L’intégration européenne dans les programmes d’histoire italiens

Depuis la Seconde Guerre mondiale, plusieurs débats ont lieu au sujet du contenu et des méthodes d’enseignement de l’histoire contemporaine dans les écoles secondaires italiennes. L’intégration européenne est incluse parmi les enseignements obligatoires assez tôt, mais l’histoire du xxe siècle ne commence à être traitée de manière approfondie qu’à partir du milieu des années 1990. L’importance accordée à l’intégration européenne s’est accrue. Néanmoins, la part qui lui est consacrée reste inférieure aux cas français et allemand. La plupart des manuels scolaires se concentrent surtout sur la succession des traités et des améliorations dans l’approche critique et la multiplication des points de vue sont nécessaires.

Légende à venir
Légende à venir
Légende à venir
Légende à venir
Légende à venir
Légende à venir
Sommaire

L’histoire contemporaine, entre propagande et amnésie

De l’unification de l’Italie jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’histoire contemporaine tient un rôle prééminent dans l’enseignement de l’histoire, quel que soit le niveau. Ce rôle se renforce sous le fascisme en tant qu’élément du processus de légitimation du régime. L’histoire contemporaine est bannie des écoles après la chute du régime fasciste, ce qui déclenche un vif débat autour de l’enseignement et du contenu des manuels d’histoire. Cette controverse trouve son origine dans les discussions parlementaires autour de la proposition de Mario Scelba en faveur d’une loi pour combattre la résurgence du fascisme (1952). Les programmes d’histoire finissent par être mis à jour au début des années 1960 pour couvrir les xixe et xxe siècles. Ils incluent alors l’étude des organisations contemporaines de coopération internationale ainsi que celle de la communauté européenne, même si une vision italiano-centrée prévaut.

Cependant, dans les années 1960 et 1970, les enseignants négligent la période de l’après-Seconde Guerre mondiale et les étudiants font preuve de connaissances limitées en histoire contemporaine. Les nouveaux programmes éducatifs d’histoire n’adoptent pas une approche pédagogique fondée ni sur l’analyse des sources ni sur l’apprentissage actif : l’enseignement de l’histoire repose sur les récits des enseignants. La participation de délégués italiens aux conférences du Conseil de l’Europe sur l’enseignement de l’histoire a elle aussi des effets limités. Par contraste avec d’autres systèmes scolaires occidentaux où s’est opéré un glissement d’un enseignement de nature explicative vers une pédagogie qui repose sur l’enquête, la majorité des manuels d’histoire italiens destinés au cycle secondaire supérieur restent focalisés sur l’histoire politique. Ils n’incluent une approche innovante de l’apprentissage qu’à partir du milieu des années 1980. Les changements mineurs ne concernent que les méthodes d’enseignement de l’histoire et le matériel d’apprentissage conçus pour la formation des enseignants et pour les instituts professionnalisants (istituti magistrali et istituti professionali), qui sont réformés dans les années 1970. Mais ces innovations n’ont pas d’impact sur les pratiques courantes d’enseignement.

Plusieurs tentatives pour réformer les écoles du cycle secondaire général supérieur (licei) et les instituts techniques (istituti tecnici) échouent dans les années 1970 et 1980. L’instabilité politique et l’absence de consensus sur les objectifs et les méthodes d’enseignement empêchent toute proposition d’aboutir pendant des années.

De l’expérimentation à la réforme

L’absence de réforme en profondeur est en partie compensée par l’expérimentation pédagogique qui est officiellement introduite en 1974, avant d’être complètement développée par la commission Brocca à la fin des années 1980.

Une nouvelle phase de réformes débute en 1996, lorsque le ministre de l’Éducation Luigi Berlinguer décide que les programmes d’histoire de la dernière année du cycle secondaire doivent exclusivement couvrir le xxe siècle. L’Italie s’aligne ainsi sur la France et l’Allemagne, où l’histoire du xxe siècle – y compris les événements les plus récents – sont couverts de manière plus approfondie depuis les années 1980. Malgré les critiques acerbes de la part des historiens de droite, le projet de réforme est maintenu.

En 2000, Berlinguer entame une réforme en profondeur du système éducatif, poursuivie par son successeur De Mauro. Pour la première fois, l’histoire mondiale est introduite dans le cycle secondaire supérieur italien pour remplacer aussi bien l’histoire italiano-centrée que l’eurocentrisme. Ce choix déclenche une controverse acharnée. Un groupe d’historiens universitaires rejettent l’attention croissante accordée au xxe siècle et à l’histoire mondiale, arguant du fait que le nouveau programme pédagogique n’encourage pas à prendre la pleine mesure de l’identité italienne et européenne en tant qu’objectif essentiel de l’enseignement de l’histoire. En 2001, le nouveau gouvernement abolit la réforme avant son entrée en vigueur et commence à rédiger un nouveau projet. L’histoire du monde échoue donc à trouver sa place dans les écoles italiennes, comme cela se produit en Allemagne en 1997. Le changement de gouvernement en 2006 interrompt le nouveau projet à son tour, et la réforme est finalement appliquée en 2010.

Les programmes d’histoire introduits en 2010 sont suffisamment flexibles pour permettre aux enseignants de construire leur propre trame, notamment parce que la liste des sujets pour l’examen national n’a pas été établie. Malgré l’absence d’objectif clair de construction identitaire nationale, l’accent est principalement mis sur l’histoire nationale, même si celle-ci doit être appréhendée « dans le contexte européen et international ».

L’intégration européenne dans les manuels d’histoire du cycle secondaire supérieur au xxie siècle

Au début du xxie siècle, plusieurs initiatives sont prises par des hommes politiques de droite pour mettre en place un processus officiel d’approbation des manuels scolaires, mais aucune n’aboutit. Le contenu des manuels d’histoire se conforme généralement à la liste des thématiques des programmes éducatifs d’histoire actuels, mais avec quelques variations. De surcroît, le marché italien des manuels scolaires est très fragmenté et il est presque impossible de tenir un propos général qui les engloberait tous.

L’importance attribuée au processus d’intégration à l’UE s’est accrue depuis le début du siècle, bien qu’elle soit encore inférieure à ce qu’on observe en France et en Allemagne. Dans les années 2010, la thématique couvre 1 à 5 % environ du nombre total de pages (les manuels étant de 600 à 800 pages environ), y compris dans les sections consacrées à l’éducation civique.

Dans les manuels récents, l’intégration est décrite comme un processus long, complexe et incertain. L’incertitude quant à l’avenir de l’UE distingue les manuels italiens récents de ceux qui étaient utilisés il y a dix ans ainsi que des manuels français ou allemands, qui tendent à confirmer l’intégration à l’UE et même à la considérer comme acquise. D’autre part, les manuels tant italiens qu’allemands passent sous silence les « échecs de l’Europe » : en Italie, à l’exception de quelques références éparses à l’euroscepticisme britannique et au rejet de la Constitution, peu d’exemples de régression dans le processus d’intégration sont évoqués.

Suivant la tendance européenne générale, les manuels italiens se concentrent principalement sur des questions de haute politique pour expliquer la création de l’UE, alors qu’ils multiplient les points de vue sur d’autres thématiques. La succession des traités est présentée comme un processus linéaire dont la seule limitation est sa lenteur, attribuée sans preuve ni raison à l’appui à une vague réticence des différents pays à restreindre leur souveraineté nationale.

Les manuels italiens insistent sur l’engagement d’Altiero Spinelli pour une Union européenne fédérale et sur les différences entre fédéralisme et intergouvernementalisme. Tandis qu’une certaine part de chauvinisme avait coutume de poindre dans le passé, une évaluation positive de la contribution italienne à l’intégration et des bénéfices que le pays en a tiré au cours des premières décennies prévaut dans les années 2010. Cependant, une forme de ressentiment dû aux coûts de l’intégration européenne émerge dans certains manuels au sujet de la crise économique de 2008. Les manuels tendent à être actualisés régulièrement et à se faire en même temps l’écho d’un scepticisme dépourvu de véritable perspective historique, les moments charnières qui portent à controverse n’étant pas explorés.

Citer cet article

Lucia Boschetti , « L’intégration européenne dans les programmes d’histoire italiens », Encyclopédie d'histoire numérique de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 08/09/20 , consulté le 24/04/2024. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/21399

Bibliographie

Accardo, Aldo, Baldocchi, Umberto, Politica e storia. Manuali e didattica della storia nella costruzione dell’unità europea, Bari, Laterza, 2004.

Challand, Benoît, « European Identity and External Others in History textbooks (1950-2005) », Journal of Education, Media, Memory and Society, 2009, p. 60-96.

Hartmann, Henrik, Montlahuc, Juliette, Rogozin, Aleksei, Stegers, Steven, Teaching Europe to Enhance EU Cohesion, Final Research Report, 2017.

Pingel, Falk, The European Home : Representations of 20th Century Europe in History Textbooks, Strasbourg, Council of Europe Publishing, 2000.