Durant les années 1970, une série d’essais journalistiques ont proclamé l’existence d’une internationale « néofasciste » ou « néonazie ». La matrice en aurait été l’Organisation armée secrète (OAS), organisation terroriste ayant lutté pour le maintien de l’Algérie française. Son histoire se serait prolongée en Europe et en Amérique latine où cette « OAS internationale » aurait trouvé des relais et construit des bases arrière. Rejeter cette vision nourrie de sensationnalisme ne dispense pas de questionner la relation des droites radicales européennes à l’international, lien qui est ancien. L’entre-deux-guerres est marqué par la tentative de mise sur pied d’une internationale fasciste (congrès de Montreux de 1934) tandis que la guerre d’Espagne se traduit par l’envoi de contingents de volontaires pour combattre aux côtés des franquistes. Durant le second conflit mondial, la mobilisation se fait au nom de l’antibolchevisme et de « l’Europe nouvelle » qu’il s’agit de défendre, notamment sur le Front de l’Est.
Les tenants des droites radicales n’ont pas créé d’internationale à l’image du Komintern. Mais cette absence ne saurait clore le débat historique sur l’existence d’une internationale des droites radicales. Et ce, à la condition de ne pas considérer seulement une internationale comme une organisation hiérarchisée et structurée mais de l’envisager sous l’angle d’une nébuleuse articulée autour de réseaux.
Tentatives de création et échecs d’internationales néofascistes institutionnalisées
Au lendemain du second conflit mondial, les anciens tenants de l’Ordre nouveau affrontent l’opprobre et, à l’exception de rares publicistes (les Français Maurice Bardèche, René Binet, le Suisse Gaston-Armand Amaudruz), les tenants affichés du néofascisme sont rares. Leurs publications sont peu nombreuses, réduites, et leurs organisations squelettiques. Tous ont cependant en commun une référence appuyée à l’Europe. Le Drapeau noir, « organe des anciens combattants de l’Europe », lié à un groupement clandestin, le Front noir international, a comme objectif de construire la « nouvelle Europe » en œuvrant à la naissance d’une « Internationale fasciste » conçue dès septembre 1946 comme « une entente […] entre tous les anciens mouvements fascistes ou fascisants » pour une « internationale de défense européenne unissant programmes, buts, efforts, moyens d’action ». Cinq ans plus tard, les droites radicales dénoncent l’Europe communautaire et lui opposent « L’alliance des États ouvriers nationaux d’Europe dans le respect et l’indépendance de chaque peuple ».
En mai 1951 se tient à Malmö un congrès fondateur. L’objectif est de créer une internationale néofasciste et de s’organiser pour de futures élections européennes. Mais derrière les apparences d’unité se profile une fracture. Bardèche entend construire une internationale néofasciste tandis que René Binet est un tenant résolu de l’internationale blanche. Bardèche l’emporte et le Mouvement social européen (MSE) est créé. Affirmant le « principe fondamental de l’indépendance européenne » et d’une « Europe unie avec une armée européenne sous un commandement européen », le MSE est violemment antisoviétique et antiaméricain. Binet convoque un autre congrès, à Zurich, en septembre 1951. Soulignant la « parenté des peuples blancs d’Europe » et la nécessaire « défense de la race européenne », il lance le Nouvel Ordre européen (NOE).
Objectif des vaincus de 1945, la création d’une internationale se solde par un échec cuisant. À la fin des années 1950, les deux « internationales » se déchirent sur le devenir des empires coloniaux. Lors du dernier congrès du MSE tenu en 1958, l’Autrichien Wilhelm Lantig, traitant de « l’homme blanc » et du « monde de couleur », conclut à « la liquidation immédiate du système colonial », position inacceptable pour Bardèche, attaché à la défense de l’Algérie française. Le NOE se déchire aussi entre partisans de l’indépendance algérienne (au nom d’une logique d’alliance avec les adversaires d’Israël) et adversaires de cette dernière (au nom de la dénonciation de la subversion communiste). Au tournant des années 1960, tandis que de l’Algérie au Congo, en passant par l’Angola ou le Mozambique, la « défense de l’Occident » mobilise nombre d’éléments des droites radicales, cette fédération s’opère en dehors des structures internationales théoriquement mises sur pied pour mener des combats transversaux.
Une internationale informelle des droites radicales
Après ces échecs, il n’y a pas eu de nouvelle tentative d’institutionnalisation d’une internationale des droites radicales européennes. Certaines organisations mettent en avant cette ambition, à l’instar de Jeune Europe du Belge Jean Thiriart, mais il y a loin des proclamations aux résultats. De même, si le NOE joua parfois un rôle de liaison durant les années de plomb du fait de ses liens avec des membres les plus radicaux de l’extrême droite italienne, il ne saurait être considéré comme une plaque tournante d’une internationale noire terroriste.
Cette absence d’une internationale constituée ne saurait conduire à minorer différents marqueurs d’internationalisation durant les années 1960 et 1970. Les contacts internationaux s’observent sous trois angles majeurs. Le premier est celui des doctrinaires et des vulgarisateurs qui, pour certains d’entre eux, sont particulièrement soucieux de reprendre à leur compte des références étrangères et de les acclimater, jouant ainsi un rôle de passeur ou de vulgarisateur. Au fil de cette histoire croisée, le rôle des Français est important. Alain de Benoist, le fondateur de la Nouvelle Droite est un doctrinaire lu à l’échelle européenne. Mais les passeurs et vulgarisateurs (François Duprat, Jacques Ploncard d’Assac ou l’Italien Franco G. Freda) comptent tout autant. Les supports et les vecteurs relayant ces discours jouent également un rôle essentiel. L’imprimé est encore roi. Force est de constater l’orientation ouvertement « européenne » de maisons d’édition, notamment italiennes (éditions d’Ar ou edizioni Europa). Différentes revues ont joué la carte d’une européanisation en ouvrant leurs colonnes à de nombreuses collaborations étrangères. Ordine Nuovo ou L’Italiano sont en première ligne mais différentes publications portugaises peuvent être mentionnées (Découvertes. La Revue française de Lisbonne, Tempo Presente, Política). Au début des années 1970, cette diffusion a pu informer et former des militants à l’échelle européenne. Pourtant, ces contacts n’ont pu se concrétiser au plan organisationnel et partisan nonobstant les échanges attestés entre le premier Front national (1972) et le Mouvement social italien (MSI). On en mesure les effets au lendemain des élections européennes de 1984 où le Front national effectue sa première percée et fonde à Strasbourg un groupe parlementaire avec le MSI. Le FN, malgré son succès aux dernières européennes n’a pu rééditer l’expérience. On peut y voir une illustration des désunions des droites radicales à l’échelle européenne. Plus profondément, on retiendra l’importance d’une césure marquée par les années 1990 et qui traduit un changement de contexte. L’effondrement du communisme, l’amplification de la crise économique et l’émergence de nouveaux enjeux, liés à l’élargissement comme à l’approfondissement de la construction européenne, à la place de l’immigration dans le débat public et aux nouvelles menaces représentées par l’islam radical ont largement bouleversé la donne. S’ils ont permis en France au FN de prospérer, cela n’a pas été le cas dans l’Europe latine, de l’Italie à la péninsule Ibérique, les principaux succès des mouvements dits « populistes » s’observant dans des pays et via des organisations jusqu’alors très à l’écart des processus d’internationalisation repérés.