Lors des négociations pour les traités de Rome, la France fait de l’association de ses colonies africaines une condition sine qua non de son adhésion à la Communauté économique européenne (CEE). Le régime d’association, une des dernières questions à être réglées par les Six, consiste dans l’abolition des barrières tarifaires et douanières entre la CEE et les pays associés et dans la création d’un Fonds européen de développement (FED). Le régime d’association est défini dans une convention d’une durée de 5 ans, attachée au traité sur la CEE. Sont concernés par le régime d’association les colonies africaines de la France, de la Belgique, la Somalie et certains territoires d’outre-mer néerlandais. Il s’agit donc essentiellement de l’Afrique francophone. En 1962, les pays africains désormais indépendants négocient avec la CEE le renouvellement de la convention d’association signée à Yaoundé, au Cameroun, le 20 juillet 1963. Confirmée dans ses traits essentiels et d’une durée de 5 ans, elle sera renouvelée une deuxième fois en 1969.
En 1973, les négociations pour le renouvellement de Yaoundé II, auxquelles se joignent après quelques hésitations les pays africains, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) du Commonwealth (à la suite de l’adhésion de la Grande-Bretagne à la CEE) sont l’occasion pour réformer profondément la politique de la CEE. La nouvelle convention, signée à Lomé le 28 février 1975, présente plusieurs innovations importantes. Le terme de Convention d’association est abandonné sur demande des pays ACP qui le trouvent trop lié au passé colonial. Le FED connaît une de ses plus importantes augmentations (il passe de 1 000 à 3 150 millions d’ECU) ; il est mis fin à la réciprocité tarifaire et seules les exportations des pays ACP entreront librement dans le Marché commun, abandonnant ainsi le principe de zone de libre-échange eurafricaine adoptée en 1957 ; un système de stabilisation des recettes des exportations (Stabex) est créé pour assurer des revenus réguliers aux pays ACP ; le sucre produit par les pays ACP – dans les limites d’un plafond fixé tous les 5 ans – bénéficie des garanties de la politique agricole commune (PAC). La CEE s’engage aussi à développer une coopération dans le domaine industriel. Au premier regard la convention de Lomé semble répondre, au moins en partie, aux aspirations contenues dans la résolution sur le Nouvel Ordre économique international (NOEI), approuvée par les Nations unies en 1974, et qui représente le cœur des revendications du G77, la coalition qui regroupe les pays du tiers monde au sein des Nations unies, mais les attentes des pays ACP seront en bonne partie déçues.
En 1979, Lomé est renouvelée une deuxième fois. Sa principale innovation est un mécanisme financier, le Sysmin, créé pour soutenir la production minière des pays ACP. Souvent comparé au Stabex, celui-ci s’en différencie car les fonds sont obligatoirement investis dans le secteur minier, ce qui révèle un intérêt prioritaire des pays européens dans ce secteur et en même temps la tendance des pays donneurs à contrôler plus étroitement les aides.
Pendant la première moitié des années 1980, la crise économique, la chute des cours des matières premières, un endettement de plus en plus important affaiblissent les pays ACP. Du côté européen, il faut ajouter les tensions politiques liées aux discussions sur la contribution britannique au budget européen. Dans ce contexte Lomé III (1984) signe une évolution importante. Plusieurs nouveautés montrent comment le critère de l’efficacité de l’aide est en train de remplacer les idées liées au NOEI. Tout d’abord le dialogue sur les politiques, introduit sur demande de la Commission, impose une discussion préalable avec les pays bénéficiaires sur l’allocation des fonds communautaires. À cela s’ajoute un renforcement de la programmation de l’aide. Si l’intention de la Commission est d’approfondir un dialogue pour maximiser l’efficacité des aides communautaires, les pays européens veulent mieux contrôler l’utilisation des fonds. L’idée d’un développement fondé sur l’agriculture et l’autosuffisance alimentaire – et non plus sur l’industrie – commence à s’imposer, stimulée par les famines qui ont frappé l’Afrique. Enfin une référence aux principes de la Charte des Nations unies et aux droits fondamentaux de l’homme est introduite dans le préambule de la convention, malgré l’opposition des pays ACP qui craignent une ingérence de la part des pays européens.
En 1989 avec Lomé IV ces tendances se voient confirmées. La convention, conclue pour 10 ans mais avec un protocole financier d’une durée de 5 ans, prévoit la subordination de l’aide au respect des droits de l’homme et une plus importante coordination avec la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) dont on poursuit la lutte contre la pauvreté. Une nouvelle forme d’aide est introduite : l’appui à l’ajustement structurel. Des nouvelles priorités incluent l’environnement, le rôle de la femme, la coopération décentralisée et la promotion du secteur privé.
Pendant les années 1990, après la fin de la guerre froide, on assiste à un redimensionnement de l’aide accordée aux pays ACP (dont l’importance relative diminue par rapport à l’Amérique latine et à l’Asie). En 1994 les négociations pour le renouvellement du protocole financier de Lomé IV révèlent que l’UE a désormais d’autres priorités. Il y a aussi une certaine lassitude des pays donneurs découragés par le peu de résultats obtenus jusqu’à maintenant. Pour réagir à ce qui était vu comme une mauvaise utilisation des aides, il est décidé de renforcer le contrôle sur les fonds communautaires : les aides seront accordées en deux tranches, la deuxième tranche étant subordonnée à une évaluation sur l’utilisation de la première tranche. En même temps, le principe de la conditionnalité politique des aides est renforcé. En 1992, le traité de Maastricht avait déjà subordonné les aides communautaires au renforcement de la démocratie et de l’État de droit, au respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Désormais le respect de ces principes devient un élément essentiel de la convention dont la violation peut conduire à la suspension des accords.
En 1996, dans un livre vert, la Commission précise les principes à la base de la convention qui aurait succédé à Lomé IV (dont l’échéance arrive en février 2000) pour la rendre compatible avec les règles de la nouvelle Organisation mondiale du commerce (OMC). Les négociations, commencées en septembre 1998, se terminent en juin 2000 avec la signature de l’accord de Cotonou. Conclu pour vingt ans, ce dernier introduit plusieurs nouveautés : il ouvre à la participation d’acteurs non étatiques (secteur privé, syndicats, société civile) dans la définition des stratégies de développement ; la politique commerciale n’est plus conçue comme un instrument de l’aide mais elle représente un objectif en soi ; en fait les avantages tarifaires accordés aux pays ACP doivent être graduellement abolis car en contradiction avec les règles de l’OMC. À leur place on envisage des accords de partenariat économique fondés sur le principe de la réciprocité. Mais la réalisation de ces accords est compliquée car la plupart des pays ACP craignent l’ouverture de leur marché. Le Stabex et le Sysmin sont remplacés par un Fonds pour le développement à long terme qui toutefois intervient dans des conditions plus difficiles à se vérifier. Enfin l’accord contient des clauses sur la coopération pour la prévention des armes de destruction de masse, pour la lutte contre le terrorisme et le soutien à la Cour internationale de justice, ce qui rend essentiel le problème de la coordination de la politique de coopération avec la politique étrangère de la Communauté qui se développe après 1992 avec le traité de Maastricht et la PESC (politique étrangère et de sécurité commune).
Balleix, Corinne, L’aide européenne au développement, Paris, La Documentation française, 2010.
Dimier, Véronique, The Invention of a European Development Aid Bureaucracy : Recycling Empire, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2014.
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