Malimbe, un site de traite de la Côte d’Angole
Le dessin (ill. 2) saisit Tati-Desponts dans son déplacement de sa « petite terre », nom donné à son village et terres environnantes dans lesquels il a sa maison, ses esclaves et de nombreux dépendants, vers la baie de Malimbe où s’établit le contact avec les navires de la traite atlantique. Les Européens n’y disposent d’aucun fort et se contentent de quibanga, comptoirs transitoires de mode constructif africain (ill. 3). Pour des raisons sanitaires, les marins-commerçants dorment sur le navire, laissant la surveillance des marchandises sous garde africaine, contrôlée par l’administration royale. À cette date, Malimbe connaît la dernière phase d’un siècle d’intense activité commerciale : le site est au second rang de la Côte d’Angole derrière celui, très proche, de Cabinde. Le comte de Capellis note en 1784 que « les nègres courtiers parlent presque tous français, anglais et hollandais [hiérarchie de fréquentation] avec une facilité naturelle bien étonnante, ne sachant n’y lire n’y écrire même dans leur propre langue ».
Portait de Tati-Desponts
Il s’agit d’un homme jeune, vêtu d’un pagne simple. Il est coiffé d’un bonnet (mpu), signe d’appartenance à l’élite, car son père, nommé Vabu, détient la charge de mafouc, défini par Ohier de Grandpré, comme « l’intendant général du commerce, forcé d’habiter le lieu où se fait la traite […]. Il fixe les prix des denrées et préside tous les marchés, juge en dernier ressort tout ce qui a rapport au négoce. » Même si cet office royal demeure sous le contrôle d’un supérieur nommé mambouc, réservé à un prince-né et pressenti comme héritier du trône, il ouvre l’opportunité de superviser non seulement tous les officiers inférieurs chargés du contrôle concret sur le littoral, mais surtout l’ensemble des courtiers qui servent d’intermédiaires entre les marchands fournisseurs de l’intérieur et les capitaines de navire.
Le rôle des mafoucs dans les échanges
L’analyse des comptes de la Middelburgsche CommercieCompagnie zélandaise (MCC) pour la période 1749-1776 révèle que les mafoucs, qui représentent 5 % des vendeurs africains, ont assuré 10 % des transactions et des esclaves embarqués. D’autres officiers complètent ce commerce. Les marchands non titrés, qui représentent la moitié des opérateurs, n’engagent que 34 % des transactions pour 31 % des esclaves. Selon les comptes de la MCC, les dix plus importants courtiers ont fourni de 110 à 391 esclaves sur des durées variables, productivité à comparer à celle de Tati qui en livre 34 au navire bordelais la Manette (250 tonneaux) en 1790, ayant chargé pour 60 % à Malimbe et 40 % dans l’embouchure du Congo.
Les échanges reposent sur le principe du troc dans un système d’équivalence basé sur des unités de compte. Grandpré calcule une valeur moyenne de 14 « marchandises » décomposées en « 64 pièces » pour un esclave « pièce d’Inde ». Au 18e siècle, les prix explosent surtout après la guerre de Sept Ans (1756-1763) : ils se trouvent presque multipliés par trois. Sur la Côte d’Angole, la demande inscrit sa spécificité dans l’importance accordée aux textiles indiens et européens. Dans les comptes de la MCC (1720-1796), ceux-ci représentent 63,8 % contre 57 % sur l’ensemble du littoral africain, devant les armes (21,4 contre 23 %), l’alcool (7,1 contre 10 %) et les divers (7,7 contre 9 %). Les pagnes sont le plus souvent tirés de tissus d’importation, d’origine plutôt européenne dans les dessins à rayures, à points ou quadrillages, ou plutôt indienne pour le décor floral.
La promotion économique et sociale, formalisée par le mariage de son père avec une sœur du roi de Cabinde, ce qui en fait un frère du nouveau roi dans la succession matrilinéaire, a suscité des rivalités profondes. Le jeune Tati a été kidnappé par les hommes de son « suzerain » (chef de lignage) et exporté à Saint-Domingue où un capitaine de traite nommé Desponts l’a reconnu, racheté et ramené dans son pays, afin de rétablir le climat de confiance dans les affaires. L’association des deux noms Tati-Desponts agit comme révélateur d’une communauté morale marchande transculturelle.