Les motivations à l’origine du Code Théodosien
En 429, l’empereur d’Orient Théodose II (408-450) (ill. 1) nomme une commission de neuf membres, élargie en 435 à seize membres, avec pour mission de rassembler les lois alors en vigueur dans tout l’Empire. Le début d’une loi contenue dans le Code Théodosien en porte témoignage : « Que toutes les constitutions édictales et générales dont on a ordonné la validité ou l’affichage dans les provinces ou dans des lieux précis, constitutions que le divin Constantin et les princes qui lui ont succédé ainsi que nous-mêmes avons promulguées, soient distinguées par des titres indiquant leur contenu, de sorte que les plus récentes puissent apparaître clairement non seulement par le calcul des consulats et des jours mais aussi par l’ordre de leur composition. Et si l’une d’elles doit être divisée en plusieurs chapitres, chacun d’eux sera séparé des autres et placé sous le titre approprié ; sera retranché de chaque constitution ce qui ne concerne pas la force de la sanction, et le droit seul sera conservé » (I, I, 6, datée du 20 décembre 435).
L’entreprise du Code Théodosien n’est pas une nouveauté, car des recueils de lois existaient déjà dans l’Empire. Le Code Théodosien prend ainsi la suite du Code Hermogénien (du nom du juriste Hermogène), datant de la fin du iiie- début du ive siècle, et du Code Grégorien (du nom du juriste Gregorius), datant de la fin du iiie siècle. Comme ceux qui le précèdent, le Code Théodosien n’est pas un code juridique dans le sens moderne du terme : il ne contient pas toutes les lois relatives à une thématique, comme le Code civil ou le Code pénal. Il regroupe en réalité différents textes législatifs, choisis dans un ensemble très vaste, pour leur caractère particulier et important aux yeux du législateur du début du ve siècle. Le Code est donc une tentative de mettre de l’ordre dans la masse de textes juridiques qui existaient depuis au moins les débuts de l’Empire.
La vocation du Code est d’aider les juges de l’Empire qui doivent appliquer les lois et rendre la justice dans toutes les provinces. Ceux-ci n’étaient pas obligatoirement au fait de toutes les lois impériales existantes tant elles étaient nombreuses et pour certaines inapplicables au fil du temps. L’objectif de Théodose était donc de procurer aux juges un seul livre regroupant l’ensemble des lois reconnus comme valides dans tous les domaines du droit.
Organisation et forme des lois dans le Code Théodosien
Le Code est constitué de 16 livres qui sont des chapitres organisés thématiquement (par exemple l’armée au livre VII, ou la religion au livre XVI), eux-mêmes divisés en « titres ». À l’intérieur de ces titres, les 2513 lois conservées sont classées par ordre chronologique depuis le règne de Constantin Ier (306-337) jusqu’à la promulgation du Code, qui a lieu en Orient au début de l’année 438 et en Occident le 1er janvier 439. Les lois, aussi appelées « constitutions », sont ainsi valides dans l’ensemble de l’Empire. La diffusion du Code dans les deux parties de l’Empire explique sa forme de codex (livre) et non de volumen (rouleau), moins pratique.
Par ailleurs, toutes les lois du Code sont présentées de la même manière (ill. 2). Elles indiquent d’abord le ou les noms des législateurs et le destinataire, par exemple : « Les empereurs Arcadius et Honorius Augustes à Aurelius préfet du prétoire » (V, 1, 5). Ce sont les empereurs qui sont les ordonnateurs de la loi (lex), parce qu’ils sont les garants du droit (ius). Le Code contient des décrets (décisions juridiques), des édits (proclamation de caractère général) ou des rescrits (réponses juridiques de l’Empereur à un cas particulier). Il n’est pas toujours possible de faire la différence entre ces différents types à partir du seul texte de la loi, d’autant plus qu’au Bas-Empire la terminologie devient assez floue. Vient ensuite le texte de la loi, qui comprend l’exposé de la situation, suivi de la décision impériale et éventuellement la sanction en cas de fraude. Enfin, les lois mentionnent le lieu et la date de la promulgation : « Donnée à Constantinople la veille des nones d’octobre sous le consulat d’Arcadius Auguste pour la quatrième fois et d’Honorius Auguste pour la troisième fois » (V, 1, 5). Une interpretatio peut parfois avoir été ajoutée dans l’édition de référence, celle de Theodor Mommsen : il s’agit d’un commentaire postérieur au Code lui-même, que nous ne connaissons qu’à partir du Bréviaire d’Alaric édicté en 506. Les juristes du royaume wisigoth ont sans doute éprouvé le besoin d’expliquer la loi, c’est pourquoi seules les lois du Code Théodosien transmises par ce Bréviaire contiennent éventuellement une interpretatio. L’édition de Mommsen contient également, outre un apparat critique, les références éventuelles au Code Justinien, au Bréviaire d’Alaric et la date transcrite dans le système calendaire actuel.
Certaines lois se répètent ou semblent faire doublon. Cela arrive lorsque le pouvoir impérial a estimé qu’il y avait trop d’entorses aux règles qu’il avait édictées. Dans ce cas, il s’est avéré nécessaire de les réitérer.
Ce que le Codethéodosien dit de la société du Bas-Empire
Les lois contenues dans le Code offrent une image de première main sur la société telle qu’elle est conçue par le pouvoir romain. On y voit une société très hiérarchisée dans les devoirs, les droits et les privilèges accordés. Les sanctions sont également proportionnelles au rang occupé par le fraudeur dans la société. Les thèmes abordés sont ceux qui intéressent le pouvoir impérial, ses finances et ceux qui travaillent pour lui. De ce fait, c’est parfois indirectement que de nombreux aspects de la vie aux ive et ve siècles peuvent être saisis à travers le Code : les questions sociales, économiques, religieuses, le droit public, le droit criminel et des pans entiers de droit privé. L’État s’intéresse par exemple aux héritages parce qu’il y a des contestations en justice et évidemment des impôts à percevoir, voire des héritages à recueillir.
Mais il faut souvent aller au-delà du texte de loi proprement dit, analyser de façon approfondie ce qu’elle ne dit pas, évaluer la portée de la loi et prendre garde à la date de promulgation, à l’émetteur et au destinataire, pour en comprendre la raison historique. Par exemple l’interdiction de mariage entre romain et barbare dans les provinces – loi datée de 370 ou 373 - montre que ce type de mariage avait lieu et que le pouvoir impérial souhaitait limiter l’intégration juridique des barbares dans la société.
Le Code porte aussi en filigrane un discours sur la représentation du pouvoir impérial et la nécessité pour lui d’affirmer son existence et sa pérennité à un moment où il se trouve en difficulté : l’Afrique est aux mains des Vandales, l’Espagne et la Gaule sont passées en grande partie sous domination de royaumes barbares, les difficultés militaires s’accumulent et il est nécessaire de rendre visible une certaine unité politique tout en gardant deux empereurs dans chaque partie de l’Empire. Le droit romain – qui est un droit écrit – est considéré par ce pouvoir comme le fondement de la civilisation, car il donne à chacun ce à quoi il a droit selon le rang qu’il occupe dans la société. Le respect de ce droit doit donc être garanti par le législateur, en l’occurrence l’Empereur. Une de ses missions est de sanctionner tous ceux qui ne respecteraient pas ces règles, puisqu’elles font partie des fondements de leur participation à la société. Le Code offre ainsi une image concrète de l’activité des empereurs, entre Constantin et Théodose, de leurs conceptions et de la façon qu’ils ont de gouverner.
Les codes Grégorien et Hermogénien n’ont pas été conservés et ne nous ont pas été transmis directement. Le Code Théodosien quant à lui n’a pas encore été complètement traduit en français, et les manuscrits latins conservés ne nous ont pas transmis l’ensemble des lois : des titres entiers manquent, d’autres sont incomplets, et des lois sont absentes ou incomplètes. Il est probable que seuls 60% du Code nous sont parvenus. Une partie, notamment les cinq premiers livres, a en outre été reconstituée à partir du Bréviaire d’Alaric. Le Code Justinien, qui entre en vigueur en 529, rend totalement caduc l’ensemble des codes précédents. Une partie des lois du Code Théodosien s’y trouvent néanmoins, parfois coupées ou complétées. Avec le Digeste, les Institutes et les Novelles de Justinien, le Code Justinien forme le Corpus Iuris Civilis, qu’on considère comme la compilation de l’ensemble du droit romain.