Il est communément admis que l’idéal messianique de la Révolution aurait, par principe, exclu le compromis et le dialogue diplomatiques. À ce titre, les diplomates de la Révolution ont bien souvent été réduits à une nébuleuse d’émissaires jacobins et leurs pratiques, à des entreprises de prosélytisme. À l’encontre de cette idée tenace, canonisée dès la fin du xixe siècle par Frédéric Masson et Albert Sorel, d’une diplomatie subvertie, puisque devenue subversive, de récents travaux démontrent que cette diplomatie n’a pas tant cherché à convertir les peuples étrangers aux principes révolutionnaires, qu’à convaincre leurs gouvernements de reconnaître la souveraineté nationale. C’est en effet la traduction diplomatique de ce changement de souveraineté qui a constitué le principal défi de la diplomatie révolutionnaire : comment représenter le roi et la nation (1789-1792), puis une nation sans roi (1792-1804) dans une Europe monarchique ?
Sous la monarchie constitutionnelle, parce qu’elle demeure un monopole régalien, la diplomatie est soigneusement tenue à l’écart de la révolution politique : son personnel n’étant pas épuré, ni ses codes réformés, les ambassadeurs persistent à ne représenter que le roi, à l’exclusion de cette nation dont ils contestent la légitimité politique pour lui ôter toute crédibilité diplomatique.
À partir de l’été 1792, la républicanisation de la diplomatie passe moins par la démocratisation partielle de son appareil que par une redéfinition radicale de ses normes. Celles-ci se fondent désormais sur les vertus républicaines au détriment des habitus aristocratiques propres à « l’art de négocier ». La simplicité dans la représentation et la franchise dans la négociation doivent ainsi se substituer au faste et à la duplicité de la diplomatie d’Ancien Régime, puisque c’est désormais l’efficacité de la négociation qui prime sur la vanité de la représentation. Le « parler vrai » républicain ne saurait cependant se confondre avec la prédication révolutionnaire. En effet, si le décret du 13 avril 1793 fait du principe de non-ingérence réciproque et de l’interdit de prosélytisme révolutionnaire le fondement des pratiques diplomatiques républicaines, les instructions ministérielles insistent cependant sur la nécessité de faire de la diplomatie un outil de contre-propagande afin de restaurer la « dignité républicaine » avilie par la propagande contre-révolutionnaire. La gageure a donc consisté pour les agents à concilier l’exigence de fermeté républicaine avec l’impératif de modération diplomatique, pour parvenir à conquérir, par l’arme diplomatique, le droit pour la République d’exister en Europe.
Si l’on excepte les cas des quatre agents (Mangourit, Genet, Bassville et Soulavie) qui sont pourtant toujours cités comme emblématiques de l’incompétence, de l’insolence et de l’inconséquence de la diplomatie républicaine, celle-ci s’est distinguée par un art du compromis qui ne saurait être considéré ni comme une compromission avec les usages monarchiques ni comme une abdication de l’identité républicaine : l’insertion dans l’ordre européen passait nécessairement par le respect de ces codes diplomatiques que la République ne pouvait unilatéralement renverser sans prendre le risque d’être ravalée à une marginalité diplomatique à laquelle ses agents ont été, malgré eux, confrontés. En effet, si leur pratique s’est caractérisée par un subtil dosage entre valeurs républicaines et convenances diplomatiques, les diplomates républicains ont pourtant été majoritairement traités comme des parias, au mieux, ignorés et isolés, au pire, bannis et persécutés. Jusqu’en 1796, faute d’accréditation, ces agents n’ont donc pu ni véritablement représenter ni pleinement négocier au nom d’un régime que les monarchies ont cherché à rendre aussi invisible qu’inaudible sur la scène diplomatique européenne.
Ce sont les succès militaires de la Grande Nation sous le Directoire qui donnent à cette diplomatie républicaine jusqu’alors empêchée son droit de cité en Europe. Si les agents diplomatiques s’octroient alors le droit d’en imposer aux monarchies européennes par le chantage des représailles militaires, c’est parce qu’ils ont toujours eu pour principal devoir de seconder les armées françaises. En transformant l’information diplomatique en renseignement militaire, les guerres révolutionnaires ont ainsi contribué à redéfinir la diplomatie, d’un moyen de négocier en un moyen de faire la guerre et, en cela, à reconvertir les diplomates en espions à la solde des généraux. Ce faisant, elles ont induit une forme de militarisation des pratiques diplomatiques : si les négociations n’ont jamais abouti que lorsque la République était en position de force, elles ont surtout permis de consacrer l’expansion militaire de la France en Europe. C’est donc cette « diplomatie du coup de canon » qui, à partir de la campagne d’Italie (1796) et jusqu’à la paix d’Amiens (1802), autorise les généraux en général et Bonaparte en particulier à confisquer les négociations au détriment des agents diplomatiques pour dicter la paix à leurs conditions.
Le principal legs républicain se situe pourtant moins dans cette militarisation ponctuelle de l’outil diplomatique que dans la dépersonnalisation pérenne des relations diplomatiques. En effet, en la dégageant des logiques dynastiques propres à la diplomatie royale, la Révolution a permis de mettre la diplomatie au service exclusif de cette « chose publique » qui, au sens premier, définit la République. Dans sa version républicaine, la diplomatie n’a plus désormais pour seule vocation de concilier les princes : elle doit avant tout œuvrer à la convergence et à la réciprocité des intérêts des différents peuples. En effet, si les diplomates républicains se doivent de représenter à l’étranger la singularité de la nation française, ils ne doivent négocier qu’en fonction de la pluralité de ces intérêts nationaux, c’est-à-dire en fonction de ces intérêts communs à toutes les nations européennes, qu’il leur faut débusquer en « sondant » ces nations dans leur dimension politique, économique, morale et culturelle, par le biais d’enquêtes diligentées par le gouvernement.
C’est cette redéfinition de l’essence et de la vocation de la pratique diplomatique qui explique que, au début du xixe siècle, le néologisme « diplomatie » ait pu être défini comme une véritable science : « la science des rapports et des intérêts de puissance à puissance » selon le Dictionnaire de l’Académie (1798), c’est-à-dire une science qui conjugue l’étude de l’histoire diplomatique de l’Europe en général avec celle de l’économie politique de chaque nation en particulier. Dès lors, le diplomate ne peut plus être considéré comme un simple praticien de ce qui n’était jusqu’ici qu’un « art de négocier » : il se veut et se doit d’être un véritable expert de cette science inédite.
Parce qu’elle a dû réinventer la diplomatie sans le substrat monarchique et sur cette base des intérêts nationaux, la Révolution a donc permis aux nations de devenir, sinon des acteurs, du moins des enjeux du dialogue diplomatique.