Histoire d’une insulte xénophobe : « mangeur de macaroni » 

Ours, Ritals, Christos, Crispi… les insultes à l’égard des Italiens, qui représentent la première nationalité étrangère en France jusqu’en 1968, revêtent des formes variées associant l’étranger à une religion, un personnage historique, un animal, ou un aliment.  Nombre d’entre elles, comme celle de « mangeur de macaroni », sont à connotation culinaire. En étudiant cette expression utilisée à travers les décennies, cette notice montre comment se construisent, perdurent et disparaissent les insultes xénophobes.

Fig. 1 : Article « Macaronique » du Dictionnaire de Thomas Corneille (1694) (Source : https://gallica.bnf.fr/)
Fig. 1 : Article « Macaronique » du Dictionnaire de Thomas Corneille (1694). Source : gallica.bnf.fr
Fig. 2 : Article du journal lorrain La Rafale, 25 juillet 1914 évoquant les ouvriers français qui avaient l’intention « de faire la chasse aux "aux pattes d’ours", aux "macaronis" ».
Fig. 2 : Article du journal lorrain La Rafale, 25 juillet 1914 évoquant les ouvriers français qui avaient l’intention « de faire la chasse aux "aux pattes d’ours", aux "macaronis" ».
Fig. 3 : Évocations du terme « mangeur de macaroni » dans la presse (Graphique de l’auteur, d’après les données de www.retronews.fr, consulté le 30 août 2022)
Fig. 3 : Évocations du terme « mangeur de macaroni » dans la presse (Graphique de l’auteur, d’après les données de www.retronews.fr, consulté le 30 août 2022)
Sommaire

L’insulte culinaire : une dynamique xénophobe

L’insulte « macaroni » n’est originellement pas française mais bel et bien italienne. Les origines de la langue française du grammairien Gilles Ménage (1650) ainsi que les Dictionnaire des Arts et des Sciences de Thomas Corneille de 1694 et celui de L’Académie française de 1695, précisent en effet que l’adjectif « macaronique », désignant une poésie burlesque mélangeant du latin et la langue maternelle, provient « de ce que les Italiens disent Tu sei un Macarone, pour dire Tu es un homme grossier, rustique & de peu d’esprit, & cela vient de ce que les principaux mets du Villageois, qui sont de petits gâteaux faits de pâte non blutée, d’œufs & de fromage, sont nommés Macaroni » (Fig. 1).

Ce n’est pourtant sans doute qu’à la fin du xviiie siècle (Sylvie Aprile et Stéphane Dufoix donnent la date de 1776), que l’insulte « mangeur de macaroni » est utilisée pour désigner tout Italien, migrant ou non. Avec le temps, sans qu’il soit possible de dater précisément cette évolution, l’insulte se réduit à une métonymie et le mangeur de macaroni devient le macaroni lui-même comme l’illustre une lettre de Stendhal qui s’adresse au Baron de Mareste le 10 octobre 1820 en ces termes : « Les macaroni ont aussi des projets sur Ancône, mais ils seront déjoués »

L’insulte « macaroni » renvoie ainsi tout Italien, de quelque province qu’il vienne, à son pays d’origine – ou à celui de ses parents – établissant une séparation entre lui et les autochtones. L’assimilation de l’étranger à un plat de son pays d’origine est fréquente en France, au-delà du cas transalpin : les Belges sont par exemple surnommés un temps les « pap gamelle » (bouillie à base de petit lait). Comme dans le cas de l’Italien appelé « macaroni » (voire « sale macaroni »), renvoyé non seulement à ses origines mais aussi à un statut miséreux, l’insulte culinaire renvoie autant à une origine nationale qu’à à une origine sociale, ces deux plats étant considérés comme des plats de pauvres.

L’insulte culinaire s’inscrit alors dans une dynamique xénophobe plus large qui se fonde sur l’étrangeté de l’immigré, sur son mode de vie et sur le dégoût qu’il doit susciter par sa saleté supposée et sa différence. L’Italien est ainsi un « mangeur de macaroni » mais aussi un « manieur du couteau » ou un « joueur de mandoline ». Le goût, l’odorat, le toucher, la vue et l’ouïe sont sollicités pour décrire et décrier l’étranger qui se distingue ainsi par sa manière d’être tout entière. 

Temps et lieux de l’insulte

Les témoignages de migrants italiens et de leurs enfants sont nombreux à évoquer l’école comme le lieu d’intégration par excellence mais aussi comme celui du rejet à cause notamment des insultes entendues dans les cours de récréation. Les rapports de police, relatant des affrontements entre ouvriers autochtones et étrangers, évoquent aussi les insultes et quolibets adressés par des ouvriers français à des travailleurs italiens, faisant ainsi de la mine, du chantier ou de l’atelier un lieu de rencontre mais aussi de confrontation et d’insultes (Fig. 2). Enfin, sous l’emprise de la bouteille, les insultes fusent aussi plus facilement et les rubriques de fait divers sont remplies de règlement de comptes dans ou devant un débit de boisson.

Dotée de sa géographie et de son histoire, l’insulte connait aussi un usage variable dans le temps. « Macaroni » est ainsi abondamment employé – ou du moins laisse davantage de traces – au cours de la décennie 1890 marquée par une intensification des migrations italiennes à destination de la France. Plus de 130 articles de presse rapportent l’usage d’expressions comme « mangeur de macaronis » ou les emploient pour qualifier les Italiens, en France ou en Italie au cours de la décennie 1890 – soit le double de la décennie précédente (Fig. 3). L’explosion de son usage dans la presse révèle autant qu’elle accompagne la succession de violentes agressions que subissent des immigrés italiens dans plusieurs départements comme à Aigues-Mortes en 1893, à Pont-Saint-Vincent en 1895 ou à Bruley en 1914. En effet, lors des chasses aux Italiens, (des rassemblements de plusieurs dizaines voire centaines de Français contre des dizaines d’Italiens afin de les chasser des lieux de travail), les insultes sont attestées et font partie intégrante du paysage sonore de la chasse.

Le rapprochement franco-italien du début du siècle, la neutralité de l’Italie en août 1914 puis son entrée en guerre aux côtés de la France en mai 1915 changent la donne. Certes, au cours de la Première Guerre mondiale, le terme de macaroni est toujours utilisé par la presse dans des articles et dessins caricaturaux ou humoristiques, mais c’est désormais pour se moquer des empires centraux. Ainsi par exemple, si « le macaroni file bien, les Autrichiens filent mieux… » se réjouit Le Journal en juin 1916. L’Excelsior reconnaît aussi qu’« il ne faut plus dire il file comme un macaroni, mais il file comme un Autrichien » en juillet 1916, tandis que La Presse du 23 janvier 1917 explique en ces termes les restrictions alimentaires en Allemagne : « S’il n’y a plus de macaroni, c’est de la faute de l’Italie ». D’autres titres invitent même les Français à ne plus employer ce terme à l’encontre des Italiens qu’ils croisent. 

Au lendemain de la guerre, l’insulte ne disparaît pas, mais force est de constater qu’elle décline sensiblement et ce, alors même que l’immigration italienne en France demeure forte et même plus nombreuse que dans les années 1890. Mais si son usage dans la presse diminue, elle n’en demeure pas moins forte dans les cours de récréation et les discussions, alors que les relations avec l’Italie se tendent dans les années trente. L’alliance de Rome avec Berlin et la déclaration de guerre de l’Italie à la France en juin 1940 favorisent un regain de xénophobie envers les migrants italiens au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, d’autant que ces derniers sont désormais surtout issus du sud de l’Italie et souvent discriminés eux-mêmes par des Italiens du Nord. 

Du latin insultus (attaque), l’insulte est une agression. Marqueur de l’irréductible altérité de l’immigré italien, l’insulte « macaroni » est polysémique. Elle le renvoie d’abord à son pays et en le réduisant à sa culture culinaire supposée, le rejette comme inassimilable. Par l’association à un plat pauvre, elle ne le considère pas autrement que miséreux. Enfin, complétée par l’adjectif « sale », elle rend le migrant infréquentable. L’insulte « macaroni » s’inscrit dans une dynamique pluriséculaire et connaît des altérations lexicales, des temps forts d’usage (les années 1890 et l’après 1945) et des temps de pause (la Première Guerre mondiale). Notons aussi que les Italiens savent retourner l’insulte contre ceux qui les dénigrent. Un soldat italien envoyé en France durant la Grande Guerre affirme ainsi en février 1918 : « Ici, nous ne mangeons que des pommes de terre et des haricots. C’est le pays des pommes de terre celui-ci ! Et ils ont le courage de nous appeler macaronis ! »

Citer cet article

Pierre-Louis Buzzi , « Histoire d’une insulte xénophobe : « mangeur de macaroni »  », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 23/05/24 , consulté le 21/09/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22309

Bibliographie

Buzzi, Pierre-Louis, « Affrontements xénophobes et identités : les « chasses à l’Italien » en Lorraine (années 1890-1910) », Histoire Politique [En ligne], 32 | 2017, mis en ligne le 01 juin 2017.

Aprile, Sylvie, Dufoix, Stéphane, Les mots de l’immigration, Paris, Belin, 2009.

Dornel, Laurent, « L’insulte xénophobe en France au xixe siècle », in Bouchet, Thomas, Legget, Matthew, Vigreux, Jean, Verdo, Geneviève (dir.), L’Insulte (en) politique. Europe et Amérique latine du xixe siècle à nos jours, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2005, p.111-120.

Treps, Marie, Maudits mots : la fabrique des insultes racistes, Paris, Tohubohu, 2017.

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