Qu’est-ce qu’un prieuré au Moyen Âge ?

Les communautés religieuses se multiplient au Moyen Âge et les établissements qui les abritent portent des noms différents (ermitages, abbayes, cellules…). Les prieurés en font partie. Les historiens ont très tôt posé la question des relations entre abbayes et prieurés et ont essayé de comprendre leurs modes de fonctionnement et leur organisation en travaillant sur des communautés religieuses spécifiques. Comment définir le terme de prieuré ? Comment le distinguer des autres mots utilisés pour désigner les établissements religieux ? Dans quelle chronologie les prieurés s’inscrivent-ils ? Leurs grandes caractéristiques offrent la possibilité de dresser une typologie (taille de la communauté, milieu d’implantation, liens hiérarchiques…) et de comprendre les spécificités du mode de vie en leur sein. L’abbaye de chanoines réguliers de Saint-Victor de Paris a, par exemple, fondé des prieurés-fils dans le Bassin parisien à partir du xiie siècle. Ces petits établissements religieux illustrent parfaitement les grandes caractéristiques des prieurés durant l’époque médiévale. 

Illustration 1 : L’implantation religieuse dans le diocèse de Paris (XIIe-XIVe siècles)
Illustration 1 : L’implantation religieuse dans le diocèse de Paris (XIIe-XIVe siècles)
Illustration 2 : le prieuré de Fleury-en-Bière  1 - L’entrée de l’église, accolée au mur d’enceinte de l’ancien château des seigneurs de Fleury (photo : J. Colaye). 2 - Clocher de l’église, début XIIe siècle (photo : J. Colaye).
Illustration 2 : le prieuré de Fleury-en-Bière 1 - L’entrée de l’église, accolée au mur d’enceinte de l’ancien château des seigneurs de Fleury (photo : J. Colaye). 2 - Clocher de l’église, début XIIe siècle (photo : J. Colaye).
Sommaire

« Le » prieuré. Une définition générale difficile 

Donner une définition du terme prieuré est difficile car le mot prioratus n’est pas utilisé pour qualifier les mêmes types d’établissements en fonction des communautés religieuses au Moyen Âge. 

Un prioratus est une communauté monastique ou canoniale (c’est-à-dire de chanoines), masculine ou féminine, qui peut dépendre ou non d’une abbaye (Ill. 1). Il n’y a aucune règle dans l’emploi de ce terme au Moyen Âge. Avant et après l’apparition de ce mot au xiiie siècle, des termes différents permettent de les qualifier. Ainsi, on parle dans les sources de : cellula, cellule ou petit monastère et parfois petit établissement dépendant d’une abbaye ; praeposita, préposé d’un monastère, signifiant donc qu’il y a un lien de subordination ; conventus, ecclesia ou encore domus, les termes les plus courants. À cela il faut ajouter qu’un même établissement peut être qualifié différemment en fonction des époques alors qu’il n’a pas fondamentalement changé : il n’y a pas de continuité d’appellation pour les prieurés. Les termes employés ne sont pas liés à une région géographique particulière non plus. Le concile de Latran de 1179 essaye de fixer l’appellation prioratus mais elle ne s’impose jamais totalement. Les évêques utilisent davantage ce terme que les laïcs qui, dans les actes de donation, emploient beaucoup le terme d’ecclesia jusqu’à la fin du Moyen Âge. 

Le terme prioratus s’impose dans les sources à partir du xiiie siècle, mais il ne remplace jamais totalement les autres appellations. On sait que le terme prioratus dérive de prior, c’est-à-dire le titre donné au supérieur de la dépendance d’un monastère. Au Haut Moyen Âge (ve-xe siècles), prior désigne le chef de la communauté. À partir du xe siècle, le terme désigne souvent le second de l’abbé et au début du XIe siècle, les religieux dirigeant les dépendances d’une abbaye. Cluny a largement contribué au xie siècle à la diffusion de l’appellation prior. Au début du xie siècle, prioratus a été utilisé pour parler de la fonction du prieur (priorat). Ensuite, à partir de la fin du xie siècle, il qualifie la subordination de l’établissement à son abbaye-mère. Ce n’est pas avant le xiiie siècle que prioratus sert à parler de l’ensemble des bâtiments où vivent les religieux (église, bâtiment de vie des moines ou des chanoines, cloître, jardin…). La création d’un prieuré passe par la nomination d’un prieur, puis de ses successeurs, à la tête des établissements : c’est leur présence qui confère au lieu la qualité de prieuré. Les dépendances les plus importantes ont à leur tête des prieurs expérimentés dans la gestion des biens ; c’est le cas des prieurs de Puiseaux (Loiret), particulièrement actifs économiquement au xve siècle. D’abord cellérier – c’est-à-dire intendant – de l’abbaye en 1481, puis prieur, André de Rély joue un rôle important entre 1485 et 1502, défendant les biens de son prieuré après la guerre de Cent Ans, notamment les droits sur les moulins. 

Le terme a une dimension avant tout hiérarchique : le prieuré a un lien de dépendance plus ou moins important avec une abbaye-mère, à laquelle son existence est intimement liée.  Cette dépendance peut être économique ou purement spirituelle. En effet, l’établissement peut avoir à rendre des comptes et à verser une somme recognitive annuelle à son abbaye-mère. Le lien de dépendance est alors total. Dans d’autres cas de figure, les prieurés peuvent être affiliés à une abbaye et partager ses coutumes liturgiques sans pour autant entrer dans la dépendance juridique de cette dernière. Le prieuré reste souvent numériquement plus petit que l’abbaye dont il dépend, même s’il existe aussi bien de très petits prieurés constitués de deux religieux que des prieurés égalant en nombre les membres de leur abbaye-mère. Par exemple, les prieurés victorins ont moins de cinq chanoines à domicile. À contrario, le prieuré clunisien de Crépy-en-Valois compte presque une trentaine de moines. 

Les questions terminologiques sont donc complexes et les mots employés ne permettent pas toujours d’identifier un prieuré avec certitude. Il existe toutefois quelques éléments de définition stables : le prieur fait le prieuré, le terme prioratus en dérive pour qualifier le lieu qu’il occupe. Enfin, l’église est le point central du prieuré et le distingue des exploitations agricoles, raison pour laquelle les établissements sont longtemps qualifiés d’ecclesiae (églises), même à l’époque moderne.

Quels critères pour une typologie des prieurés ?

On trouve différents types de prieurés en fonction de leur lieu d’implantation et des conditions de leur fondation. Tout d’abord, il existe des prieurés castraux. Un châtelain fonde un prieuré ou attire une communauté religieuse pour bénéficier de ses prières. Il peut être situé directement dans l’enceinte du château ou accolé à l’extérieur de la muraille. C’est le cas du prieuré victorin de Fleury-en-Bière, mitoyen du château du seigneur de Fleury, vassal du seigneur de Milly, fondateur du prieuré vers 1127 (Ill. 2). Cette forte proximité est certainement due à l’usage de l’église de Fleury comme lieu de culte privé par les seigneurs du lieu au xie siècle ; elle entraine parfois des situations conflictuelles. Ensuite, le prieuré peut être situé en milieu urbain, permettant alors à l’abbaye-mère de profiter par son intermédiaire des avantages de la ville (foires, marchés, lieux de justice…). Les prieurés peuvent enfin être situés en milieu rural. Ce sont alors de petits prieurés-cures desservant des paroisses et dont dépendent un à plusieurs villages. Enfin, il existe des prieurés fondés en raison d’une vocation religieuse particulière, ce sont les établissements construits sur les grands lieux de pèlerinage ou encore les prieurés-ermitages retirés dans la forêt. Cette typologie connaît toutefois de nombreuses exceptions. 

Une autre distinction fondamentale existe entre les prieurés-cures, lorsque les chanoines ont une charge d’âmes, et les prieurés simples, lorsque les frères ont uniquement des missions économiques, comme la gestion des fermes et le prélèvement des rentes. Dans ce second cas, l’église du prieuré n’est pas fréquentée par des paroissiens. Les sources médiévales emploient de manière indistincte le mot « prieuré » dans les deux cas, employant, surtout pour les plus anciennes, les termes de prior et curatus pour désigner le supérieur de la structure. Lorsqu’il n’y a pas de cura animarum, on parle de prieurés commis ad nutum comme de simples administrations. L’expression « prieuré cure » n’apparaît dans la documentation qu’à partir du xviie siècle.

Il existe enfin de grands prieurés possédant de nombreux biens, et étant eux-mêmes les prieurés-pères d’autres prieurés. C’est surtout le cas dans la communauté de Cluny, avec par exemple les prieurés de Saint-Martin-des-Champs de Paris, ou de Saint-Arnoult de Crépy-en-Valois, qui sont plus grands que certaines abbayes. À l’opposé, les moines et les chanoines ayant créé de petites maisons partout où ils possèdent des terres, ils y envoient minimum deux ou trois membres et le responsable est appelé prior (en latin, le premier). Sur le mot prieur, on forme le mot prieuré qui est alors couramment utilisé pour qualifier de petits établissements qui ne dépendent pas forcément juridiquement d’une abbaye – la dépendance étant alors purement spirituelle.

Il y a donc autant de définitions que de prieurés, même si l’on peut souligner des points communs – qui trouvent toujours leurs exceptions : le supérieur est un prieur, il y a un lien de dépendance, la taille réduite de la communauté... Le prieuré est donc multiforme et dépend à la fois des aspirations des communautés religieuses, des modalités de sa fondation, de son devenir, et des choix d’appellations par les contemporains. Le vocabulaire n’est pas figé, et il ne doit pas être perçu commun un obstacle à toute tentative de définition. Il témoigne de la souplesse des contemporains pour qualifier les bâtiments religieux tout autant que de la richesse historique de ces petits établissements. 

Citer cet article

Julie Colaye-rabiant , « Qu’est-ce qu’un prieuré au Moyen Âge ? », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 18/07/24 , consulté le 19/05/2025. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/22386

Bibliographie

Avril Joseph, « Les dépendances des abbayes (prieurés, églises, chapelles). Diversité des situations et évolutions », dans Les moines noirs : xiiie-xive siècle, numéro spécial des Cahiers de Fanjeaux, Toulouse, éditions Privat, n° 19, 1984, p. 309-342. 

Colaye-Rabiant Julie, Les prieurés de Saint-Victor de Paris (xiie-première moitié du xvie siècle) : implantation et fonctionnement d'un réseau canonial entre Senlis et Orléans, Turnhout, Brepols, 2023 (Bibliotheca Victorina, 30).

Lemaître Jean-Loup (dir.), Prieurs et prieurés dans l’Occident médiéval, Genève, Droz, 1987. 

Mazel Florian, Pichot Daniel, Prieurés et société au Moyen Âge, Rennes, PUR, 2006.

Racinet Philippe (dir.), Leprieuré : histoire et archéologie, numéro spécial d’Histoire médiévale et archéologie, n° 4, 1991.

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