Selon Georges Debien, « toute histoire de colonisation est à ses débuts, et même longtemps après, un problème de main-d’œuvre, un problème de recrutement de main-d’œuvre à distance ». D’où notre propos : examiner conjointement les formes de migration et de travail forcés dans les colonies européennes depuis la découverte de l’Amérique. Or si ces phénomènes sont souvent liés, ils ne le sont pas toujours. Il a existé des formes de travail contraint hors des colonies : ainsi la mise en gage de travailleurs dans l’Antiquité grecque, dans l’Afrique ancienne ou dans l’Europe moderne, ou certaines formes d’apprentissage pratiquées en métropole. Il a existé également des formes de travail forcé, en particulier en Afrique subsaharienne, qui ont conduit à des déplacements limités au continent, ou même à des travaux effectués sur place. Par ailleurs, de nombreux déplacements de population liés à la recherche de meilleures conditions de travail se sont effectués de façon spontanée, qu’il s’agisse des émigrations européennes vers les nouveaux mondes ou des diasporas chinoises, ou indiennes dans le Pacifique et l’océan Indien.
La difficulté d’une définition
Il existe au moins trois grandes catégories de travail contraint dans les colonies.
Précédant ou suivant de peu l’esclavage dans le temps, les divers engagismes ont souvent été assimilés à un esclavage déguisé. Cependant, la dimension contractuelle entraîne une rupture fondamentale, en droit sinon toujours en fait ; J.-F. Klein rappelle que le mot coolie provient du tamil, kuli signifiant salaire, car les coolies sont bien des salariés, c’est-à-dire des travailleurs sous contrat.
Certains auteurs, comme Eric Williams (Capitalism and Slavery, 1946) ont écrit, à propos des Anglais, Écossais et Irlandais engagés avant la traite négrière que « White servitude was the historic base upon which Negro slavery was constructed ». Hugh Tinker insiste sur la continuité entre l’esclavage et l’engagisme indien d’après les abolitions, qu’il qualifie de « New system of slavery ». D’autres auteurs sont plus nuancés. Pieter Emmer pense qu’après une première période d’engagements « sauvages », il y eut de plus en plus de vrais volontaires, et que l’engagisme conduisit parfois à des formes de libération des individus : ainsi, la condition des Indiennes engagées aurait été meilleure dans la Caraïbe qu’aux Indes.
Il faut également étudier les différentes formes de travail forcé impliquant les populations locales colonisées qui, malgré leur dureté, se distinguaient de l’esclavage par leur caractère de prestation temporaire et la rémunération, même symbolique, qui leur était attachée. On les observe surtout en Afrique.
Enfin, il existe différentes formes de travail forcé d’origine pénale, infligé aux condamnés d’origine métropolitaine déportés vers les colonies.
Le travail sous contrat des premiers engagés
Une première forme de travail contraint implique, essentiellement au xviie siècle, des travailleurs européens engagés sous contrat pour exploiter les colonies. Un fort besoin de main-d’œuvre est en effet ressenti dans la Caraïbe, où le choc microbien et les sévices liés à la conquête ont anéanti la population amérindienne. Mais ce besoin s’est ressenti dans d’autres colonies, comme le Québec.
Il s’agit, pour les premiers planteurs des Isles, de trouver la main-d’œuvre indispensable au défrichement puis à l’exploitation de leurs plantations. Celle-ci est recrutée sur un contrat de trois ans dans les colonies françaises, et de cinq à sept ans dans les colonies britanniques. Les engagés sont transportés gratuitement à l’aller et rémunérés selon des modalités variables, leur permettant en théorie de financer leur retour. Au début, dans les colonies françaises, le pécule reçu est de 300 livres de tabac ou de coton.
Les appréciations des auteurs sur les conditions de vie de ces travailleurs sont variables : certains décrivent un véritable esclavage sans le nom, d’autres nuancent considérablement ce propos. Et de fait, tout en étant frappé par le tableau terrible dépeint par certains témoins, comme le père Labat, on ne peut nier certains succès personnels d’engagés qui, à la fin de leur contrat, purent s’insérer dans la société locale et y édifier de solides situations. Mais combien y-a-t-il d’échecs lamentables pour quelques success stories gratifiantes ?
Il y a une proportion minoritaire de recrutements forcés. Déportations d’Irlandais et d’Écossais révoltés côté britannique, grands convois de forçats français déportés en 1683-1688, sous l’impulsion de Bégon, intendant des galères de Marseille – qui n’est donc pas que l’innocent introducteur du bégonia en France – faux-sauniers, réformés, petits truands, engagés et recrutés dans les prisons et dans les hôpitaux (en particulier les femmes), enfants enlevés, surtout en Angleterre.
Le plus souvent, il s’agit de ces personnes que Champlain qualifie d’« hommes gênés », convaincus par le mélange de persuasion et de propagande parfois mensongère effectué par des agents recruteurs circulant dans les campagnes et dans les foires. Cependant, quels que soient le besoin de main-d’œuvre des colons et la complaisance des autorités heureuses de se débarrasser d’éléments jugés indésirables, il n’y a pas de politique systématique visant à des engagements forcés. Colbert écrit : « Soyez persuadé qu’il n’est pas au pouvoir du roi, quelque puissant qu’il soit, de peupler par la force lesdites colonies. »
Une distinction doit être établie entre la masse des engagés issus du monde rural et une aristocratie ouvrière de métiers qualifiés : menuisiers, chaudronniers, tisserands, tonneliers, chirurgiens, etc. Les premiers, poussés à l’expatriation par la misère, semblent avoir dû se plier à des contrats léonins et accepter des conditions de vie misérables. Nombreux sont ceux qui meurent avant le terme du contrat, et ceux qui l’accomplissent passent par des fortunes diverses, restant sur place dans des situations le plus souvent médiocres ou revenant en métropole avec beaucoup de peine, les sommes versées par les maîtres ayant souvent été en partie déjà reçues sous forme d’avance et dépensées. Sur place, ils pouvent conclure un nouvel engagement et/ou cultiver un petit lopin à leur compte près de la plantation.
Les seconds ont su négocier des contrats aux conditions beaucoup plus favorables. Ils pouvent, une fois leur contrat terminé, retourner en métropole avec un capital substantiel, ou se mettre à leur compte dans la colonie.
L’engagement des travailleurs européens sous contrat tarit à la fin du xviie siècle, devant la concurrence croissante de la main-d’œuvre servile africaine qui, quoique plus onéreuse à l’achat, se révélait à la longue plus rentable que le paiement de contrats temporaires. En France, le phénomène a pu impliquer jusqu’à 400 000 travailleurs. Selon G. Debien, l’argent gagné dans ce trafic par les marchands des ports de France est le capital de la traite négrière.
Le travail contraint des prisonniers européens
Les déportations des prisonniers et le travail des bagnards et forçats européens dans les colonies sont postérieurs au milieu du xviiie siècle. Tout en s’expliquant par la volonté de trouver une main-d’œuvre bon marché pour la mise en valeur des colonies, ils participent d’une logique répressive : volonté de purger les métropoles d’éléments indésirables et de faire expier les crimes commis, mais aussi désir d’éliminer des adversaires politiques.
André Zysberg insiste sur la continuité entre les galères, créées au début du xviiie siècle, concernant bon an mal an environ 4 000 personnes par an (prisonniers de droit commun, protestants après 1685) et les autres formes de travail forcé qui leur succédèrent. Il écrit :
« Voilà comment fonctionna durant trois quarts de siècle le plus grand pourrissoir d’hommes de la France moderne. Ce système survécut aux galères. On le retrouve dans le bagne de la seconde moitié du xviiie siècle, de la Restauration et de la monarchie de Juillet, dans les camps de la Guyane à l’époque du Second Empire ou de la IIIe République, ces galères sans les galères.
L’argot des bagnes et des centrales emprunte bien des mots au vieux langage des galères : chiourme, taulard, argousin, forçat – d’un condamné aux travaux forcés, on disait : “Il est aux galères”, comme si les bagnards ramaient encore sur des vaisseaux fantômes. »
À partir de 1748 les galériens sont transférés dans les trois arsenaux militaires, Toulon, Brest, Rochefort. Toulon voit passer en un siècle cent mille condamnés. D’autres bagnes sont créés par la suite, et sous le Consulat et le Premier Empire, leur population quadrupla.
Le bagne de Rochefort, créé en 1757, plus petit que Toulon et Brest, n’atteint pas moins mille hommes vers 1830. Sur 25 000 bagnards passés à Rochefort, 20 000 sont morts avant leur libération. Parmi eux, on peut citer le père de l’explorateur René Caillié, condamné en 1799 à douze ans de fer pour un vol jamais prouvé de deux écus de trois livres et mort en détention en 1808.
Les bagnards sont à la disposition des dix mille ouvriers de l’arsenal, pour les travaux pénibles ou dangereux : ils tirent les navires dans la Charente, en direction de l’île d’Aix où sont installés les mâts : ils tirent la corde de la chaloupe qui débarrasse la Charente de la vase ; attelés à des chariots, ils peuvent charger les navires, transporter les canons ; lors du lancement des navires, on fait retirer la cale par un bagnard, qu’on libère lorsqu’il n’est pas écrasé…
Le sentiment des contemporains n’est pas sans rappeler ce que l’on pensera ensuite des bagnes coloniaux. Citons simplement un philanthrope, Villermé. Impressionné par la mortalité des bagnards lors de son enquête de 1830, il écrit : « S’il faut absolument qu’il y ait un grand port à Rochefort […] mieux vaut que les travaux insalubres que l’entretien de ce port exige soient faits par des criminels avérés que par d’autres ouvriers […] La mort d’un forçat est bien moins à regretter que celle de tout autre individu. »
Les premières déportations vers la Guyane ont lieu à la Révolution : récidivistes de droit commun à partir de 1791, ecclésiastiques non assermentés (1792), victimes de la répression thermidorienne envoyées vers la « guillotine sèche » (Billaud-Varenne, Collot d’Herbois).
Par la suite, la décision de faire accomplir les peines de travaux forcés outre-mer est prise par Napoléon III (loi sur la transportation de 1854) qui fait ce commentaire : « Six mille condamnés renfermés dans nos bagnes grèvent le budget d’une charge énorme, se dépravent de plus en plus et menacent incessamment la société. Il me semble possible de rendre la peine des travaux forcés plus efficace, plus moralisatrice, moins dispendieuse et plus humaine en l’utilisant aux progrès de la colonisation française. »
La Guyane, un temps jugée trop dure en raison de l’effrayante mortalité des condamnés, est relayée par la Nouvelle-Calédonie (1857-1886) puis redevient en 1897 le seul bagne. On évalue à cent mille les condamnés acheminés vers la seule Guyane.
Le bagne colonial est un moyen de mettre à l’écart des condamnés politiques, en particulier après la Commune (Louise Michel, Jean Allemane, Henri Rochefort en Nouvelle-Calédonie) ou de prétendus traîtres (Alfred Dreyfus à l’île du Diable en Guyane). On envoie pendant toute la période des condamnés de droit commun. On se débarrasse des multirécidivistes (loi sur la relégation de 1885 des vagabonds et délinquants jugés irrécupérables). En Guyane, l’espérance de vie des forçats est au xixe siècle du même ordre que celle des bagnards métropolitains et des galériens des périodes précédentes, de l’ordre de six ans. Elle varie cependant selon les sites : les camps forestiers sont par exemple de beaucoup plus sinistre réputation que d’autres sites comme celui de Kourou. Les forçats libérés mais interdits de séjour en métropole restent à Cayenne.
L’inhumanité du système est dénoncée par Albert Londres dans un reportage de 1923. Le président Lebrun, en 1938, met fin à l’envoi de bagnards. Mais les derniers de ceux qui purgent leur peine ne sont rapatriés qu’en 1953.
Aujourd’hui, les auteurs estiment que le système répressif des bagnes aboutit à la « cassure des êtres » (Michel Pierre) beaucoup plus qu’à la mise en valeur de la Guyane, tandis que les travaux de Dominique Kalifa décrivent les bagnes de l’armée française en Algérie, où, à la Belle Époque, les effectifs de Biribi – comme on les surnomme – atteignent près de 2,1 % du total de l’armée française, dont ils regroupent dans des bataillons disciplinaires sahariens les éléments jugés récalcitrants.
Au Royaume-Uni, la déportation des convicts prend une toute autre ampleur qu’en France. Certains sont envoyés en Amérique avant que l’Australie ne devienne leur destination principale. Ainsi 775 convicts débarquent en 1786 en Nouvelles Galles du Sud. Entre 1788 et 1840, environ 100 000 convicts sont transportés vers l’Australie.
Les convicts sont transportés pour sept ou quatorze ans, quelquefois à vie. Après la fin de leur peine, ils reçoivent un certificat de liberté, certains retournant en métropole, d’autres s’installant sur place. Jusqu’aux réformes du gouverneur Richard Bourke (1831-1837), qui limite le nombre des employés par colon à soixante-dix, les convicts servent aux colons de travailleurs agricoles, tandis que les prisonniers les plus remuants sont employés dans les travaux d’intérêt général.
On peut rapprocher l’emploi des forçats dans les colonies européennes du recours aux prisonniers condamnés aux travaux forcés aux États-Unis et en Russie, alors à la conquête de leurs espaces intérieurs. La mythologie liée à l’histoire du Far West compte parmi ses personnages, aux côtés du sheriff et du cow-boy, l’outlaw et le convict. Et, en Sibérie, à la fin du xixe siècle, y aurait eu environ onze mille forçats déportés, condamnés de droit commun ou prisonniers politiques. Dostoïevski, qui fut l’un d’entre eux, écrit à propos du bagne, dans Souvenirs de la maison des morts : « L’homme est un être qui s’habitue à tout. »
Le travail force des colonisés (fin XIXe- XXe siècle)
Dans l’Afrique coloniale, dont la population n’est que de cent millions d’habitants en 1900, le colonisateur a besoin de la contribution de la force de travail des Africains à la mise en valeur des territoires, dans une économie qui refuse désormais l’option esclavagiste.
Le statut de la terre est ici déterminant dans le choix des options permettant d’atteindre cet objectif. Là où la maîtrise de la terre revient aux colons, l’État colonial peut se passer des formes institutionnalisées de travail forcé. En effet, les Africains ne disposant pas de la capacité de travailler des terres leur appartenant, il est beaucoup plus facile de les inciter à travailler au service des colons ou de l’État colonial. Ainsi, en Union sud-africaine, la population noire ne dispose, dans les réserves, que de 12 % des terres. Pour obtenir les ressources nécessaires à sa survie, elle est donc poussée à fournir spontanément un travail salarié. L’orientation précoce de l’économie vers les secteurs minier et industriel conduit à des migrations de travail internes à l’Union sud-africaine, et également à l’échelle du sous-continent. Nous avons ici un exemple de travail spontané qui n’en présente pas moins des éléments de contrainte, le travail des Noirs étant distingué par la loi du « travail civilisé ».
Dans ses colonies dites d’exploitation africaine, le Royaume-Uni préfère – même s’il y a des exceptions, surtout avant les années 1920 – le travail salarié local au travail forcé, ou/et recourt à des coolies indiens engagés.
En Afrique Occidentale Française (AOF), où la population garda la maîtrise de la terre, le système colonial fonctionna plusieurs types de contraintes :
– des prestations de travail obligatoires destinées à assurer les travaux d’intérêt général ;
– une forte pression fiscale (capitation) conduisant le colonisé soit à se lancer lui-même dans des cultures d’exportation rémunératrices, soit à chercher un apport d’argent frais en travaillant au service des exploitations des colons ;
– le colonisateur organise des migrations forcées de travail depuis les régions relativement peuplées vers les régions ayant besoin de main-d’œuvre (ainsi depuis le pays Mossi en Haute-Volta vers les exploitations forestières et agricoles de Basse Côte d’Ivoire).
En Afrique Equatoriale Française (AEF) comme dans le Congo belge du début du xxe siècle, l’État colonial délègue une partie de ses fonctions à des compagnies concessionnaires. Celles-ci mettent la population en coupe réglée, en particulier en début de période, où elles exigent des fournitures en caoutchouc et autres produits d’exportation.
La réalité est plus complexe en Asie, dont la démographie était déjà en pleine expansion. Ainsi, en Inde britannique, les Indiens gardent la maîtrise de la terre, et il n’existe de travail forcé que de façon marginale : au xixe siècle jusqu’en 1850 des travaux forcés sont imposés aux vagabonds, aux prisonniers, ou aux personnes menacées de famine, sur des chantiers d’intérêt général, dans des conditions très dures (Alessandro Stanziani).
On peut également évoquer les contrats des tisserands du Bengale employés par la Compagnie des Indes aux xviiie et xixe siècles, qui sont de nature volontaire ; mais le caractère pénal attribué à la rupture du contrat du fait du tisserand les rapproche du travail contraint. Cela reste cependant très minoritaire.
L’engagisme dans les colonies européennes aux XIXe-XXe siècles
Sur une durée d’un peu plus de cent ans, le recours aux travailleurs engagés conduit à des transferts de population massifs.
À l’arrière-plan, il importe de conserver en mémoire quelques données :
– le refus des Européens de servir de main-d’œuvre dans les colonies subtropicales ;
– la fragilité démographique persistante de l’Afrique ;
– la puissance démographique de l’Asie : Chine et sous-continent indien totalisent à eux deux environ six cents millions d’habitants en 1900, souvent poussés par la misère à s’expatrier, alors que l’Europe en a quatre cent vingt millions.
Dans un premier temps, l’appel de main-d’œuvre se fait vers les plantations sucrières, où de nouveaux fronts pionniers d’exploitation se développent (ainsi à l’île Bourbon, après l’effondrement de la production de Saint-Domingue, indépendante en 1809).
L’abolition de la traite négrière, la suppression de l’esclavage créent une pénurie de main-d’œuvre. C’est pourquoi, dans une période transitoire, les planteurs obtiennent l’instauration d’un système d’apprentissage ou d’association, destiné à maintenir sur place temporairement les esclaves libérés, contraints de travailler pour leurs maîtres dans des conditions proches de l’esclavage, mais disposant d’un lopin de terre où ils peuvent travailler pour leur compte. Les abus des maîtres, les résistances des anciens esclaves, les méfiances des abolitionnistes, expliquent que le système ne dure que quelques années. On ne continue pas non plus le recours aux esclaves arrachés aux bateaux négriers et engagés dans des systèmes d’apprentissage.
Dans un deuxième temps, le besoin de main-d’œuvre est lié à l’expansion croissante des empires coloniaux, ce qui explique le développement de nouveaux types de plantations. Ainsi les grandes plantations de Cochinchine, en Indochine française, sont cultivées par des Annamites venus du nord. À toute autre échelle, l’hévéaculture de Malaisie se développe en recourant massivement aux coolies indiens, et surtout chinois. Parallèlement, existent des besoins de construction de grandes infrastructures : ainsi, le réseau ferroviaire indien est construit essentiellement à partir de travailleurs engagés.
Il faut ici insister sur l’ampleur du recours aux mains-d’œuvre indiennes et chinoises. Le monde indien exporte sa main-d’œuvre surtout vers l’empire britannique, avec des effectifs atteignant, selon J.-F. Klein, « entre 1 et 2 millions de coolies ».
Les premiers engagements du xixe siècle sont le fait d’entrepreneurs privés, dans des conditions fort contestables. Puis la Grande-Bretagne, désireuse à la fois d’humaniser le système et d’augmenter les effectifs recrutés, décide de réglementer l’engagisme indien, sous l’influence notamment de la vice-royauté des Indes (1840-1878). On s’achemine vers un contrat type de cinq ans, assorti d’un billet aller-retour. On veille à ce que le souscripteur comprenne les termes du contrat qu’il signet. Le gouvernement britannique en Inde développe certaines mesures de protection : ainsi le permis de recruter délivré par le collecteur, le permis d’embarquer des immigrants délivré au capitaine du navire.
L’expansion du nationalisme indien oblige néanmoins le Royaume-Uni à mettre fin à l’engagisme, en 1920. D’autant que, parallèlement, certains milieux impériaux préfèrent le maintien sur place de la population, pour la mise en valeur des Indes.
La France, après un recours à l’engagisme africain entre 1850 et 1859, obtient l’autorisation à partir de 1860 d’importer en nombre des coolies de l’Inde britannique, notamment vers la Réunion.
De son côté, la Chine, en proie à de violentes convulsions internes (révolte des Taïping dans la décennie 1850), de plus en plus dépendante envers les puissances européennes (guerres de l’opium avec le Royaume-Uni), reste jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale un simple réservoir de main-d’œuvre.
Dès les années 1840, les coolies chinois sont recrutés dans des conditions qui s’apparentent davantage au rapt qu’à l’engagement contractuel : enlèvement par des agents de recrutement privés des cochons de lait avec la complicité des fonctionnaires impériaux corrompus (J.-F. Klein). Après 1860, le gouvernement légalise ces pratiques tout en tentant de réglementer ce qui s’était fait jusqu’alors de façon privée et souvent violente.
On a déjà souligné les filiations entre les diverses formes de travail contraint dans les colonies européennes. Aussi insistera-t-on davantage ici sur les conséquences sur les colonies d’accueil des mouvements de population qui leur sont liés.
Aujourd’hui, si une partie des Australiens descendent de convicts, l’impact local des déportations de bagnards en Guyane et Nouvelle-Calédonie paraît beaucoup plus faible. En revanche, certaines formes de travail forcé des populations colonisées ont eu de lourds impacts : dépeuplement, fuite, stagnation économique. Transferts de populations liés à des recrutements forcés de main-d’œuvre en AOF. Ou bien fuite des mêmes populations vers les colonies britanniques.
Mais on insistera surtout ici sur les transferts de population liés à l’engagisme. Dans les îles de la Caraïbe, aux Mascareignes, l’immigration d’engagés asiatiques a contribué, en se surajoutant à l’implantation des esclaves africains, à l’édification d’une société à la fois plurielle et segmentée.
En Asie, quelques exemples de situations explosives liées à l’introduction de communautés étrangères sont indiqués par J.-F. Klein : en Malaisie britannique, ont été importés sept millions de coolies d’origine chinoise, dont environ le tiers est resté sur place ; de même, à Sumatra, les Néerlandais ont importé « des millions de coolies indiens et chinois » travaillant dans « les plantations et les mines », alors que les habitants s’adonnaient à l’« agriculture vivrière » ; à Ceylan, les Tamouls hindouistes sont aujourd’hui face aux Cinghalais bouddhistes.
Si on ajoute les effectifs des diasporas indiennes et chinoises dues à des migrations spontanées, à ceux induits par l’installation des engagés, on mesurera les conséquences de ces énormes transferts de population, d’autant plus visibles que ces communautés sont réticentes à se fondre dans la population locale.