Un populisme allemand au cœur de l'Europe : Alternative für Deutschland (AfD)

Alternative für Deutschland (Alternative pour l’Allemagne) est un parti national-populiste radical fondé en 2013 pour s’opposer à la politique de sauvetage de la Grèce, défendue par la chancelière Merkel. Il connait des succès électoraux importants, principalement dans les nouveaux Bundesländer (l’ancienne RDA), mais progresse aussi fortement dans les sondages de 2023 à l’ouest de l’Allemagne. Son thème de bataille principal est le rejet de l’immigration. D’autres sujets lui permettent de trouver une audience grandissante : la critique de la construction européenne, le rejet de la politique de vaccination contre le covid, l’imposition des petites retraites, la pauvreté en Allemagne (14,7 % de la population est statistiquement pauvre), le rejet de l’écriture du genre et de la « pensée woke », le problème de l’inflation ainsi que l’opposition à l’écologie politique prônée par les Verts (décarbonation, refus du nucléaire) et défendue par la coalition au pouvoir « Ampel » (la coalition « feu tricolore ») composée du SPD (Parti social-démocrate d’Allemagne), des Verts et du FDP (Parti libéral-démocrate).

Illustration 1 : Affiche électorale de l’AfD pour les élections locales du Schleswig-Holstein. Inscription : "L'Islam n'appartient pas à l'Allemagne", "La liberté de la femme n'est pas négociable !". Photographiée à Halstenbek, le 3 mai 2018 (auteur : Rosenkohl, Wikimedia Commons).
Illustration 1 : Affiche électorale de l’AfD pour les élections locales du Schleswig-Holstein. Inscription : "L'Islam n'appartient pas à l'Allemagne", "La liberté de la femme n'est pas négociable !". Photographiée à Halstenbek, le 3 mai 2018 (auteur : Rosenkohl, Wikimedia Commons).
Illustration 2 : Graphique montrant les secondes voix de l’AfD aux élections au Bundestag de 2021. L'électeur a deux voix. Avec sa première voix il élit un candidat dans sa circonscription électorale ; il y a 299 circonscriptions en tout. Avec la seconde il choisit au niveau du Land la liste (Landesliste) d'un parti. Les secondes voix sont décisives pour les rapports de forces exprimés en nombre de mandats entre les partis. Source : Der Bundeswahlleiter Kartenmaterial © Der Bundeswahlleiter 2020 Daten.
Illustration 2 : Graphique montrant les secondes voix de l’AfD aux élections au Bundestag de 2021. L'électeur a deux voix. Avec sa première voix il élit un candidat dans sa circonscription électorale ; il y a 299 circonscriptions en tout. Avec la seconde il choisit au niveau du Land la liste (Landesliste) d'un parti. Les secondes voix sont décisives pour les rapports de forces exprimés en nombre de mandats entre les partis.
Source : Der Bundeswahlleiter Kartenmaterial © Der Bundeswahlleiter 2020 Daten.
Illustration 3 : Tableau montrant les résultats de l’AfD aux élections nationales, régionales et européennes
Illustration 3 : Tableau montrant les résultats de l’AfD aux élections nationales, régionales et européennes. Source : Statistiques de la Commission électorale fédérale allemande, le « Bundeswahlleiter »
Sommaire

La préhistoire de l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) remonte à mars 2010. La chancelière Angela Merkel déclarait devant le Bundestag que, pour sauver la Grèce du désastre financier, elle ne voyait d’autre possibilité qu’une aide massive de l’Union européenne. Elle justifiait ce choix en évoquant une « absence d’alternative », formule qui explique le nom d’Alternative für Deutschland choisi par le nouveau parti.

De très nombreux économistes, de toutes sensibilités politiques, étaient en effet d’avis que ce n’était pas le cas. Un professeur d’économie de Hambourg, Bernd Lucke, décidait courant 2012 la création d’un mouvement de rassemblement, Bündnis Bürgerwille (BBW, « Alliance de la volonté citoyenne »). Ce mouvement, affirmé transpartisan, avait pour objectif d´imposer la tenue de référendums sur les abandons de souveraineté et les questions monétaires. Cette démarche trouvait alors un écho très favorable auprès des associations des classes moyennes ou de PME le plus souvent conservatrices, mais aussi dans les partis politiques comme la CDU-CSU (Union chrétienne-démocrate d'Allemagne et Union chrétienne-sociale en Bavière) et le FDP.

La percée électorale de l’AfD 

En avril 2013, soit cinq mois avant les élections au Bundestag, l’AfD tient son congrès fondateur. Le parti bénéficie alors d’une importante propagande médiatique, certes négative (il est dénoncé comme extrémiste de droite et raciste), mais qui lui permet de populariser ses thèmes. Il effectue une percée politique décisive à partir des élections européennes de 2014 (7,1 % des voix). 

Au-delà des questions européennes, les consultations suivantes font émerger les nouveaux thèmes porteurs de l’AfD – la politique d’immigration, la sécurité publique, la protection familiale, les valeurs (travail, famille, solidarité), la nation. L’argumentaire déroulé par l’AfD et l’iconographie de la campagne anti-immigration dominante à partir de 2015 montrent que ce parti se rapproche d’autres formations nationales-populistes, tels le Front national français ou le FPÖ (Parti de la liberté) autrichien. La dénonciation des « vieux partis » présents au Bundestag, l’appel à sauver les systèmes de protection sociale menacés par l’arrivée des « étrangers », la critique de l’islam (Ill. 1), présenté comme une religion politique contraire aux principes constitutionnels démocratiques et la dénonciation d’une immigration incontrôlée renforcent alors l’impression d’un glissement vers le national-populisme et le nativisme (une combinaison de nationalisme et de xénophobie résumée dans le slogan, « L’Allemagne aux Allemands. Les étrangers dehors »).

La crise des réfugiés est le principal facteur de la percée de l’AfD. Le 31 août 2015, la phrase d’Angela Merkel « Wir schaffen das!  » (« Nous y arriverons ! ») devient le symbole d’une société ouverte à la misère du monde. L’arrivée de quelques 900 000 migrants et réfugiés enregistrés en 2015 engendre une crise politique, surtout dans les rangs de la CDU-CSU (la plus concernée par les transferts de voix au profit de l’AfD), et offre à l’AfD la possibilité d’instrumentaliser une inquiétude collective d’une partie de la société allemande. Le slogan « Merkel doit partir » devient rapidement le leitmotiv de ce parti. 

Ses résultats électoraux montrent que ses bastions politiques sont à l’Est (Ill. 2). L’inachèvement de la réunification, a été un choc pour les habitants de l’ex-RDA (dû à la désindustrialisation, à l’arrivée des élites de l’Ouest aux responsabilités et au sentiment de ne pas être représenté par les partis politiques) et a entraîné un phénomène de rejet du système politique. L’AfD a remplacé dans ce rôle le parti post-communiste, le Parti du Socialisme Démocratique (aujourd’hui La Gauche).

Évolution des adhérents et sociologie électorale de l’AfD 

L’AfD a connu une expansion très rapide du nombre de ses adhérents, même si le parti reste bien en deçà de ses concurrents, la CDU (371.986 membres en 2022)la CSU (131.000 membres en 2023)le SPD (365.190 membres en 2023) et l’Alliance 90/Les Verts (126.451 membres en 2023).

Au moment de sa fondation, le parti rassemblait 10 000 adhérents et en revendique 40 131 membres fin 2023. Il dispose également d’une organisation de jeunesse, Junge Alternative (« Jeune Alternative »), qui compte 2 100 adhérents. L’un des principaux problèmes de l’AfD se trouve dans sa difficulté à recruter des femmes (17 % en 2018). Le parti a par ailleurs une solide base financière : en dehors des dons (environ 6,5 millions en 2019), il reçoit des remboursements légaux (11 millions d’euros en 2021) versés par l’État à proportion des voix exprimées pour ses listes lors des élections.

Sur le plan électoral, les élections de 2017 au Bundestag montrent que le système politique allemand est entré dans une phase de turbulences. L’AfD bénéficie d’un vote protestataire à l’égard de la Grande Coalition CDU/CSU/SPD en place, notamment en raison des inégalités sociales perçues comme grandissantes. La sociographie des électeurs montre que l’AfD est préféré par les hommes (15 % contre 9 % seulement les femmes), par les individus au niveau de formation le moins élevé, ainsi que par la tranche d’âge des 25-59 ans, celle la plus concernée par la peur du chômage et l’hostilité à l’immigration. Lors de l’élection de 2021, l’AfD connait un échec électoral limité avec 10,3 % des voix (Ill. 3). Le parti confirme son ancrage à l’Est ainsi que son caractère néo-prolétarien avec une sociologie du vote proche de celle de 2017.

L’AfD a connu en 2017 une crise politique interne due à l’affrontement de trois lignes politiques : les « conservateurs des valeurs » venus de la CDU, les nationaux-libéraux issus du groupe fondateur, enfin, les nationaux-völkisch venus des mouvements d’extrême-droite extrémistes (völkisch signiant « populaire » dans un sens ethnique). Après l´élimination des instances dirigeantes des nationaux-libéraux en 2022, le parti est dominé en 2024 par l’aile völkisch. Celle-ci a radicalisé le discours de l’AfD et a accentué la propagande anti-féministe, anti-immigration, anti-islam et anti-woke du parti.

Les facteurs d’établissement de l’AfD

S’il n’existe pas de sociologie interne officielle des cadres et élus de l’AfD, l’analyse des professions exercées montre la présence de policiers, d’avocats, de médecins, de professeurs, mais quasiment pas d’ouvrier ou d’artisans. Ce haut niveau de formation (maîtrise et doctorat) des élus AfD dans les Länder et au Bundestag les prédispose à être très actifs au sein des commissions parlementaires. L’AfD aime attirer l’attention par ses provocations : ainsi, bien qu’il veuille se donner l’image d´un parti sérieux, apte à gouverner, ses thèses restent extrêmement radicales. Le terme de « Grand Remplacement » est par exemple évité (le terme dominant est réémmigration), mais sont mobilisées des formules comme « Make Europa beautiful and white again », ou « deux choses doivent toujours être blanches : Noël et l’Allemagne ».

Avec ses 95 pages, le programme de l’AfD adopté en 2016 par les délégués au congrès fédéral du parti à Stuttgart a pour ambition de couvrir la totalité des champs politique, économique, social et culturel. La lecture de ce texte montre que ce parti n’entend pas être « à thème unique » et qu’il offre aux électeurs un cadre d’orientation idéologique clair et structuré. En ce sens, l’AfD est certes un parti de protestation, mais aussi « un parti de rupture » et une machine de guerre idéologique construite contre les partis au pouvoir.

Par-delà des contacts fréquents avec les groupes néo-nazis et les Identitaires, l’AfD se radicalise de plus en plus, ce qui a abouti à un débat sur son éventuelle interdiction. Parmi les arguments avancés par les partisans de celle-ci, les fédérations régionales de l'AfD en Thuringe et en Saxe-Anhalt ont été classées par l'Office de protection de la Constitution (Verfassungsschutz) comme « extrémiste de droite confirmé ». Tandis que l'organisation de jeunesse de l'AfD, la « Junge Alternative », est également considérée comme extrémiste, l'ensemble du parti représente un « cas suspect d'extrême droite », une classification que l'AfD conteste.

Citer cet article

Patrick Moreau , « Un populisme allemand au cœur de l'Europe : Alternative für Deutschland (AfD) », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 05/02/24 , consulté le 08/10/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22257

Bibliographie

Backes Uwe, Moreau Patrick, Europas moderner Rechtsextremismus. Ideologien, Akteure, Erfolgsbedingungen und Gefährdungspotentiale, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2021.

Bahners Patrick, Die Wiederkehr: Die AfD und der neue deutsche Nationalismus, Klett-Cotta, Stuttgart, 2023.

Lewandowsky Marcel, « Alternative für Deutschland (AfD) », dans Frank Decker et Viola Neu (Hg.), , Wiesbaden, 2018, p. 161-170.

Moreau Patrick, L’autre Allemagne. Le réveil de l´extrême droite, Paris, Vendémiaire, 2017.

Pfahl-Traughber Armin, Intellektuelle Rechtsextremisten. Das Gefahrenpotenzial der Neuen Rechten, Dietz, Bonn, 2022.

Recommandé sur le même thème

Ill. 1. Berlusconi saluant la foule lors d’un sommet du Parti populaire européen (PPE) en 2008.
Ill. 1. Berlusconi saluant la foule lors d’un sommet du Parti populaire européen (PPE) en 2008. Source : Flickr du PPE
/sites/default/files/styles/opengraph/public/image-opengraph/afd.jpg?itok=Jmrr4sl3

Ne manquez aucune nouveauté de l’EHNE en vous abonnant à nos newsletters :

The subscriber's email address.
Gérez vos abonnements aux lettres d’information
Sélectionnez la newsletter à laquelle vous souhaitez vous abonner.