Fixer les devoirs de l’humanité envers les enfants
À l’issue de la Grande Guerre, l’espoir d’un avenir meilleur placé dans les enfants s’inscrit, entre autres, dans un mouvement transnational pour l’adoption d’une déclaration des droits de l’enfant. Pour les promoteurs de la paix et d’un nouvel ordre mondial dans le cadre de la Société des Nations (SdN), le désir partagé de prise en compte des enfants offre un excellent point de départ pour lutter contre les risques de guerre. Des pionniers d’une diplomatie de l’enfance y voient un apprentissage – sur un terrain acceptable pour tous les États et les peuples – à collaborer en faveur de la paix. Outre des politiques et des diplomates, s’engagent également des médecins, des juges, des pédagogues, des humanitaires, etc. L’Union internationale de secours aux enfants (UISE) et l’Association internationale de la protection de l’enfance (AIPE) choisissent l’Europe et le monde comme espace de la cause des enfants. Un premier texte, appelé « déclaration de Genève », est élaboré en 1923 par l’UISE sous la houlette d’Eglantyne Jebb. En cinq points très courts y sont consignés les besoins vitaux des enfants que la société se doit de satisfaire (doc. 1).
La déclaration de Genève est approuvée par l’Assemblée générale de la SdN en 1924, qui crée un Comité de protection de l’enfance (CPE) invitant les États à converger vers des normes communes dans ce domaine. Bien que symbolique, car évidemment non contraignant pour les États, le texte a le mérite de renvoyer vers des échelles nationales une rhétorique de la cause des enfants se voulant universelle. En France, le ministre de l’Instruction publique ordonne que la déclaration soit affichée dans toutes les écoles ; son homologue canadien demande que les élèves l’apprennent par cœur. Mais dans chaque pays, l’intérêt de la nation, voire de l’État, le dispute à l’intérêt de l’enfant qui n’est pas formulé expressément. Au-delà des devoirs de la société pour protéger les enfants, Janusz Korczak (1878-1942) et d’autres – notamment des promoteurs d’une éducation nouvelle – expérimentent dans des écoles ou des foyers des droits capacitaires pour les enfants : expression, réunion, décision.
La déclaration de Genève est confirmée en 1946 par la toute jeune Organisation des Nations unies (ONU) qui s’attelle alors au chantier aboutissant à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Celle-ci n’évoque pas les enfants mais stipule que « la maternité et l’enfance ont droit à une aide spéciale », sans davantage de précisions (doc. 2). En marge de cette édification, la déclaration de Genève est amendée en 1948 par l’ajout de deux devoirs supplémentaires pour l’humanité : la protection de l’enfant sans distinction de race, de nationalité et de croyance ; le respect de l’intégrité de la famille.
De nouveaux acteurs de l’espace transnational de la cause des enfants se mobilisent pour un grand texte énonçant clairement des droits positifs pour les enfants, plus que des devoirs de la société. Parmi eux, le Fonds international de secours à l’enfance (UNICEF), assez laborieusement créé de 1946 à 1953, joue un rôle de premier plan. Là encore, dans le contexte de la guerre froide, l’enfance apparaît comme une cause qui peut être partagée par tous les peuples, toutes les diplomaties, des États comme des acteurs transnationaux.
Ainsi, une Déclaration des droits de l’enfant est adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, le 20 novembre 1959. Le texte reprend les « besoins » des enfants et les « devoirs » de l’humanité indiqués en 1924/1948. Ainsi, sont énoncés dix « principes », en ajoutant à la liste précédente le droit à un nom et à une nationalité, à l’amour, aux loisirs (doc. 3). Si la déclaration de 1959 est signée par tous les États membres de l’ONU, pas plus que la déclaration de Genève, elle ne les contraint en quoi que ce soit.
Établir un texte juridique contraignant pour les États
Afin de favoriser une prise de conscience universelle en faveur des droits de l’enfant, l’ONU déclare 1979 « Année internationale de l’enfant », et la Commission des droits de l’homme crée un groupe de travail chargé de rédiger une Convention contraignante pour les États. S’y retrouvent les organisations internationales, différentes ONG dont certaines créées tout exprès comme Défense des enfants – International (DEI), et les 48 États membres de la Commission des droits de l’homme, dont la Pologne communiste, très active dans l’espace de la cause des enfants, se référant à Janusz Korczak.
Cette grande entreprise nécessite dix ans de travail, car se pose la question très aiguë de l’universalité des droits de l’enfant. Celui-ci est en effet considéré très différemment selon les aires culturelles, alors comment définir un « intérêt de l’enfant » accepté par tous et partout ? La définition de l’enfant elle-même pose question, en lien avec les législations très divergentes des États sur l’avortement. Afin d’aboutir à une Convention qui ferait l’unanimité, sa logique d’élaboration a été celle de la diplomatie, du consensus et du compromis politique. La fin des années 1980, avec un renouveau de l’ONU et le règlement de conflits latents, fut un contexte favorable à la finalisation du texte.
Le 20 novembre 1989, l’Assemblée générale des Nations unies adopte la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) qui compte 54 articles. Elle stipule que toute mesure protectrice prise à l’égard d’un enfant doit être gouvernée par la recherche de l’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de ses droits fondamentaux assurant sa protection et son émancipation. La CIDE est entrée en vigueur dès le 7 septembre 1990, après sa ratification par 20 États. Quelques jours plus tard, la diplomatie de l’enfance atteint son apogée avec un « Sommet mondial pour les enfants » qui rassemble le plus grand nombre de dirigeants jamais réuni au même moment (doc. 4). Ils adoptent une Déclaration sur la survie, la protection et de développement de l'enfant, ainsi qu’un plan d’action pour les années 1990.
L’application de la CIDE est contrôlée par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU. Celui-ci publie régulièrement des « observations générales » sur des questions problématiques et examine les rapports périodiques des États. En effet, ceux-ci sont contraints de par leur ratification de la CIDE d’appliquer les règles qu’elle porte. En 2000, deux protocoles additionnels facultatifs ont été adoptés par l’ONU, puis un troisième en 2011 qui permet à tout enfant de déposer une communication individuelle devant le Comité des droits de l’enfant. En septembre 2019, seize jeunes pétitionnaires, dont Greta Thunberg et Alexandria Villaseñor, ont fait cette démarche, arguant que l’échec des États à faire face à la crise climatique constitue une violation des droits de l’enfant. Au 30e anniversaire de la CIDE, sur les 197 États souverains signataires, 196 l’ont ratifiée. Les États-Unis, après avoir signé la convention en 1995 seulement, demeurent aujourd’hui le seul pays signataire à ne pas l’avoir ratifiée, ce qui ne laisse pas de s’interroger sur la défaillance d’une grande démocratie dans l’espace transnational de la cause des enfants.