Le socialisme : définition et histoire (19e siècle-20e siècle)

Le socialisme est un ensemble d’idées politiques apparues au xixe siècle et qui ont toutes en commun une volonté de transformation économique, avec des conséquences politiques et sociales. Son objectif, aux échelles nationale et internationale, est de donner naissance à une société plus juste et plus égalitaire que celle née du capitalisme. D’abord en Europe puis dans le monde entier, de nombreux groupes politiques se définissent comme socialistes. Ils proposent des lectures différentes, voire concurrentes, ainsi que des moyens variés pour parvenir à leurs fins. 

Ill. 1. Walter Crane, Labour’s May Day. Dedicated to the Workers of the World, 1889.
Ill. 1. Walter Crane, Labour’s May Day. Dedicated to the Workers of the World, 1889. (Victoria and Albert Museum Website). Illustrateur socialiste britannique (1845-1915), Walter Crane met en avant la solidarité internationale du mouvement ouvrier à l’occasion du 1er mai. La Deuxième Internationale a décidé, en 1889, de consacrer cette journée à l’expression des revendications des travailleurs, en premier lieu celle de la journée de 8 heures de travail.
Ill. 2. Harold Wilson (g.) (1916-1995), premier ministre travailliste du Royaume-Uni (1964-1970 et 1974-1976) avec Lyndon B. Johnson (d.) (1908-1973), 36e président des Etats-Unis d’Amérique (1963-1969). Domaine public
Ill. 2. Harold Wilson (g.) (1916-1995), premier ministre travailliste du Royaume-Uni (1964-1970 et 1974-1976) avec Lyndon B. Johnson (d.) (1908-1973), 36e président des Etats-Unis d’Amérique (1963-1969). Domaine public (Library of Congress). Le travaillisme est la déclinaison britannique de la social-démocratie, et la perspective réformiste y a toujours été très majoritaire.
Ill. 3. La salle du Manège lors du congrès de Tours où est actée l’adhésion à l’Internationale communiste, décembre 1920
Ill. 3. La salle du Manège lors du congrès de Tours où est actée l’adhésion à l’Internationale communiste, décembre 1920 (Gallica). On reconnaît les mots d’ordre marxistes sur les banderoles au-dessus de l’estrade : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes » et « Prolétaires de tous pays unissez-vous ». Encore au-dessus, deux portraits de Jean Jaurès encadrent le drapeau de la section de Tours de la SFIO.
Sommaire

Le socialisme : une idéologie politique née au XIXe siècle

Le terme « socialisme » apparaît d’abord en Angleterre dans les années 1820, puis traverse la Manche durant la décennie suivante. C’est dans le contexte de l’industrialisation, avec les inégalités profondes générées par le développement de ce mode de production, qu’émergent les premiers courants de pensée socialiste, pour certains nourries des héritages de la Révolution française. Le socialisme constitue alors un ensemble de propositions pour agir dans le présent, en rectifiant les dysfonctionnements constatés, afin de proposer à l’humanité un avenir de prospérité plus juste et plus égalitaire : c’est une idéologie du progrès.

Dans la première moitié du xixe siècle, ses premiers théoriciens sont généralement qualifiés de « socialistes utopiques » : ils proposent des organisations sociales et économiques nouvelles, atteignables de manière pacifique par l’action des individus, sans nécessaire recours au pouvoir politique. Ses principaux représentants sont Robert Owen (1771-1858) en Grande-Bretagne, Charles Fourrier (1772-1837) et Saint-Simon (1760-1825) en France, ainsi que leurs disciples. Cependant, eux-mêmes ne se qualifient pas toujours de socialistes : Saint-Simon (1760-1825) parle ainsi d’« industrialisme » pour désigner sa doctrine.

À partir du milieu du xixe siècle, la pensée de Karl Marx (1818-1883) offre de nouvelles perspectives au socialisme. Désormais, celui-ci se définit résolument contre la propriété privée des moyens de production et d’échanges (usines, chemins de fer, etc.). Selon Marx, ceux-ci appartiennent à quelques-uns, alors qu’ils devraient être entre les mains de tous. L’intérêt du plus grand nombre, incarné par la classe ouvrière (le prolétariat), doit en effet primer sur celui de la minorité qui l’exploite pour s’enrichir (la bourgeoisie). Pour Marx et ses partisans, ces deux groupes sociaux sont en conflit : c’est le principe de la lutte des classes, moteur de l’histoire, grille de lecture de l’économie et de la société. 

Pour les marxistes, la révolution doit remplacer le capitalisme par une organisation qualifiée de communiste – un terme forgé à la fin du siècle précédent et qui se développe dans la première moitié du xixe siècle. Dans ses écrits, Marx utilise indifféremment les termes de « socialisme » et « communisme ». Le marxisme n’a pas la même influence partout : alors que la tradition socialiste britannique reste relativement étanche à ses idées, il devient en France comme en Allemagne un point de référence de la pensée socialiste. À une échelle plus fine, tous les socialistes n’y sont pas sensibles de la même manière : en France, les partisans de Jules Guesde (1845-1922) sont les marxistes les plus orthodoxes, alors que les socialistes indépendants autour de Jean Jaurès (1859-1914) y puisent ce qui peut être compatible avec leur attachement à la République. 

Le socialisme : une idéologie revendiquée par différents groupes politiques (fin XIXe siècle – XXe siècle)

Dès le xixe siècle, les socialistes sont séparés en plusieurs sensibilités, et cette tendance s’accentue tout au long du xxe siècle. Dans les premiers temps, les points de discorde résident souvent dans les manières d’agir pour arriver à l’objectif final commun : faut-il jouer le jeu des institutions au risque de trahir la révolution ? Faut-il privilégier une action politique, syndicale, voire une action violente ? Faut-il user du compromis ou du rapport de force ? Comment penser la nation ? Malgré ces divisions, le socialisme séduit toujours davantage d’individus, en particulier des ouvriers, qui s’organisent dans les différentes formations qui s’en revendiquent. La multiplication des élus socialistes à toutes les échelles témoigne bien de ces progrès. 

Le socialisme s’étend aussi géographiquement : ses partis fleurissent et des organisations internationales sont mises en place pour coordonner leur action (ill. 1). À l’Association internationale des travailleurs (AIT, Première Internationale) (1864-1876) succède, en 1889, l’Internationale ouvrière (Deuxième Internationale) qui reste très majoritairement européenne. La révolution russe d’octobre 1917 inaugure une nouvelle période de division entre ceux qui se revendiquent du socialisme. Les bolcheviques de Lénine créent en 1919 l’Internationale communiste (IC, Troisième Internationale) et invitent les partis socialistes à la rejoindre. Leur objectif est de proposer une nouvelle ligne d’action pour régénérer un socialisme qu’auraient trahi, par leur soutien aux efforts de guerre nationaux, les partis socialistes. Deux sensibilités principales se réclament du socialisme, mais ceux qu’on appelle couramment les socialistes sont désormais ceux qui refusent d’être communistes.

Après la Seconde Guerre mondiale, le socialisme continue à prendre plusieurs formes et à ne pas se laisser enfermer dans une définition unique. Dans le contexte de la Guerre froide, les États qui ne font pas partie du bloc occidental se revendiquent encore du socialisme, y compris nombre d’États anciennement colonisés et nouvellement indépendants. Cependant, au modèle soviétique s’ajoutent progressivement d’autres approches comme en Yougoslavie, en Chine ou à Cuba

L’idéologie des partis socialistes dans les démocraties occidentales, quant à elle, est désormais souvent qualifiée de social-démocratie. Ce terme ancien désigne ici une tendance socialiste émancipée de certains principes fondateurs. Elle est ouvertement réformiste et gestionnaire, et elle vise le compromis avec le capitalisme plutôt que la confrontation pour obtenir le progrès social. Certains tirent même un trait sur le marxisme, comme le SPD en République fédérale d’Allemagne (RFA) lors de son congrès de Bad Godesberg (1959). À plusieurs reprises, des partis socio-démocrates accèdent au pouvoir (Suède, RFA, Autriche, Royaume-Uni, France) (ill. 2). Au tournant des xxe et xxie siècles, une social-démocratie toujours plus recentrée, parfois qualifiée de social-libéralisme ou de « troisième voie », connaît encore des succès électoraux, avec par exemple Tony Blair puis Gordon Brown au Royaume-Uni, ou Gerhard Schröder en Allemagne. Mais existe-t-il encore un rapport avec les origines du xixe siècle ? Aujourd’hui, le socialisme est surtout une référence historique générale à laquelle puiser en fonction de besoins d’identification (ou de rejet) politique, davantage qu’une ligne directrice idéologique ferme et unique que le socialisme n’a, de toutes manières, jamais été. 

Document : Jules Guesde et Jean Jaurès unissent leurs forces avec la création du PS-SFIO (avril 1905)

Au mois d’avril 1905 se tient salle du Globe, à Paris, le congrès d’unification socialiste. Il est l’aboutissement d’un processus engagé depuis le début des années 1890, mais rendu plus urgent depuis les injonctions de l’Internationale l’année précédente : la force du socialisme nécessite impérativement des partis unifiés, pas des chapelles concurrentes. Les recompositions successives des courants socialistes avaient abouti, en France, à l’émergence en 1902 de deux partis : le Parti socialiste de France de Jules Guesde et le Parti socialiste français de Jean Jaurès. Ce sont eux qui s’accordent en 1905 pour se fondre dans un nouveau parti : le Parti socialiste – Section française de l’Internationale ouvrière (PS-SFIO). Dans L’Humanité, le journal fondé par Jean Jaurès l’année précédente, Francis de Pressensé (1853-1914) se réjouit de cette unité nouvelle :

« Il y a longtemps que tous ceux d’entre nous qui sont pénétrés de la hauteur et de l’urgence de notre tâche, de la beauté de notre idéal, de l’incommensurable supériorité de la conception collectiviste ou communiste, qui est notre raison d’être et notre différence essentielle avec tous les partis bourgeois, sur les préoccupations secondaires et subalternes de la politique pure, – il y a longtemps que ces hommes souffraient de nos querelles intestines et de nos néfastes divisions […] Il y a longtemps qu’ils sentaient, avec une angoisse croissante, que cet éparpillement de nos forces, cette hostilité de frères ennemis, avaient pour conséquence fatale le malaise, l’inquiétude, le détachement, bientôt peut-être l’antagonisme ou, ce qui serait pire que tout, l’indifférence d’un prolétariat qui tend de plus en plus à s’organiser sur le terrain économique dans une unité vivante et agissante et qui comprendrait et pardonnerait de moins en moins l’émiettement sur un autre terrain d’un Parti qui affirme n’être que sa face politique.

[…] S’imagine-t-on que la masse des socialistes français a appelé passionné de ses vœux, a voulu, a fait, a consacré, va pratiquer l’unité, non pour mettre au service de la cause du prolétariat, en vue de la transformation de la société, pour la suppression de la fiction assassine de la propriété individuelle, toutes les énergies éparses, toute la vitalité, toutes les puissances émiettées du socialisme, mais pour épouser telle ou telle rancune, pour faire à telle ou telle fraction ou pour se prêter à telle ou telle intrigue ? […] Nous prenons l’unité au sérieux. Il ne s’agit pas d’une victoire de l’un sur l’autre, mais d’une union assortie. 

[…] Et demain, quand dans la France, dans le prolétariat du monde entier, on apprendra que le socialisme français vient, en se conformant à une obligation primordiale, de donner en même temps une leçon éclatante à toutes les fractions encore divisées du socialisme international, on célèbrera avec une joie légitime la création d’un instrument incomparable, au service et au profit du sublime idéal collectiviste […] qui est le fondement inébranlable d’une unité, en réalité antérieure et supérieure au pacte de sa reconnaissance. » 

Francis DE PRESSENSÉ, « L’Unité socialiste », L’Humanité, 26 avril 1905, p. 1

Pour ce député socialiste proche de Jaurès, l’unité met fin à une situation néfaste pour le prolétariat. En s’accordant sincèrement sur ce qu’ils partagent, les socialistes vont désormais pouvoir œuvrer efficacement contre le système capitaliste et ses conséquences sur le prolétariat. Artisan de l’unité, Francis de Pressensé met l’accent sur ce qui rassemble davantage que sur ce qui divise. Après 1905, la cohabitation au sein de la SFIO n’est cependant pas toujours facile entre les nouveaux camarades de parti. Celui-ci parvient cependant à se préserver des rivalités et des conflits jusqu’en 1920. En effet, en décembre de cette année, lors du congrès de Tours, la majorité de la SFIO, contre une minorité de réfractaires autour de Léon Blum, vote l’adhésion à l’Internationale communiste (ill. 3). 

Citer cet article

Quentin Gasteuil , « Le socialisme : définition et histoire (19e siècle-20e siècle) », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 14/02/25 , consulté le 18/03/2025. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22521

Cette notice est publiée sous licence CC-BY 4.0. La licence CC-BY signifie que les publications sont réutilisables à condition d’en citer l’auteur.

Bibliographie

Becker Jean-Jacques, Candar Gilles (dir.), Histoire des gauches en France, 2 volumes, Paris, La Découverte, 2004. 

Dreyfus, Michel, L’Europe des socialistes, Bruxelles, Complexe, 1991. 

Droz, Jacques, Histoire générale du socialisme, 4 volumes, Paris, PUF, 1974. 

Ducange, Jean-Numa, Keucheyan, Razmig, Roza, Stéphanie (dir.), Histoire globale des socialismes, xixe-xxie siècle), Paris, PUF, 2021. 

Vergnon, Gilles, Changer la vie ? Le temps du socialisme en Europe de 1875 à nos jours, Paris, Gallimard, 2024. 

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