation systématique des biens des Arméniens en mettant en place des commissions dites « des biens abandonnés ». Une sous-direction des déportés est créée à Alep, au sein du Directorat pour l’installation des tribus et des migrants. Elle a pour charge l’organisation de camps de concentration en Syrie-Mésopotamie, dans la vallée de l’Euphrate. Une partie des déportés est envoyée plus au sud, entre les régions de Homs, Damas et la Jordanie, où ils acceptent massivement de se convertir à l’islam de peur d’être massacrés.
Au cours d’une deuxième phase qui se déroule en 1916, le commandement du CUP ordonne en effet la liquidation des survivants arrivés à destination dans les déserts de Syrie situés entre Alep, Rakka, Deir Zor et Ras ul-Ayn. Des massacres systématiques sont à nouveau perpétrés par l’Organisation spéciale. L’absence de ravitaillement, les épidémies et les intempéries achèvent de faire disparaître la grande majorité des déportés.
Bilan humain et politique : un crime largement impuni
Au lendemain de la guerre, la présence arménienne est quasiment réduite à néant en Anatolie. Ce sont environ les deux tiers des 2,1 millions d’Arméniens ottomans qui ont disparu au cours du
Sur le plan politique, les grands principes sont victimes des négociations d’après-guerre. L’idée d’une haute cour internationale chargée de