À partir de 324 (victoire de Chrysopolis), Constantin (306-337) règne seul sur l’intégralité de l’Empire romain. Dans le prolongement de ses prédécesseurs, il prend part au décentrement de l’empire vers l’Orient. Le système tétrarchique, reposant sur un exercice coordonné du pouvoir entre les deux Augustes et leur César respectif, a encouragé les princes à agir militairement et politiquement en fonction de leur aire de compétence. La cour impériale est de plus en plus itinérante : les empereurs séjournent désormais au plus près des théâtres d’opérations militaires à Trèves, Milan, Nicomédie ou encore Thessalonique et Antioche. L’abandon de Rome en tant que capitale politique est consacré par Constantin : il ne réside dans la Ville qu’à trois reprises (312, 315 et 326), dans le cadre de cérémonies festives.
La fondation de Constantinople, nouveau centre du pouvoir
C’est en novembre 324 que Constantin décide de fonder une ville qui porte son nom. Selon l’historien grec Zosime (Histoire nouvelle), antichrétien hostile à Constantin et actif vers 500, la naissance de la « nouvelle Rome » serait liée à une affaire de mœurs. Ne supportant plus les critiques apparues après avoir ordonné l’assassinat de ses proches et montré des sympathies chrétiennes en se tenant à l’écart des rites ancestraux, le souverain aurait voulu s’éloigner de la Ville. Dans les faits, la fondation de Constantinople tient davantage à des considérations d’ordre politique et stratégique. Son fondateur hésite entre plusieurs sites – Troie, Sardique, Chalcédoine, Thessalonique – avant d’arrêter son choix sur celui de Byzance, une cité grecque séculaire. La « nouvelle Rome » n’est donc pas une création ex nihilo mais la refondation d’une cité facile à défendre : elle est choisie en raison de son emplacement, aux débouchées de plusieurs routes entre la Méditerranée et les provinces asiatiques de l’empire.
En organisant la nouvelle capitale sur le modèle de Rome, le fils de Constance Chlore dessine les contours d’un empire où Constantinople serait le siège de l’empereur. Si la multiplication des résidences impériales déstabilise le centre de gravité de l’Empire, ce n’est qu’à partir de Constance II (337-361) que Constantinople vient supplanter Rome en tant que centre politique principal de l’Empire.
Dès 330, Constantin considère sa ville comme une résidence permanente et ne la quitte que pour de brefs séjours d’agrément ou une rapide expédition. Cependant, après lui, c’est surtout à partir de Théodose (379-395) que les empereurs y résident de manière pérenne. Échappant à l’autorité du gouverneur de la province d’Europe, la cité est placée sous la responsabilité du proconsul en charge de la ville, puis du préfet urbain en 359. Ce dernier, chargé de gouverner la ville, est le premier représentant de l’empereur dont il dépend directement. Il est en charge de l’administration, de la justice et de la police dans la capitale.
Aménager la « nouvelle Rome »
De grands travaux sont lancés dans la nouvelle résidence impériale dès 325. Ils sont financés par le trésor de Licinius (308-324), rival de Constantin défait l’année précédente, ainsi que par les biens et les revenus confisqués à certaines cités et aux temples païens. Le 11 mai 330, la ville de Constantin est inaugurée par une dédicace lors d’une grande fête. Son fondateur la dote des éléments constitutifs d’une cité impériale, point de départ à son développement ultérieur. Il y fait installer un atelier monétaire et fait aménager un Palais (Chalcè) dont l’agencement rappelle celui de Rome (ill. 1). Adossé à la mer, à l’emplacement actuel de la mosquée Sultan-Ahmed, le Palais est composé des appartements privés de la famille impériale. Il accueille également les casernes de la garde (les scholes), ainsi que la chancellerie impériale, composée de l’ensemble des bureaux centraux (scrinia) – notamment ceux des libelles, des lettres et des études – qui reçoivent les requêtes, la correspondance et les dossiers à instruire. Entouré de sa cour, l’empereur y rend aussi la justice au sein du Tribunal, un vaste espace dans lequel se déroulent les audiences ainsi que les investitures de dignitaires impériaux. Le sénat municipal, qui existe dès Constantin, prend une dimension impériale, avec des prérogatives élargies, à partir de Constance II. Enfin, le préfet de la ville occupe une place importante : il dispose vraisemblablement de bureaux au sein de l’hippodrome, où il rend également la justice.
C’est en 330 qu’est achevé la construction de cet hippodrome, un édifice qui remonte à Septime Sévère (193-211). Remodelé à l’image du cirque de Rome, il est doté d’une loge réservée à l’empereur, le Kathisma (ill. 2). Il y assiste aux représentations, installé sur son trône, en présence des différents dignitaires assis non loin. La loge impériale est reliée au Palais par un escalier qui assure une communication directe entre la résidence impériale et l’hippodrome. Celui-ci devient progressivement un espace institutionnel à part entière : il est le lieu de rencontre entre l’empereur et le peuple, mais également celui de l’exaltation de la puissance impériale. On y donne des jeux et on y célèbre les cérémonies officielles (anniversaires, victoires, avènements).
Pour doter la nouvelle capitale d’un décor digne de Rome, Constantin puis Constance II, son fils, organisent la collecte systématique des œuvres d’art au sein de l’empire. Entre autres, les statues de héros homériques, de dieux et déesses, d’empereurs, de magistrats ornent l’hippodrome ainsi que les bains de Zeuxippe – ces thermes publics monumentaux sans doute construits sous Septime Sévère et réaménagés par Constantin.
Le forum de Constantin, grande place circulaire, est construit à l’ouest du Palais (ill. 1). En son centre trône, sur une base carrée, une colonne de porphyre élevée vers 328 et surmontée d’une statue colossale de l’empereur représenté sous les traits du dieu Hélios. Durant toute l’époque byzantine, le monument représente le symbole de la fondation et de la préservation de la ville : les empereurs viennent y célébrer, en cortège, leur victoire. Après Constantin, dès la fin du ive siècle, plusieurs autres places sont créées sur la Mésè, l’artère centrale de la ville. Celle-ci relie la Porte Dorée à l’église des Saints-Apôtres, en passant par le Palais et le Forum de Constantin (ill. 1). C’est aussi le prolongement de la Via Egnatia, route qui assure la liaison entre Constantinople et Rome à travers le sud des Balkans.
Jusqu’à la fondation de l’église Sainte-Sophie, consacrée par Constance II en 360, Sainte-Irène est la principale église de la communauté chrétienne et le centre religieux de Constantinople. Constance II fait également ériger une église cruciforme dite des Saints-Apôtres. Le mausolée circulaire de Constantin en constitue une annexe où, en juin 337, la dépouille de l’empereur est déposée après avoir été exposée au Palais.
La « nouvelle Rome » est protégée par des remparts que Constantin fait élever à un peu moins de 3 km à l’ouest de l’ancienne enceinte de Byzance. Pour mieux ravitailler la cité dont la croissance démographique s'accélère, Julien (360-363) fait construire un nouveau port sur la mer de Marmara. Forte de sa croissance et de sa richesse, Constantinople est entourée d’une nouvelle enceinte à 2 km à l’ouest du mur constantinien au début du ve siècle, par Théodose (379-395). Progressivement, les successeurs de Constantin renforcent la position centrale de la ville. Bien qu’absent le plus souvent de la cité, Constance II joue un rôle décisif dans le passage de Constantinople du rang de résidence impériale à celui de capitale d’Empire : il crée notamment un Sénat impérial vers 351 et la préfecture urbaine en 359. En 395, la division de l’Empire entre les deux fils de Théodose, Honorius (395-423) et Arcadius (395-408), permet à Constantinople d’assumer pleinement son statut de capitale : la ville de Constantin se retrouve, dès lors, seule à la tête de l’Empire romain d’Orient.