Combattre la résistance en Europe occupée, 1939-1945

Résumé

La répression de l’Allemagne nazie dans les territoires occupés pendant la Seconde Guerre mondiale porte l’empreinte des expériences des guerres passées, tout en reposant sur une stratégie de dissuasion. L’année 1941 marque l’abandon définitif des règlements internationaux et le début de la systématisation des violences à grande échelle contre les civils, à commencer par les Juifs. En dépit de situations souvent très différentes, de forts liens et échanges existent entre régions occupées. Les expériences circulent ; les méthodes et stratégies sont observées, transférées et expérimentées d’un territoire à l’autre.

Exécution d’un partisan à Minsk, 1942-1943. Panneau, en russe et en allemand : « Voici le chef d’un groupe de guérilla. Il a tourmenté et pillé la population pendant des mois. Il est donc PENDU ! ».

La répression nazie des actes de résistance prend une place importante dans la mémoire de l’Europe d’aujourd’hui. Dans quelles logiques et quelles continuités s’inscrit-elle, quelle place y occupent traditions militaires ou considérations idéologiques ?

Approches allemandes avant 1939

Les pratiques de répression allemandes contre des mouvements insurrectionnels trouvent leur origine au xixe siècle, voire au-delà. Face à la « levée en masse » des civils comme en 1793 ou en 1870-1871, les armées allemandes réagissent avec une grande dureté, à travers des prises et exécutions d’otages, des destructions de villages entiers dont la population est expulsée, pratiques qui, aux yeux des Allemands, s’inscrivent dans la « nécessité de guerre ». La conférence internationale organisée en 1874 à Bruxelles échoue d’ailleurs à imposer des limites à de telles méthodes : les petits États (Belgique, Suisse) soutenus par la France et l’Angleterre en faveur d’un droit à l’autodéfense se heurtent à l’opposition catégorique des puissances allemande et russe rejetant toute légitimation de la « petite guerre ». La question reste donc ouverte : le préambule de la convention signée – et confirmée à La Haye en 1899 et 1907 – renvoie l’ensemble des questions non résolues aux principes du droit des gens « tels qu’ils résultent des usages établis entre nations civilisées, des lois de l’humanité et des exigences de la conscience publique », bien que la conception de ces « usages » diverge considérablement d’un pays à l’autre.

Au cours de la Première Guerre mondiale, la crainte – plus que l’expérience réelle – du « franc-tireur » mène à de lourdes représailles allemandes contre des civils et des soldats dispersés à l’arrière du front. À l’Ouest et à l’Est, des villages et villes sont réduits en cendres, des otages civils exécutés. En Ukraine, ce n’est qu’en 1918 que l’occupant allemand abandonne sa stratégie de dissuasion, en faveur d’une plus forte implication des forces administratives et politiques locales pour aboutir à une relative « pacification » du territoire.

1939-1941 : une radicalisation progressive

Dans la campagne contre la Pologne de septembre 1939, la Wehrmacht, puisant dans ces « coutumes de guerre », reprend la pratique des prises d’otages – et, le cas échéant, leur exécution – pour prévenir ou expier des actes de résistance. La propagande allemande crée des conditions propices aux dérapages en insistant dès les premiers jours sur les mauvais traitements et « massacres » dont serait victime la minorité allemande, ainsi à Częstochowa et à Bydgoszcz. L’action des Einsatzgruppen SS, unités d’élite commandées par Reinhard Heydrich pour « sécuriser » l’arrière du front contre les ennemis supposés, dégénère rapidement, entraînant la liquidation systématique de l’élite polonaise : l’aristocratie, le clergé et les Juifs. Cette première opération fait plus de 20 000 victimes (60 000 jusqu’au printemps 1940) et suscite des protestations parmi les hauts militaires. Ces derniers déclenchent alors des poursuites par la justice militaire, toutefois interrompues par l’amnistie générale décrétée par Hitler pour des faits « commis sous l’effet de la rage en réaction aux atrocités perpétrées par les Polonais ». Cependant, dans la campagne contre l’Ouest du printemps 1940, aucune Einsatzgruppe n’accompagnera les troupes.

Les préparatifs de la campagne contre l’Union soviétique au printemps 1941 marquent un tournant. Au vu du vaste espace à conquérir, Hitler annonce, dans un discours du 30 mars 1941 devant les généraux de la Wehrmacht, une « lutte de destruction » : « à l’Est, la dureté est douce pour l’avenir : les chefs doivent se résoudre à sacrifier et à surmonter leurs scrupules ». La juridiction militaire est alors suspendue pour les crimes commis contre la population civile ; les commissaires politiques soviétiques capturés doivent être systématiquement exécutés. Les Einsatzgruppen jouiront désormais d’une grande autonomie vis-à-vis des forces militaires qu’ils accompagnent au front.

Pratiques de répression à partir de 1941

Dans la guerre contre l’URSS, les Einsatzgruppen agissent à titre préventif, selon une stratégie de dissuasion : semer la terreur pour étouffer tout acte d’insurrection ou de sabotage dans l’œuf. Leur action prend une dynamique meurtrière à grande échelle, avec des massacres perpétrés de manière indifférenciée notamment contre la population juive des territoires nouvellement occupés. Cette action qui, jusqu’à la fin de l’année 1941, fait un demi-million de victimes, s’inscrit ainsi dans la première phase de ce qui est en train de devenir la Shoah en Europe. Pour justifier les massacres, les Juifs sont systématiquement assimilés aux résistants et partisans, prétexte qui s’insère dans la propagande nazie contre l’ennemi « judéo-bolchevique » et le « lobby juif ». Ces pratiques sont également appliquées dans d’autres territoires occupés. En Serbie, à partir du mois d’août 1941, les hommes de la communauté juive sont pris, avec les communistes, comme otages et exécutés en représailles à l’insurrection yougoslave. La totalité des hommes juifs est fusillée, lorsqu’à l’automne 1941, la sécurité des troupes et des lignes de communication ainsi que l’exploitation économique du pays sont sérieusement menacées par l’insurrection. En France, les premières rafles de Juifs, suivies d’internements, sont organisées dès mai, août et décembre 1941 alors même que la résistance n’est pas particulièrement menaçante.

En 1942 et 1943, le pouvoir de nuisance des partisans soviétiques et yougoslaves s’accentue, avec pour cibles notamment les collaborateurs locaux et les lignes de communication allemandes. L’occupant mise toujours sur la dissuasion et réagit par des mesures draconiennes. Au cours de « grandes opérations », des régions entières sont encerclées et « peignées », la population locale est frappée par des exécutions de masse ou des mesures de déportation comme main-d’œuvre pour l’industrie allemande. Dans les derniers mois de l’occupation, les Allemands fondent même des « villages fortifiés » habités par des collaborateurs autochtones, armés pour combattre les partisans.

À l’Ouest, en revanche, et notamment en France, l’implication des autorités locales figure au centre du dispositif. Polices allemande et française collaborent très efficacement jusqu’à l’automne 1943 : les Français livrent bon nombre de personnes soupçonnées d’actes ou d’agissements résistants aux Allemands. Après un interrogatoire « aggravé » (sous torture), les détenus sont transférés dans les camps du Reich : ces déportations « nuit et brouillard » sont pratiquées en Europe de l’Ouest et du Nord dès 1942 et ne laissent ni trace ni information sur la personne. Enfin, à partir de la fin de 1943, les Allemands, se préparant à un débarquement allié dans l’Hexagone, déplacent des unités de l’Est vers l’Ouest, un front considéré comme décisif pour la guerre. Les pratiques de répression se radicalisent alors, s’inspirant des celles développées à l’Est : « grandes opérations » sur le plateau des Glières en mars 1944 et dans le Vercors en juillet-août 1944, massacres de juin 1944 commis à Tulle et à Oradour-sur-Glane.

La répression nazie dans les pays occupés se nourrit ainsi de traditions remontant aux conflits passés. S’y greffent cependant des considérations idéologiques afin de tuer dans l’œuf toute opposition. Selon la région géographique et le déroulement du conflit, les pratiques oscillent entre méthodes d’extrême violence – notamment à l’est et au sud-est de l’Europe – et collaboration avec les forces locales.

Bibliographie

Ingrao, Christian, Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre SS, Paris, Fayard, 2010.

Lambauer, Barbara, « D’une “dureté douce pour le futur” : le terrorisme selon l’Allemagne nazie et sa répression », dans Mireille Delmas-Marty et Henry Laurens (dir.), Terrorisme. Histoire et droit, Paris, CNRS Éditions, 2010, p. 89-162.

Lieb, Peter, Konventioneller Krieg oder NS-Weltanschauungskrieg ? Kriegführung und Partisanenbekämpfung in Frankreich 1943/44, Munich, Oldenbourg, 2007.


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