Les débuts de la traite esclavagiste atlantique
Le développement de la présence portugaise outre-mer à partir du 15e siècle se déroule dans un contexte de transformations économiques en Europe et au Moyen-Orient. Le développement de la cartographie, de la navigation et des infrastructures commerciales s’opère en parallèle des luttes politiques et sociales au sein même du Portugal. Le premier élan expansionniste est la prise de Ceuta au Maroc, suivie de la colonisation des îles africaines de l'Atlantique, des expéditions le long de la côte africaine, des périples vers l’Inde et de l’exploration du Brésil (ill. 1). Cette expansion portugaise se fait en concurrence avec d'autres puissances européennes, d’abord l'Espagne, puis dans un second temps, la France, l'Angleterre et les Provinces-Unies. Le Portugal et la Castille se partagent le monde par les traités d'Alcáçovas (1479) et de Tordesillas (1494).
Alors que les Portugais sont présents en Afrique, en Inde, en Asie de l'Est et au Brésil, ils tentent de tirer profit des populations qu’ils rencontrent au fur et à mesure qu’ils progressent dans le continent africain. Les Non-Européens sont considérés comme des païens et des sauvages, et les décisions papales obtenues par les Portugais leur donnent une justification légale pour mettre en esclavage les Africains.
Comme la plupart des pays d'Europe du Sud, l'esclavage africain n’est pas inconnu du Portugal. La piraterie, les razzias et le troc le long de la Méditerranée sont des filières d'approvisionnement en esclaves, notamment musulmans. Dès le 14e siècle, des marchands génois, entre autres, explorent la côte atlantique du Maroc et des îles Canaries pour faire du commerce d'esclaves. Au début du 15e siècle, ils vont plus loin en se rendant au Sahara dans le même but. Le commerce des esclaves est également une pratique des sociétés africaines avant l'arrivée des Portugais sur le continent. Des systèmes locaux d'exploitation de main-d'œuvre ainsi que d'achat et de vente de personnes non libres existent déjà en Afrique depuis très longtemps. Pour le Portugal, ce commerce est, avec celui de l'or, l'une des formes d'activité commerciale les plus lucratives outre-mer (ill. 2). Les équipages des caravelles portugaises, qui naviguent toujours plus au sud, mènent eux-mêmes des razzias sur les côtes africaines, attaquent les villages et ravagent les terres.
Au fil du temps, le commerce des esclaves prend une tournure plus organisée, avec l'établissement au 15e siècle de comptoirs portugais sur la côte atlantique de l'Afrique : île d'Arguin (ill. 3), Cap Vert, fort Saint-George-de-la-Mine (situé aujourd'hui à Elmina au Ghana), São Tomé-et-Principe. En ce qui concerne la côte sud de l'Afrique, le Portugal établit, après 1513, une factorerie royale de traite à Mpinda, dans le royaume Kongo. Depuis ces comptoirs, le Portugal domine les débuts du commerce transatlantique, pratiquant le commerce d'esclaves dans les royaumes du Sénégal, de la Gambie et du Rio Grande, dans le delta du Niger, au Bénin et au Kongo, entre autres. Bien que certaines communautés résistent à la traite, la participation des élites africaines à la fourniture de captifs aux Portugais est courante. Les principales sources d'approvisionnement en esclaves sont les enlèvements, les guerres, le djihad, la mise en gage, les condamnations judiciaires. Les Portugais échangent de nombreuses marchandises contre des captifs, notamment de la nourriture, de l'alcool et des animaux (maïs, blé, sel, chevaux), des vêtements, des tissus (coton, soie) et des marchandises (cauris, entraves, argent, tapis, armes à feu).
Le Portugal, fournisseur des marchés européens et américains
Dans un premier temps, le Portugal utilise des esclaves africains pour approvisionner le marché européen en main-d'œuvre non libre. Ils sont importés d'Afrique à Madère et aux Açores pour répondre à la forte demande de bras et au besoin d’exploitation rapide. Le Portugal emploie également des esclaves pour aider à la colonisation des îles inhabitées du Cap Vert et de São Tomé-et-Principe, façonnant ainsi le tissu social de ces deux territoires.
Au début du 16e siècle, les initiatives visant à établir des colonies espagnoles et portugaises permanentes dans les Amériques accroissent la demande d'esclaves dans le Nouveau Monde. Dans les Amériques espagnoles, la population amérindienne décline après l'arrivée des conquérants à la fin du 15e siècle, rendant très difficile leur exploitation dans les plantations esclavagistes, d'autant plus que la couronne espagnole impose une contrainte supplémentaire en accordant une protection à cette population contre les mauvais traitements et l'esclavage. Au Brésil, alors que le Portugal tente d'établir une économie de plantation, les attaques contre les Amérindiens pour les asservir se révèlent inefficaces et insuffisantes pour fournir la main-d'œuvre nécessaire aux exploitations agricoles européennes. Avec l'introduction de la canne à sucre au Brésil et les tentatives visant à trouver des solutions pour produire du sucre, la traite esclavagiste vers ce territoire prend de l'ampleur.
Alors qu’il existe déjà des arrivées directes d’esclaves africains depuis la péninsule Ibérique, le premier voyage de traite d'Afrique vers les Amériques a lieu en 1525. D'autres voyages suivent vers Cuba, Porto Rico, la Jamaïque, la Nouvelle-Espagne et Nombre de Dios (dans l’actuel Mexique), Carthagène (dans l’actuelle Colombie) ou encore Portobelo (dans l’actuel Panama). Les esclaves arrivent notamment de Haute-Guinée, de Basse-Guinée et du Centre-Ouest de l'Afrique. Des marchands britanniques, français, néerlandais, danois et suédois fournissent également des esclaves aux Amériques espagnoles, augmentant ainsi le volume et les bénéfices du trafic.
Au Brésil, les esclaves africains commencent à être importés après 1530. Les voyages systématiques de traite prennent de l'ampleur à partir de 1560 pour répondre à la forte demande de main-d'œuvre sur le territoire. Parfois, les propriétaires des plantations prennent l'initiative d'importer directement des captifs d'Afrique, mais l'essentiel du trafic est entre les mains des marchands, d’abord portugais puis anglais, français, hollandais, danois ou suédois dans les siècles qui suivent. Ces marchands approvisionnent le Brésil en main-d'œuvre africaine non-libre dans le cadre d’un commerce entre les trois continents. Les marchandises européennes expédiées en Afrique servent à acheter des captifs mis en esclavage. Expédiés au Brésil, ces derniers sont ensuite vendus et les bénéfices utilisés pour acheter des produits destinés à l'Europe. La principale source d’approvisionnement en esclaves pour le Brésil est São Tomé-et-Principe et, surtout, l'Angola, où la ville de Luanda, fondée en 1575, devient de plus en plus prédominante dans la fourniture d'esclaves aux Amériques (ill. 4).
Avec l'essor de Luanda puis l'union des couronnes espagnole et portugaise de 1580 à 1640, la traite transatlantique prend une dimension nouvelle et élargie. Les plates-formes de traite contrôlées par les Portugais en Afrique commencent à commercer directement avec les Amériques espagnoles. Parallèlement au commerce officiel, la contrebande généralisée d'esclaves, qui consiste pour les équipages à dissimuler les captifs, à les débarquer dans des ports secondaires et à effectuer des trajets non déclarés, contribue à accroître le volume et les répercussions de la traite transatlantique.
Les Africains mis en esclavage ont joué un rôle social et économique important dans les Amériques, alors que leurs territoires d'origine en Afrique ont été profondément affectés par la traite transatlantique. Plus grande migration humaine forcée de toute l'histoire, la traite transatlantique a concerné, selon les estimations, 10 à 15 millions d’hommes, de femmes et d’enfants entre le 15e et le 19e siècle. Après leur instauration par le Portugal, les réseaux de traite instaurés aux 15e et 16e siècles ont connu d'autres développements dans le cadre de la traite massive des esclaves au cours des 18e et 19e siècles.