Les foyers de travailleurs migrants de 1950 à aujourd'hui

Les foyers, habitats à destination d’hommes seuls originaires des anciennes colonies, sont devenus le symbole d’une partie de l’histoire des migrations en France. Créés au moment des indépendances, ils représentent autant la mise à l’écart des travailleurs immigrés dans l’espace urbain que leur grande importance dans l’économie française d’après-guerre. Espaces de mobilisations, d’activités commerciales et culturelles portées par les diasporas, ils deviennent dans les années 1990 l’objet de critiques envers les pouvoirs publics et les structures gestionnaires, alors que se durcissent les politiques migratoires. Ils ont aujourd’hui presque disparu sur le territoire français, remplacés depuis une vingtaine d’années par la résidence sociale, un habitat accessible uniquement sur critères économiques. Les foyers comme traces matérielles et architecturales de l’histoire des migrations disparaissent alors des villes françaises, mais subsistent encore dans les mémoires de ceux qui les ont habités. 

Illustrations 1 et 2. Photographies d’un foyer à Boulogne, banlieue parisienne, construit dans les années 1970. Ill. 1 : Façade. Ill. 2 : intérieur. Archives Municipales de Boulogne, cote : 350W69-2 et 350W69-7
Illustrations 1 et 2. Photographies d’un foyer à Boulogne, banlieue parisienne, construit dans les années 1970. Ill. 1 : Façade. Ill. 2 : intérieur. Archives Municipales de Boulogne, cote : 350W69-2 et 350W69-7
Illustrations 1 et 2. Photographies d’un foyer à Boulogne, banlieue parisienne, construit dans les années 1970. Ill. 1 : Façade. Ill. 2 : intérieur. Archives Municipales de Boulogne, cote : 350W69-2 et 350W69-7
Illustrations 1 et 2. Photographies d’un foyer à Boulogne, banlieue parisienne, construit dans les années 1970. Ill. 1 : Façade. Ill. 2 : intérieur. Archives Municipales de Boulogne, cote : 350W69-2 et 350W69-7
Sommaire

En France, et en particulier dans les grandes villes, les années 1950 sont marquées par un manque important de logements. Conséquence des destructions de la Seconde Guerre mondiale, cette pénurie est renforcée par l’augmentation de la population sous l’effet du baby-boom ainsi que par un recours massif à la main-d’œuvre immigrée de la part des industriels français. Pour diminuer la part des logements qualifiés de « taudis » et des bidonvilles où logent les franges précaires de la population, comme à Nanterre par exemple, le gouvernement se lance dans une construction massive de logements. D’une part sont construits les HLM à destination des familles françaises et immigrées, de l’autre apparaissent les foyers pour des hommes seuls originaires des colonies, ou des anciennes colonies, venus en métropole pour travailler. 

La genèse du foyer : les années 1950-1960

Le foyer de travailleurs migrants naît en 1956 lors de la création de la Sonacotral (Société nationale de construction pour les travailleurs algériens) par le ministère de l’Intérieur. Cette société mixte est dédiée, dans un premier temps, au logement des travailleurs algériens installés au sein de bâtiments divisés en unités de vie regroupant quelques chambres autour d’une cuisine et de sanitaires partagés. Au cœur de la guerre d’Algérie, ces nouveaux logements visent à résorber les bidonvilles progressivement détruits, mais répondent également à des objectifs de politique intérieure. Gérés par d’anciens militaires recrutés comme directeurs, les foyers Sonacotral, installés en proximité des usines en périphérie des grandes villes, logent parfois plus de 300 personnes et deviennent des lieux de surveillance et d’encadrement de populations dites « à risque », compte tenu des tensions liées à la guerre d’Algérie. 

Les années 1960 sont celles de l’indépendance de l’Algérie, qui conduit la Soncotral à perdre son « L » final et, ainsi, à ouvrir ses portes à tous les travailleurs immigrés, en particulier du Maghreb. Conjointement, plusieurs associations commencent à voir le jour et se spécialisent dans la construction et la gestion de foyers de travailleurs migrants à destination, cette fois, des populations originaires d’Afrique de l’Ouest. Apparaissent alors l’Aftam, la Soundiata ou l’Assotraf et leurs foyers, appelés à l’époque « foyers d’Africains Noirs » aux espaces exclusivement collectifs (dortoirs, cuisines, salles polyvalentes et sanitaires). Si ces foyers ne sont pas pris en charge directement par le gouvernement français, ils bénéficient néanmoins de subventions publiques. 

S’observe alors une distinction institutionnelle entre la prise en charge des travailleurs dits maghrébins et celles des travailleurs dits ouest-africains, à laquelle fait écho une distinction architecturale des bâtiments proposant des espaces individuels pour les premiers et collectifs pour les seconds. Néanmoins, pour les uns comme pour les autres, les bâtiments sont pour la plupart aménagés rapidement, sans dépôts de permis de construire, au sein d’anciennes casernes, comme à Stains, d’anciens hôtels, comme à Boulogne, ou des usines converties à la hâte comme à Saint-Denis.

La pérennisation de l’installation dans les foyers : les années 1970-1980

Aménagés rapidement et, à l’origine, pour quelques années seulement, les bâtiments voient l’installation de leurs habitants se pérenniser malgré des conditions de vie difficiles. En effet, les bâtiments vieillissent vite, et, dès les premiers temps, des problèmes de vétusté apparaissent (Ill. 1 et 2). De plus, les foyers ne sont pas des logements comme les autres : les habitants, qualifiés de résidents, ne bénéficient pas des droits de locataires, ils ne règlent pas de loyers, mais des redevances et leurs pratiques quotidiennes sont fortement encadrées par le directeur du foyer qui loge, en général, sur les lieux. 

Ainsi, dès les premières années de résidence en foyers, des grèves de loyers et des mobilisations collectives apparaissent. S’incarnant d’abord à travers des conflits localisés, le mouvement social se diffuse à partir de 1973 dans de nombreux foyers dans toute la France. Les foyers Sonacotra deviennent le symbole de cette décennie de mobilisation. Les revendications sont nombreuses : droits de réunions, de visites et d’activités culturelles, tout comme le droit à la vie privée. Bien que massives, ces grèves, suivies au plus fort du mouvement par près de 20 000 personnes, ne permettent qu’un assouplissement marginal des règlements intérieurs. Elles symbolisent néanmoins un moment de politisation forte des résidents. 

Pour autant, la vie en foyer ne se résume pas aux mouvements sociaux et les années 1970 et 1980 sont marquées par le développement d’activités économiques et culturelles. Tailleurs, cuisiniers et cuisinières, forgerons, petits commerçants s’installent de manière informelle dans les espaces collectifs des foyers dits subsahariens, leur présence étant tolérée par les structures gestionnaires. Ces lieux deviennent alors cruciaux pour les habitants, mais également le voisinage et la diaspora. Apparaissent également des salles de prière et des mosquées fréquentées par les résidents et leurs voisins proches, tout comme des partenariats avec des associations d’alphabétisation qui interviennent au sein des bâtiments. 

Cette richesse associative des foyers se renforce après 1981, date à laquelle la création d’associations est ouverte aux non-nationaux. En effet, dès les années 1960, des mises en commun d’argent (par village d’origine ou famille), appelées caisses collectives de cotisation, apparaissent dans les foyers et servent à financer les obsèques et rapatriements de ressortissants comme les infrastructures dans les villages d’origine (puits, dispensaire, infrastructure scolaire ou de transport). Elles deviennent, à partir de 1981, des associations de développement qui structurent les relations entre le territoire d’origine et la ville d’installation de la diaspora voire servent de support au développement de partenariats binationaux entre communes. 

La remise en cause du foyer par les structures gestionnaires et les pouvoirs publics : les années 1990

Une trentaine d’années après les premières constructions de foyers pour travailleurs migrants, les premiers habitants ont vieilli et l’environnement institutionnel a été profondément bouleversé. Le recours à la main-d’œuvre immigrée s’est réduit et le débat public est marqué par l’émergence de débats publics et politiques autour de la pratique de l’Islam, ainsi qu’autour de l’immigration dite clandestine. De plus, les foyers incarnent, pour les structures gestionnaires, un modèle économique totalement déficitaire qu’ils attribuent aux faibles redevances des habitants, mais également à la grande vétusté des bâtiments éprouvés par le temps et leur surpeuplement.

En 1996, un rapport sur les foyers de travailleurs migrants est présenté à l’Assemblée Nationale par le député RPR Henri Cuq. Il en dépeint une image très négative, ciblant les pratiques collectives (commerce, culte, hébergement), en les qualifiant de « zones de non-droit » aux « trafics en tout genre » et promouvant la « clandestinité ». Il propose alors leur démantèlement qui consisterait en la destruction des bâtiments et une reconstruction de petites structures dont le but serait d’entraver le « communautarisme ». 

Vers la fin des foyers ? La résidence sociale depuis 1997 

S’il ne reprend pas toutes les préconisations du rapport Cuq, le Plan de Traitement des Foyers de Travailleurs Migrants qui naît en 1997 a néanmoins pour ambition de réhabiliter les foyers en les transformant en résidences sociales. Ce plan d’abord quinquennal est plusieurs fois reconduit pour prendre fin progressivement au cours des années 2020 avec la disparition des près de 700 foyers sur le territoire. 

Désormais, les espaces collectifs (Ill. 2) disparaissent aux profits de studios et, si les habitants des anciens foyers sont relogés suite aux travaux, les nouvelles procédures d’intégration ouvrent les portes de la résidence à de nouvelles figures de la précarité.

Citer cet article

Laura Guérin , « Les foyers de travailleurs migrants de 1950 à aujourd'hui », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/07/24 , consulté le 11/12/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22388

Bibliographie

Béguin, Hélène, Héberger des migrants ou gérer des logements ? : l’Aftam et ses “foyers d’Africains noirs” (1962-2012), thèse de doctorat, Université Paris Est, 2015.

Bernardot, Marc, Une politique du logement : la Sonacotra (1956-1992), thèse de doctorat, Université Paris 1, 1997.

Guérin, Laura, L’appropriation spatiale comme résistance habitante. Ethnographie de résidences sociales issues de foyers de travailleurs migrants », thèse de doctorat, Université Paris 8, 2021.

Hmed, Choukri, Loger les étrangers" isolés" en France : socio-histoire d’une institution d’État : la Sonacotra (1956-2006) », thèse de doctorat, Université Paris 1, 2006.

Quiminal, Catherine, Gens d’ici, gens d’ailleurs : migrations Soninké et transformations villageoises, Paris, C. Bourgois, 1991.

Samuel, Michel, Le prolétariat africain noir en France, Paris, Masperi, 1978.

Timera, Mahamet, Les Soninké en France : d’une histoire à l’autre. Paris,Karthala, 1996.

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Contrat d’indenture signé d’un « X » par Henry Mayer, l’engageant à travailler pour Abraham Hestant de Bucks County (Pennsylvanie), 1738. Source : Immigrant Servants Database.
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1. Ouvriers italiens et français sur le chantier de reconstruction du casino de Sète (années 1910) © Collection particulière Graille-Bourrelly.
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Affiche italienne de 1949 invitant les mineurs italiens à aller travailler en France © Coll. Dixmier/Kharbine-Tapabor.
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