Les ententes régionales trouvent leur origine dans les conséquences de la Première Guerre mondiale. Au cours de la première moitié des années 1930, elles cherchent, en raison de l’évolution de la situation économique et des conditions de mise en œuvre de la sécurité collective, à dépasser leurs attributions premières. Elles prennent en conséquence des initiatives pour tenter de surmonter les antagonismes nationaux qui les opposent aux puissances « révisionnistes » qui poursuivent l’objectif de modifier les traités de paix. Toutefois, face aux succès que rencontrent ces dernières à partir de 1934 dans leur offensive contre le système international établi au début des années 1920, les ententes régionales s’avèrent incapables de réinventer leur modèle, révélant leurs limites.
Des alliances d’abord diplomatiques et défensives
Les traités de paix qui réorganisent l’Europe au lendemain de la Première Guerre mondiale permettent la création ou l’agrandissement d’États qui sont pour cette raison immédiatement intéressés au maintien du statu quo post bellum. Le 14 août 1920, la Tchécoslovaquie, le royaume des Serbes, Croates et Slovènes (la Yougoslavie) et la Roumanie se promettent ainsi une assistance armée en cas de remise en cause par la Hongrie des clauses du traité de Trianon, signé quelques semaines plus tôt, le 4 juin. En raison des deux tentatives de restauration auxquelles se livre l’ex-empereur d’Autriche-Hongrie Charles Ier en mars puis en octobre 1921, des accords bilatéraux sont ensuite conclus entre le royaume de Roumanie et la Tchécoslovaquie le 23 avril 1921, entre le royaume de Roumanie et la Yougoslavie le 7 juin 1921, puis entre la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie le 31 août 1922.
Cette Petite Entente est donc d’abord une alliance traditionnelle, diplomatique (et accessoirement militaire), d’ailleurs limitée puisqu’elle ne garantit pas ses différents partenaires des autres menaces qui pèsent sur leurs frontières : la Roumanie n’a pas d’assurance contre la Russie soviétique, ni la Tchécoslovaquie contre l’Allemagne, ni enfin la Yougoslavie contre l’Italie. Elle est également inachevée en ce qu’elle n’associe pas la Pologne, en raison d’un important litige frontalier qui oppose Varsovie et Prague mais aussi des bonnes relations qui lient les Polonais aux Hongrois. Alliance la plus précoce et la plus aboutie, la Petite Entente n’est pour autant pas la seule organisation de ce type à émerger dans l’Europe médiane de l’entre-deux-guerres.
Sur son modèle s’établissent également une entente balkanique et une entente baltique. La première trouve son origine dans le rapprochement gréco-turc qui survient après la guerre ayant opposé les deux pays entre 1919 et 1922. Il permet la réunion de plusieurs conférences balkaniques, à partir de 1930. Ce cycle aboutit à un pacte, signé le 9 février 1934, entre la Grèce, la Turquie, la Yougoslavie et la Roumanie dans une perspective là aussi antirévisionniste, sensiblement dirigée contre la Bulgarie. La seconde consacre à partir de 1923 l’alliance entre la Lettonie et l’Estonie auxquelles la Lituanie – plus proche de Moscou en raison du conflit territorial qui l’oppose à Varsovie – s’associe tardivement, le 12 septembre 1934 seulement.
L’institutionnalisation des ententes régionales
Ces alliances apparaissent bientôt comme un outil utile pour répondre à l’enjeu que constitue l’incapacité de la SDN à établir un système universel de sécurité collective mais aussi comme un moyen de relever le défi que représentent les conséquences de la crise économique mondiale de 1929. Les ententes régionales, qui sont à ce stade purement défensives, doivent au préalable réinventer leur modèle. Dans leur institutionnalisation, elles trouvent matière à élargir leur vocation première.
L’échec, en 1924, du Protocole pour le règlement des différends internationaux initié dans le cadre de la SDN contraint en effet les acteurs à imaginer d’autres modalités pour garantir la paix et l’intangibilité des frontières européennes fixées dans les traités de paix. Les accords de Locarno d’octobre 1925 consacrent une forme de régionalisation de l’ordre international à l’échelle européenne. Un système plaçant de nombreux pays dans une relation d’interdépendance voit ainsi le jour. À cette occasion, la France s’engage aux côtés des trois pays de la Petite Entente dont elle devient de facto la garante. Ces alliances offrent au débat sur la régionalisation ou la décentralisation de la SDN une caisse de résonance empirique.
Par ailleurs, l’érection de frontières nouvelles, et donc de barrières douanières, au sein d’espaces ouverts jusqu’à la conclusion de la Première Guerre mondiale pose à l’ensemble des acteurs européens des difficultés économiques que la crise mondiale de 1929 vient accentuer très fortement. La régionalisation apparaît comme un moyen de lever ces obstacles et potentiellement de surmonter les clivages nés de la guerre, en associant États bénéficiaires et États révisionnistes. L’organisation d’une fédération danubienne associant la Hongrie est à l’ordre du jour, sous l’impulsion du Hongrois Elemér Hantos et du Français André Tardieu notamment (mars 1932). Experts, responsables politiques et intellectuels réfléchissent à des solutions qui se situent dans la lignée du projet d’Aristide Briand d’Union européenne.
Face à cette situation, les ententes régionales déjà constituées ou en voie de préfiguration formalisent leurs relations pour approfondir leur intégration. Le 16 février 1933, la « Petite Entente » se donne une base organique stable et signe un pacte d’organisation. Les signataires se mettent d’accord sur la création d’un conseil et d’un secrétariat permanents, dont une section est installée à Genève, auprès de la SDN. Ce traité prévoit une intégration économique progressive, via l’établissement d’un conseil dédié. Moins abouties, les ententes balkanique et baltique prévoient néanmoins une concertation diplomatique étroite ainsi, pour la seconde, qu’une coordination législative et économique.
D’autres ententes, exclusivement économiques, voient le jour dans ce contexte : entre la Norvège, la Suède, le Danemark, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas à Oslo en décembre 1930 ou encore, de façon plus approfondie, entre Belges, Néerlandais et Luxembourgeois, à Ouchy, en juin 1932.
L’impossible dépassement d’un modèle
Dans la seconde moitié des années 1930, la montée en puissance des revendications révisionnistes et leur satisfaction de plus en plus brutale conduit les ententes régionales à chercher plus activement encore le dépassement de leur modèle initial.
Elles tentent d’associer à leur organisation les petites puissances révisionnistes que sont la Hongrie et la Bulgarie pour tenter de les dissocier de l’Allemagne et, dans une moindre mesure, de l’Italie. C’est tout l’objet des protocoles de Salonique (31 juillet 1938) et de Bled (23 août 1938) qui consacrent l’« égalité des droits » de ces pays, reconnue à l’Allemagne dès le 11 décembre 1932.
Pour autant, la tentative des acteurs des ententes régionales de l’Europe médiane de reconstituer un ordre européen autour d’alliances autonomisées et relativement affranchies des grandes puissances occidentales – France et Royaume-Uni – se solde par un échec patent. Profondément déséquilibré par l’Anschluß, par l’annexion des Sudètes et enfin par le Pacte germano-soviétique qui consacre la satellisation par Moscou des pays baltes, l’équilibre péniblement établi finit par se rompre et concrétise la fin de l’ordre de Versailles.