En raison de la démonstration de luxe dont elle fait part, l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes qui se tient à Paris en 1925 a sans conteste contribué à livrer une vision très élitiste du mouvement Art déco, qui s’épanouit en Europe à partir des années 1910 et jusqu’au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, voire au-delà. Cette manifestation trouve pourtant une partie de ses origines dans le décloisonnement artistique prôné par l’Art nouveau au tournant des xixe et xxe siècles, à une époque où le désir d’une application de la modernité à tout objet du quotidien prend également une dimension sociale, dans un but de démocratisation artistique. La volonté d’organiser à Paris un événement de cette nature apparaît dans un rapport déposé devant la Chambre des députés dès 1906. Il prend appui sur le modèle de l’Exposition internationale des arts décoratifs modernes de Turin en 1902, qui n’admettait en son sein que des réalisations stylistiquement novatrices. C’est toutefois en 1911 que l’Union centrale des arts décoratifs, la Société des artistes décorateurs et la Société d’encouragement à l’art et à l’industrie émettent le vœu auprès du gouvernement que cette manifestation soit organisée pour 1915. Repoussé à 1916 puis ajourné en raison du déclenchement de la Première Guerre mondiale, l’idée est reprise à l’issue du conflit. Repoussée à 1922 puis à 1924 en raison du retard pris par le projet, l’exposition est finalement inaugurée le 28 avril 1925 par le président de la République Gaston Doumergue (1863-1937). Occupant un espace s’étendant de l’esplanade des Invalides au Grand Palais, et de la place de la Concorde au pont de l’Alma, elle réunit les contributions d’une vingtaine de nations, majoritairement européennes, et ferme ses portes à l’automne. De la Grande-Bretagne à l’URSS et de la Suède à la Grèce, en passant par la Lettonie, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Italie, l’Espagne ou encore les Pays-Bas, la plus grande partie des pays européens était présente lors cet événement majeur.
Montrer l’excellence française
Comme le souligne rétrospectivement le décorateur Maurice Dufrène (1876-1955), en faisant « se confronter tous les savoirs et tous les arts, sous les expressions les plus riches », le but de l’exposition est de démontrer au monde le « génie créateur » français et ce, dans un contexte de compétition économique et artistique entre les nations européennes. Selon lui, il s’agit ainsi de prouver « au grand public l’utilité économique d’une renaissance des arts appliqués, continuatrice des anciens dans leur esprit mais hors leurs formules surannées ». C’est pourquoi bien des pavillons érigés en cette occasion font part, dans l’aménagement de leurs intérieurs, d’une débauche de luxe, s’affirmant comme révélatrice de l’excellence hexagonale en matière d’arts décoratifs, pour des réalisations se voulant modernes tout en montrant une inspiration puisée dans les grands styles français du passé. Parmi les ensembles les plus emblématiques de ce goût ostentatoire, citons l’Hôtel du collectionneur, que Jacques-Émile Ruhlmann (1879-1933) fait construire par Pierre Patout (1879-1965), et qu’il aménage en collaboration avec divers créateurs, ou encore le Musée d’art contemporain et le pavillon de l’entreprise de serrurerie Fontaine & Cie, tous deux conçus par Louis Süe (1875-1968) et André Mare (1885-1932), fondateurs et directeurs de la Compagnie des arts français. La Société des artistes décorateurs, fondée en 1901 pour la défense et la promotion des arts appliqués, rencontre lors de l’Exposition un grand succès grâce à un vaste programme intitulé « Une ambassade française », présenté dans la Cour des métiers sur l’esplanade des Invalides. Nombre de pièces à y avoir été aménagées, comme le petit salon par Maurice Dufrène, la « Chambre de Madame » par André Groult (1884-1966) ou l’antichambre par Paul Follot (1877-1941), s’inscrivent là encore dans ce goût d’une tradition modernisée, que l’on retrouve dans la production décorative d’autres pays européens.
L’une des caractéristiques notables de l’Exposition de 1925 réside en outre dans une mise en exergue assez frappante des liens entre art et commerce. Ainsi, les ateliers d’arts appliqués des Grands Magasins parisiens sont particulièrement mis à l’honneur. Ils font ériger d’imposants pavillons, par Henri Sauvage (1873-1932) et Georges Wybo (1880-1943) pour Primavera du Printemps, par Joseph Hiriart (1888-1946), Georges Tribout et Georges Beau pour La Maîtrise des Galeries Lafayette, par Louis-Hyppolyte Boileau (1878-1948) pour Pomone du Bon Marché et par Albert Laprade (1883-1978) pour le Studium des Grands Magasins du Louvre. Les intérieurs de ces bâtiments sont aménagés sous la houlette de leurs directeurs artistiques respectifs, Charlotte Chauchet-Guilléré (1878-1964), Maurice Dufrène, Paul Follot et Étienne Kohlmann (1903-1988). L’activité de ces structures, parmi lesquelles Primavera, dès 1912, est la première créée, a concrètement permis, toutes proportions gardées, une diffusion d’objets décoratifs dans le goût moderne vers un public plus large. Force est toutefois de constater que, dans le contexte d’une exposition qui se veut démonstrative de la grandeur du savoir-faire national, les ameublements présentés dans ces pavillons demeurent des plus élitistes. De même, plusieurs dizaines de boutiques aux devantures et aménagements intérieurs conçus par une pléiade d’architectes et de décorateurs principalement français viennent agrémenter la Rue des boutiques, composée par Maurice Dufrène sur le pont Alexandre III, et la Galerie des boutiques, conçue par Henri Sauvage sur l’esplanade des Invalides, mais ces magasins exhibent pour l’essentiel des produits de luxe.
Traditionalisme et modernisme
Il serait cependant bien réducteur de résumer l’Exposition internationale des arts décoratifs modernes et industriels de 1925 à ce faste et à ces tendances dites traditionnalistes, réactualisant certains styles du passé. Certes, le Pavillon de l’esprit nouveau conçu par Le Corbusier (1887-1965), radical dans le rejet de tout décor au profit d’un « équipement » de l’habitation se voulant avant tout fonctionnel, est dans un premier temps tenu à l’écart de la manifestation. Il n’en reste pas moins que les tendances modernistes s’affirment en bien d’autres lieux de l’exposition, par exemple dans plusieurs espaces aménagés au sein même du pavillon Une ambassade française, précisément par certains des créateurs qui, quatre ans plus tard, quittent la Société des artistes décorateurs pour fonder l’Union des artistes modernes. Francis Jourdain (1876-1958), qui avait souscrit à un tel dépouillement esthétique dès les années 1910, y présente un fumoir ainsi qu’une salle de culture physique répondant parfaitement aux préoccupations hygiénistes de son temps. Le hall de cet ambitieux programme est confié à Robert Mallet-Stevens (1886-1945), qui se fait remarquer par ailleurs pour la construction et l’aménagement du Pavillon des renseignements et du tourisme. Enfin, le bureau-bibliothèque imaginé par Pierre Chareau (1883-1950), aujourd’hui conservé au musée des Arts décoratifs à Paris, luxueux dans les matériaux employés et encore quelque peu héritier du passé dans ses formes, propose quant à lui une modularité de l’espace des plus innovantes, et apparaît comme un exemple bien représentatif de la porosité des frontières entre art déco et modernisme.
Les participations étrangères sont enfin des plus représentatives de la grande hétérogénéité esthétique dont fait part la manifestation. Ainsi, au cours la Reine, le pastiche assez littéral de l’antique proposé par l’architecte Armando Brasini (1879-1965) pour le pavillon de l’Italie côtoie la rigueur géométrique des pavillons de l’URSS, par Konstantin Melnikov (1890-1974), ou du Danemark, par Kay Fisker (1893-1965) et Tyge Hvass (1885-1963). D’autres pays cherchent à valoriser une culture nationale qui leur est propre à travers l’évocation d’un certain folklore, à l’image du pavillon de la Pologne, dont une salle est ornée de peintures de Zofia Stryjeńska (1891-1976) représentant des scènes de la vie locale et de la mythologie slave, exemple parmi bien d’autres témoignant d’un sentiment identitaire qui ne cesse de s’affirmer en Europe.