L’expression « jardin à la française » désigne un jardin régulier, composition qui atteint son apogée en France sous le règne de Louis XIV (1638-1715) grâce à l’œuvre d’André Le Nôtre (1613-1700). Le modèle s’est alors diffusé dans les cours européennes puis plus largement en Europe et dans le monde. Le terme « à la française » différencie ces jardins des jardins anglais et rappelle qu’ils ont été vus, suivant les mots de l’historien Ernest de Ganay (1880-1963), comme un « miroir de l’esprit français », une démonstration « de son goût de l’ordre et de la beauté ». Pour autant, ce terme n’est vraiment employé qu’à partir de la fin du xixe siècle pour caractériser les jardins restaurés ou créés par les paysagistes Henri Duchêne (1841-1902) et son fils Achille (1866-1947) dans le « style ou à la manière » du jardin classique du xviie siècle. Au xviiie siècle, ce dernier est plus simplement appelé « jardin français » par les théoriciens de l’art des jardins tels Antoine Joseph Dezallier d’Argenville (1680-1765) ou Christian Cajus Lorenz Hirschfeld (1742-1792) dans sa Théorie de l’art des jardins (1779-1785).
Aux origines du jardin à la française
Le jardin à la française est porté à son apogée au xviie siècle par André Le Nôtre dont les jardins des châteaux de Vaux-le-Vicomte, Versailles, Sceaux, Saint-Cloud, Chantilly… comptent parmi ses plus remarquables réalisations. Mais, dès le début du xviie siècle, tous les éléments qui le caractérisent sont déjà en germe. Des théoriciens, créateurs de jardins au service des rois de France tel Jacques Boyceau de la Barauderie (1560 ?-1635) intendant des jardins de Louis XIII, posent les bases du jardin à la française. Des dynasties de jardiniers tels les Mollet pour le dessin des parterres de broderies, d’ingénieurs hydrauliciens comme les Francine, originaires d’Italie, d’architectes, de géomètres, de sculpteurs et d’un grand nombre de corps de métiers, artisans et artistes, participent de la mise en forme du jardin classique. Mais c’est André Le Nôtre qui, par sa maîtrise du dessin, des mathématiques, de la géométrie et de l’optique conduit le jardin à la française à l’équilibre parfait.
Ces jardins sont d’abord définis par leur composition symétrique. Il faut chercher l’origine de ces formes géométriques dans la tradition millénaire du jardin, d’abord venue de Perse. Le dessin des jardins-paradis des rois perses s’appuie en effet sur la représentation symbolique et divine de l’univers et ils sont donc divisés en quatre parties par quatre fleuves : le Tigre, l’Euphrate, le Pishon et le Gihon, ces deux derniers étant imaginaires. Cette composition inspire, à partir du viie siècle après J.-C., le monde musulman de l’Inde à l’Espagne.
Cette division ne disparaît ensuite pas des jardins mais leurs formes évoluent à la Renaissance. C’est en effet véritablement à cette période que, en Occident, se dessinent les premiers jardins qui, par le développement de formes géométriques, aboutiront au jardin régulier ou à la française au xviie siècle : les architectes et les jardiniers français puiseront leur inspiration en Europe, et plus particulièrement en Italie, berceau de la Renaissance au xve siècle. L’Italie a alors placé l’art des jardins au premier plan des créations « architecturales ». Conçus en lien avec la demeure, les palais et villas, les jardins sont caractérisés par des jeux d’eau, des grottes artificielles et d’importants éléments architecturés se traduisant par des escaliers monumentaux et des terrasses hautes plantées de parterres fleuris ouvertes sur le paysage.
À la fin du xve siècle la France est encore marquée par la tradition médiévale du jardin clos. Mais peu à peu, à la faveur des découvertes italiennes, elle s’ouvre à ces compositions en y ajoutant des conceptions totalement françaises telles que le goût pour les canaux, les grandes allées axées sur la demeure, ou encore les compositions de parterres au dessin de plus en plus élargi. Les parterres, formés de compartiments délimités par des végétaux taillés bas, deviennent une des caractéristiques premières des jardins à la française. Leur forme évolue et participe d’une recherche de perspective, de fuite vers l’horizon, vers laquelle tendent tous les éléments de la composition du jardin. La clôture en effet disparaît et, avec elle, la séparation entre le jardin et le paysage naturel ou cultivé : le paysage lui-même devient jardin, construit autour d’un axe de symétrie qui s’étend vers l’infini. Ce principe avait déjà été utilisé en Italie mais à petite échelle, tandis qu’à la fin du règne de Louis XIV, par le travail d’André Le Nôtre, le jardin à la française est tout entier soumis à la symétrie et n’a d’autres limites que celles que l’œil lui impose. Toutes les parties, bassins, parterres, terrasses, escaliers, allées, plantations, etc., forment un tout indissociable, dans une recherche d’unité absolue.
Celle-ci est toutefois seulement apparente car le jardin à la française est aussi un jardin de surprises, d’effets d’optique qui trompent le spectateur : André Le Nôtre sait jouer sur des déclivités, des asymétries dans le dessin des parterres, sur des architectures complexes pour faire apparaître, depuis la terrasse de la demeure dont il est le point focal, un jardin parfaitement régulier, classique, que d’aucuns qualifient parfois de monotone. Mais tout se joue dans la déambulation, qui permet la découverte d’un escalier invisible depuis le château ou d’un buffet d’eau masqué par une terrasse, et le jardin devient alors baroque. Le jardin à la française est donc la perfection atteinte, grâce au génie d’André Le Nôtre, dans un jeu subtil et savant entre classicisme et baroque développé à une échelle monumentale, parfois colossale comme à Versailles, sommet de la démesure à la fin du xviie siècle.
En Europe
À la même époque, la Hollande par les jardins de Het Loo réalisés pour Guillaume III d’Orange, l’Allemagne, avec les jardins de Herrenhausen à Hanovre ou ceux du château de Charlottenburg à Berlin, et d’autres pays d’Europe comme l’Autriche et la Suède vont rivaliser d’imagination pour développer cet art des jardins si représentatif du pouvoir. Se mêlent alors, à nouveau, des traditions locales au modèle français. L’Italie, en revanche, goûte moins l’art du jardin classique aux proportions gigantesques et préfère longtemps les jeux baroques, comme les jardins de la villa Garzoni commencés en 1652 à Collodi.
Au xviiie siècle, le célèbre praticien et théoricien Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville dans la Théorie et la pratique du jardinage, dont la première édition paraît en 1709, définit les principes et les méthodes d’exécution du jardin à la française, qui sont encore aujourd’hui utiles pour la restauration des jardins historiques. Il facilite ainsi la diffusion de cet art du jardin et du goût pour le jardin de symétrie, régulier ou classique, qui se maintient durant une grande partie du xviiie siècle en Europe, tandis que se répandent les jardins dits à l’anglaise.
En France, après une période de déclin au profit des jardins paysagers au milieu du xixe siècle, le jardin régulier connaît un renouveau à la fin de ce même siècle et au début du xxe à la faveur du symbole qu’il représente : associé au Roi-Soleil, il incarne une certaine image de l’identité de la France. En Europe, même si l’art des jardins paysagers a pris le pas sur les compositions classiques, les jardins évoqués en Allemagne, aux Pays-Bas mais aussi en Autriche comme le parc du château de Schönbrunn à Vienne pour Léopold Ier d’Autriche ou en Suède tel le parc du château de Drottningholm conçu par Nicodemus Tessin pour la reine douairière Hedwige Éléonore, dès 1681, n’ont jamais effacé ces témoins précieux de leur histoire et témoignent toujours du rayonnement européen du jardin « à la française », développé à la cour de Louis XIV.