L’entrée au couvent et l’indépendance
Pauline est arrivée à Nantes en janvier 1714 à bord du navire Généreux, parti de Guadeloupe quelques semaines plus tôt (ill. 1). Âgée de 18 ans, elle vit en esclavage. Elle accompagne sa propriétaire, Madame Villeneuve, qui la met en pension pour une durée d’un an au couvent des Bénédictines du Calvaire dès son arrivée dans la ville, avec l’intention de la retrouver à l’issue de son séjour à Paris. La pratique est rare. La plupart des personnes esclavagisées demeurent au service de leur propriétaire quand elles ne sont pas placées chez un maître d’apprentissage.
La jeune fille découvre alors un mode de vie qui lui convient, et postule au noviciat de l’ordre. Devant la détermination de Pauline, qui est soutenue par la congrégation et par un bienfaiteur, René Darquistade (1680-1754), lui-même négociant-armateur pratiquant la traite, Madame Villeneuve est contrainte d’accepter ce choix. Le 26 janvier 1715, l’acte de réception au noviciat de Pauline Villeneuve est établi, les sœurs ayant pris la liberté de lui attribuer le patronyme de sa propriétaire.
Un procès est engagé par Madame Villeneuve. L’affaire est portée devant un tribunal de Nantes. Après une enquête menée dans le courant de l’année 1715, celle-ci conclut à l’indépendance de la jeune femme : la déclaration préalable indiquant que sa propriétaire l’avait conduite en métropole avec l’intention de la ramener dans les colonies n’a pas été établie.
En janvier 1716, Pauline, tout juste âgée d’une vingtaine d’années, se présente devant les bénédictines du Calvaire, afin d’être reçue à la première profession. Elle est admise, « à la pluralité des suffrages », par le vote secret des sœurs. La nouvelle moniale signe alors la charte par laquelle elle s’engage à « la conversion de ses mœurs, à la clôture perpétuelle, à la pauvreté, à la chasteté et à l’obéissance ». Six mois sont encore nécessaires à ce qu’elle devienne professe, c’est-à-dire qu’elle prononce ses vœux, le 7 juillet 1716. Elle adopte alors le nom de sœur Pauline Rose de Sainte Thérèse.
Dès lors, son quotidien est rythmé par les offices religieux, les « oraisons mentales », les lectures spirituelles, le travail manuel ou intellectuel et les repas. La journée entamée à deux heures du matin s’achève, pour elle, vers dix-neuf heures, par l’examen de conscience et la bénédiction de la Mère Prieure. Il en va ainsi jusqu’au matin du 3 novembre 1765, où Pauline s’éteint. Elle a 69 ans. Les registres du couvent mentionnent sobrement, à cet instant, qu’elle y est « Vénérable Mère », témoignant de sa progression dans la congrégation. Avec la même rigueur que lors de son entrée au noviciat, cinquante ans plus tôt, rien dans les lignes manuscrites qui l’évoquent ne révèle son histoire particulière. Il est simplement écrit : « Elle était native de la Guadeloupe de l’Amérique. »
Un parcours exceptionnel
Bien qu’oubliée, la vie de Pauline scelle le destin d’hommes, de femmes et d’enfants vivant en esclavage, qui viennent en métropole après elle. En effet, sitôt le jugement de son procès rendu, le Conseil royal de la Marine est sommé de publier un texte afin d’éviter d’autres recours. Au mois d’octobre 1716, la situation est clarifiée par l’Édit du roi concernant les esclaves nègres des colonies (ill. 2). Celui-ci instaure une double rupture dans le droit français : il revient sur le principe du droit du sol, et il crée dans le royaume une catégorie d’individus dont le statut n’existe pas jusque-là, celui des personnes vivant en esclavage. Ces deux aspects divisent les juristes. Si le parlement de Paris refuse d’enregistrer la décision royale au motif qu’elle implique la reconnaissance de l’esclavage en France, celui de Rennes ne fait pas de difficultés pour la coucher dans ses registres dès le 24 décembre 1716.
Les principales mesures de l’édit royal trouvent leur origine dans un rapport que Gérard Mellier (1674-1729), futur maire de Nantes, alors subdélégué de l’intendant de Bretagne, vient de rédiger. Voulant légitimer les pratiques de la traite atlantique et l’esclavage colonial, il souhaite préserver les intérêts des colons et des colonies, dans un texte sans équivoque, qui parvient à faire du destin de Pauline un cas exceptionnel.