Histoire du sionisme : la Déclaration Balfour (2 novembre 1917)

Le sionisme est un projet politique élaboré à la fin du xixe siècle visant à offrir aux juifs du monde un territoire souverain en Palestine. La Déclaration Balfour, écrite le 2 novembre 1917 par le secrétaire d’État aux Affaires étrangères du Royaume-Uni Arthur Balfour (1848-1930), annonce le soutien nouveau des Britanniques au mouvement sioniste. La Déclaration Balfour répond à des intérêts stratégiques pour le Royaume-Uni dans le cadre de la Première Guerre mondiale, et elle marque en même temps une étape fondamentale de l’histoire de la présence juive en Palestine avant la création de l’État d’Israël en 1948

Illustration 1 : La Déclaration Balfour datée du 2 novembre 1917 (Wikimedia commons)
Illustration 1 : La Déclaration Balfour datée du 2 novembre 1917 (Wikimedia commons)
Illustration 2 : Dr. Chaïm Weizmann, dirigeant de l’Organisation sioniste (George Grantham Bain Collection, Library of Congress)
Illustration 2 : Dr. Chaïm Weizmann, dirigeant de l’Organisation sioniste (George Grantham Bain Collection, Library of Congress)
Illustration 3 : Les troupes britanniques dirigées par le général Allenby entrant dans Jérusalem le 11 décembre 1917 (Matson (G. Eric and Edith) Photograph Collection, Library of Congress)
Illustration 3 : Les troupes britanniques dirigées par le général Allenby entrant dans Jérusalem le 11 décembre 1917 (Matson (G. Eric and Edith) Photograph Collection, Library of Congress)
Sommaire

Le 2 novembre 1917, au moment où les Britanniques font la conquête militaire de la Palestine ottomane, le secrétaire d’État aux Affaires étrangères britannique Arthur Balfour (1848-1930) adresse une courte lettre à Lord Walter Rothschild (1868-1937), un éminent représentant de la communauté juive britannique (ill. 1). Il y annonce que « le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays. ». 

La Déclaration Balfour est publiée dans la presse britannique le 9 novembre. Elle constitue le premier aboutissement des efforts du mouvement sioniste, né à la fin du xixe siècle, pour obtenir l’appui d’une grande puissance. Cette lettre, dont les mots sont soigneusement choisis, reflète l’évolution des intérêts britanniques à la fin de la Grande Guerre. Cependant, elle n’est encore en rien contraignante pour les Britanniques : il faut attendre qu’elle soit incorporée à la charte du Mandat confié par la Société des Nations (SDN) à la Grande-Bretagne en 1922 pour qu’elle revête un caractère juridique. La puissance mandataire britannique doit alors gouverner la Palestine en fonction d’une double obligation difficilement tenable : répondre à la promesse de la Déclaration Balfour tout en protégeant les droits des Arabes de Palestine. 

La Déclaration Balfour dans l’histoire du sionisme

Par sa déclaration, Arthur Balfour donne le premier signe de soutien officiel d’une puissance européenne au projet politique et territorial poursuivi par l’Organisation sioniste depuis sa fondation en 1897. Le sionisme, un mouvement à la fois nationaliste, politique et culturel, s’est constitué à la fin du xixe siècle avec l’objectif de donner au peuple juif un territoire souverain.

Le sionisme s’inscrit dans le sillage de la Haskalah et de la montée de l’antisémitisme européen. La Haskalah est un mouvement intellectuel juif formé à la suite des Lumières européennes dans la seconde moitié du xviiie siècle. Il participe à un renouveau du judaïsme et nourrit également les idées d’assimilation des Juifs aux pays européens. À la fin du xixe siècle, les idées assimilationnistes se heurtent à l’antisémitisme en Europe, tel que les pogroms en Russie en 1881 et l’Affaire Dreyfus en France (1894-1906). Marqué par l’antisémitisme, le journaliste juif austro-hongrois Théodore Herzl (1860-1904) publie en 1896 Der Judenstaat (L’État des Juifs), l’écrit fondateur du sionisme politique. Il y affirme que l’assimilation des Juifs est désormais strictement impossible en Europe et que la réponse à la question juive est territoriale. Afin d’organiser le mouvement sioniste, Herzl réunit 196 délégués venus de 16 pays à Bâle le 29 août 1897. L’Organisation sioniste, créée à cette occasion, encourage la colonisation juive en Palestine, débutée au début des années 1880 avec le mouvement des Amants de Sion, et mène des actions diplomatiques pour obtenir des soutiens politiques. Herzl démarche ainsi l’empereur allemand Guillaume II (1859-1941) et le sultan ottoman Abdülhamid II (1842-1918). En 1904, Herzl meurt sans avoir obtenu l’appui d’une grande puissance, mais il laisse derrière lui une Organisation sioniste dont les membres souhaitent poursuivre l’achat de terres en Palestine et les démarches diplomatiques auprès des puissances européennes. Chaïm Weizmann (1874-1952) (ill.2), biochimiste né en Russie, et Nahum Sokolow (1859-1936), représentant de l’Organisation sioniste, poursuivent l’œuvre diplomatique de Herzl auprès des Britanniques. L’attention portée par les Britanniques aux idées sionistes s’entend dans un large contexte : celui de la question juive en Europe de l’Est, de la situation militaire au Moyen-Orient en pleine Première Guerre mondiale et des intérêts stratégiques de la route vers l’Inde britannique. 

La Déclaration Balfour, reflet des intérêts britanniques à la fin de la Première Guerre mondiale 

En pleine guerre contre l’Empire ottoman, les Britanniques établissent des alliances dont les intérêts s’entrechoquent. En 1915, Henry McMahon (1862-1949), haut-commissaire britannique en Égypte, négocie auprès du chérif Hussein de la Mecque le soutien des Arabes de la péninsule arabique dans la guerre contre les Ottomans. En échange, McMahon promet que la Couronne britannique favorisera l’émergence d’un royaume arabe aux contours imprécis. Dans le même temps, les Britanniques négocient avec les Français l’avenir des provinces arabes ottomanes situées hors de la péninsule arabique. François Georges-Picot, ancien consul de France à Beyrouth, et Mark Sykes, diplomate britannique, négocient secrètement des zones d’influence allant de la Syrie à la Mésopotamie : une grande partie de la Palestine, y compris Jérusalem, devait devenir une zone internationale. Le découpage prévu par les « accords Sykes-Picot », de mai 1916, devient vite caduc face à la progression des troupes britanniques de l’Egyptian Expeditionnary Force entrées dans le Sinaï à la fin de 1916 et en Palestine près d’un an plus tard (ill.3). La Déclaration Balfour est donc le résultat d’une évolution des intérêts britanniques au Levant. Elle est perçue par Balfour comme un moyen d’obtenir le soutien des Juifs américains et russes pour garder la mainmise britannique sur la Palestine, malgré l’internationalisation prévue par les accords Sykes-Picot. 

Le texte de la Déclaration Balfour est préparé longuement par les membres du ministère des Affaires étrangères britanniques et les représentants sionistes, notamment Sokolow et Weizmann. Le choix du terme « foyer national » permet de maintenir un flou sur la nature politique de l’implantation juive. Ses frontières ne sont pas non plus spécifiées. Ce texte court se montre également prudent en cherchant à protéger tant les Arabes de Palestine que les Juifs en diaspora. 

La Déclaration Balfour et la charte du Mandat de Palestine : l’origine de l’impasse politique ? 

Dès sa publication, la Déclaration Balfour est très mal reçue dans le monde arabe, tandis que, pour les sionistes, elle constitue une victoire décisive. Ces derniers œuvrent pour obtenir la prise en compte de la Déclaration dans les règlements de la guerre. Sa reconnaissance internationale demeure alors très incertaine en raison des intérêts britanniques changeants et de l’opposition vive des Arabes au Moyen-Orient : en novembre 1918, des heurts ont lieu à Jérusalem entre Arabes et Juifs au moment de son premier anniversaire. Lors de la conférence de la paix de Paris, débutée en 1919, les intérêts des Arabes sont représentés par l’émir Fayçal, fils du chérif Hussein de la Mecque, et ceux des sionistes par Chaïm Weizmann. La conférence interalliée de San Remo, en avril 1920, reconnaît la naissance des mandats sur les anciennes provinces arabes de l’Empire ottoman. Le mandat confié par la SDN à la Grande-Bretagne en Palestine et en Transjordanie est officiellement reconnu le 24 juillet 1922. C’est un mandat de classe A : les Arabes sont considérés comme proches d’exercer leur souveraineté. Pourtant, la charte du Mandat intègre les termes de la Déclaration Balfour et reconnaît dans son article 4 la formation d’un « organisme juif » pour la réalisation du « foyer national juif ». L’Organisation sioniste crée alors pour cela l’Exécutif sioniste, qui agit progressivement comme l’institution en charge de la gestion des affaires de la communauté juive de Palestine (appelée le Yichouv). Durant tout le Mandat, de 1922 à 1948, les représentants arabes sont tiraillés entre participer aux institutions mandataires pour défendre leurs droits, et s’en tenir éloignés, puisque le Mandat reconnaît dans son texte fondateur la Déclaration Balfour. De leur côté, les institutions juives et sionistes reprochent régulièrement au gouvernement mandataire de ne pas œuvrer suffisamment en faveur du foyer national juif. En 1947, les Britanniques remettent à l’Organisation des Nations unies le Mandat sur la Palestine, préalable à la naissance de l’État d’Israël l’année suivante (14 mai 1948).

Citer cet article

Elisabeth Davin-mortier , « Histoire du sionisme : la Déclaration Balfour (2 novembre 1917) », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 07/02/25 , consulté le 18/03/2025. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22517

Cette notice est publiée sous licence CC-BY 4.0. La licence CC-BY signifie que les publications sont réutilisables à condition d’en citer l’auteur.

Bibliographie

Dupont, Anne-Laure, Mayeur-Jaouen, Catherine, Verdeil, Chantal, Histoire du Moyen-Orient. Du xixe siècle à nos jours, Paris, Armand Colin, 2023 [2016]

Charbit, Denis, « La Déclaration Balfour », Tsafon, Revue d’études juives du Nord, n°74, 2017, p. 31-38. 

Laurens, Henry, La Question de Palestine. Tome 1. L’invention de la Terre sainte (1799-1922), Paris, Fayard, 1999. 

Regan, Bernard, The Balfour declaration. Empire, the Mandate and Resistance in Palestine, Londres, New York, Verso, 2017. 

Schneer, Jonathan, The Balfour Declaration: the origins of the Arab-Israeli conflict, Londres, Bloomsbury Publishing, 2011. 

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