Un musée d’objets évoquant la traite et la grandeur de Nantes
Quelle est l’histoire de cette thématique au sein des musées nantais ? Les collections originellement constituées, notamment celles du musée des Salorges, provenaient essentiellement d’acteurs économiques et politiques qui, dans les années 1910-1930, avaient conservé des relations privilégiées avec les descendants de grandes familles directement impliquées dans la traite atlantique (ill. 1). Une vision nostalgique du 18e siècle nantais habitait alors leurs représentations, au point de leur donner une image positive de cette époque, celle du siècle qui avait favorisé le développement de Nantes comme un grand port colonial et industriel. Dans le musée des Salorges, les vitrines présentant des maquettes de navires, des entraves, des comptes de vente et un exemplaire du Code noir avaient pour objectif de démontrer que les Nantais avaient été plus habiles que leurs concurrents en devenant, au 18e et au 19e siècles, le premier port de traite de France. L’héritage était perçu d’un point de vue économique : il était question d’enrichissement et d’embellissement de la ville. L’approche était principalement technique et comptable. Arrivées en 1955 au Château des ducs de bretagne dans le contexte de la décolonisation française, la plupart de ces collections, devenues municipales, y furent exposées jusqu’à la fin des années 1980, mais sans qu’aucun discours historique ne soit plus tenu à leur propos. Cette présentation, sans explication, donna naissance à divers fantasmes qui marquèrent durablement l’imaginaire des Nantais. Le principal d’entre-eux fut que des personnes esclavagisées avaient été enfermées dans les caves des immeubles de l’île Feydeau et du Château des ducs de Bretagne.
Un nouveau discours sur l’histoire de Nantes
La création du musée d’histoire de Nantes fut l’occasion, au début des années 2000, de reconsidérer cet ensemble. En effet, si une exposition temporaire fondamentale, soutenue par la municipalité nantaise et portée par plusieurs associations et universitaires, Les Anneaux de la mémoire (ill. 2), avait bien révélé ce passé au début des années 1990, le sujet lui-même avait alors disparu – ou presque – du récit national et des programmes scolaires. Il convenait donc, dans un premier temps, de lui rendre sa place dans un musée permanent, et d’en révéler l’existence à un visitorat qui n’en avait le plus souvent jamais entendu mot. La première scénographie s’appuya résolument sur des documents d’archives et des objets qui permettaient d’expliquer la nature structurelle du commerce, de poser ses enjeux économiques et de considérer ses conséquences humaines d’une manière qui ne puisse être contestée par celles et ceux qui avaient été, consciemment ou non, les acteurs du déni. Rendre réelle et compréhensible dans sa pratique, par la matérialité des traces historiques, cette histoire, fut le premier objectif. Cette étape, qui consista à évoquer les faits depuis un port de traite avec une collection constituée par les acteurs de la traite, fut fondamentale et permit de lever définitivement le voile sur ce passé. Elle fut considérée par l’équipe du musée comme un socle sur lequel il convenait de construire des développements en écho avec le monde universitaire et les actions menées par divers acteurs de la société civile, dont les associations culturelles et mémorielles.
La prise en compte de l’humanité des personnes mises en esclavage
Dans les années 2010, de nouvelles thématiques apparurent, mettant en valeur les rapports de domination et la violence du système colonial esclavagiste français. En 2015, la place occupée par les personnes ayant vécu en esclavage sur le sol de France fut particulièrement rendue visible grâce à plusieurs tableaux récemment acquis, dont celui de Pierre Bernard-Morlot, Dominique Deurbroucq et un jeune garçon vivant en esclavage à Nantes, datant de 1753. Influencées par les revendications d’associations de personnes afro-descendantes, de nouvelles approches sémantiques (personne esclavagisée par exemple) firent leur entrée au sein du musée d’histoire de Nantes au début des années 2020. Elles se répandirent dans le cadre des publications éditoriales du musée, dans les salles d’exposition temporaire comme dans celles du musée permanent, jusqu’au portail internet des collections. Entre temps, une biennale intitulée « Expression(s) décoloniale(s) », invitant un historien et un artiste du continent africain à dialoguer avec les collections, sous la forme de cartels spécifiques pour le premier et par la présentation d’œuvres contemporaines pour le second, inscrivit dès 2018 l’institution dans un cadre plus politique et un contexte plus actuel (ill. 4).
Constamment repensées, réécrites et transformées, les sections dévolues à l’histoire de la traite atlantique au musée d’histoire de Nantes témoignent, à leur façon, du foisonnement des approches et des enjeux de cette histoire. Elles permettent de réorienter le propos afin de rendre compte, au-delà des aspects économiques et techniques, de ce que fut la société française au siècle des Lumières, ainsi que de ce qu’elle nous a véritablement laissé en héritage.