La diplomatie directe à la fin du Moyen Âge
Au long du Moyen Âge, la plupart des échanges internationaux s’effectuent par l’entremise d’ambassades ad hoc, des délégations composées sur mesure pour la circonstance. La rencontre entre souverains n’en est cependant pas moins une composante essentielle de la diplomatie européenne. Les princes se retrouvent régulièrement sur la frontière séparant leurs États ou se rendent visite à l’intérieur de leurs terres pour négocier, ratifier un traité de paix ou conclure un mariage entre leurs dynasties.
Ces rencontres au sommet deviennent plus rares au xve siècle. D’abord parce que cette époque voit le jeu diplomatique connaître un certain nombre de changements, comme la mise sur pied de grandes réunions internationales impliquant des participants de toute l’Europe : conciles généraux, comme ceux de Constance (1414-1418) et Bâle (1431-1449), grands congrès, comme celui d’Arras (1434), ou les projets de diètes en vue de la croisade dans les années 1450. L’apparition de la figure de l’ambassadeur résident, dès le milieu du siècle, influe également sur les relations entre puissances.
La reprise des rencontres au sommet pendant les guerres d’Italie
Au tournant du xvie siècle, la fréquence des rencontres entre princes augmente et culmine dans les années 1520 et 1530 : ces entrevues se retrouvent alors plus que jamais sur le devant de la scène diplomatique. Ces quelques décennies de regain durent jusqu’au début des années 1540 ; elles coïncident avec les guerres d’Italie (1494-1559), qui mènent certains souverains à sortir de leurs États pour diriger leurs armées dans la péninsule Italienne ou négocier avec leurs pairs.
Ainsi, l’empereur Charles Quint rencontre trois fois le roi d’Angleterre Henri VIII (deux fois en 1520 et une en 1522), trois fois le roi de France François Ier (1525, 1538, 1539-1540) et, à plusieurs reprises, les papes Clément VII (1529-1530, 1532-1533) et Paul III (1536, 1538, 1541, 1543). François Ier voit pour sa part deux fois Henri VIII (1520, 1532) et il s’entretient en personne avec pas moins de trois papes : Léon X (1515), Clément VII (1533) et Paul III (1538).
À côté de ces classiques entretiens bilatéraux, d’autres formes de rencontres doivent permettre de régler le conflit entre la France et l’Empire qui secoue alors l’Europe. En 1529, la tante de Charles Quint, Marguerite d’Autriche, et la mère de François Ier, Louise de Savoie, se rencontrent à Cambrai pour négocier la fin des hostilités : ce sera la paix des Dames. Neuf ans plus tard, alors que le conflit a repris, le pape Paul III se rend à Nice, où il a donné rendez-vous au roi de France et à l’empereur pour essayer de les réconcilier ; Charles Quint et François Ier, pourtant présents, refusent de se voir, laissant le pape faire la navette entre eux, sans résultat.
En cette époque de brassage d’individus, d’idées, d’informations à l’échelle de l’Europe – induit par les guerres d’Italie et accentué encore par la diffusion de l’imprimerie –, la communication politique se développe à grande échelle. Elle met les rencontres entre souverains au premier plan. Tout comme les grands événements du cérémonial monarchique (mariages, funérailles, couronnements, etc.), les rencontres sont organisées comme des mises en scène du pouvoir des princes.
La plus célèbre de ces rencontres réunit François Ier et Henri VIII au camp du Drap d’or en 1520 : environ 9 000 personnes, issues des cours de France et d’Angleterre, assistent à deux semaines de joutes et de festivités dans un luxueux campement éphémère établi près de Calais. Si pareille affluence représente sans doute un record, les autres entrevues princières de la Renaissance n’en demeurent pas moins des événements très regardés : elles se déroulent en général dans des centres urbains et réunissent des souverains qui se déplacent en compagnie de centaines de personnes. Aux milliers de spectateurs qui assistent au sommet s’ajoutent ceux, plus nombreux encore, qui lisent ou écoutent les divers récits de l’événement circulant, entre autres, sous forme de plaquettes imprimées et de feuilles d’actualité.
Tranchant nettement avec certaines entrevues du xve siècle – qui se déroulent dans un contexte de guerre, en rase campagne, avec l’appui des armées et de lourdes mesures de sécurité –, les rencontres de la Renaissance ont une dimension plus curiale et plus publique. À tel point que l’on peut se demander si, d’un siècle à l’autre, il s’agit bien d’une seule et même pratique – ou si l’usage diplomatique ne s’est pas transformé en spectacle ou cérémonie qui se contente d’entériner et de ritualiser une alliance décidée en amont.
La longue éclipse de l’Ancien Régime
À partir du milieu du xvie siècle, avec la fin des guerres d’Italie, la rupture confessionnelle causée par la Réforme et la fixation des cours dans des capitales ou des résidences permanentes, une page se tourne dans l’histoire de la diplomatie. La nouvelle génération de souverains qui succède à François Ier, Henri VIII et Charles Quint, est moins assidue à se rencontrer. Les princes de premier plan se retirent du champ de la négociation directe et cela jusqu’au xixe siècle. Après le dernier face-à-face entre François Ier et Henri VIII à Boulogne-sur-Mer en 1532, il faudra attendre 311 ans et la réception de la reine Victoria par Louis-Philippe en 1843 pour que des souverains anglais et français en exercice ne se rencontrent à nouveau.
Les rencontres entre princes ne cessent pas pour autant au cours de l’époque moderne mais, sauf exception, elles ne concernent plus les plus puissants d’entre eux. Quand elles ont lieu, ces entrevues d’Ancien Régime découlent souvent de situations particulières, comme des princes et princesses en exil, ou voyageant incognito ; ou alors une nette inégalité de rang sépare les protagonistes. Cette désaffection s’explique surtout par de profonds changements touchant la conception du pouvoir. Les souverains ne prennent plus le risque de voir un accord conclu directement entre leurs propres personnes être inefficace et rompu. L’absolutisme ne pouvait plus tolérer que les maîtres de l’Europe soient mis en présence l’un de l’autre, car ces entrevues faisaient brièvement coexister ce qui devenait de plus en plus impensable : deux autorités suprêmes réunies en un seul et même endroit, deux soleils dans un même ciel.