Si, depuis l’Antiquité les hommes et les femmes essaient de contrôler les naissances, comme en témoigne l’ouvrage grec Maladies de femmes de Soranos d’Éphèse (iie siècle avant J.-C.), cette pratique ne se généralise qu’à partir du xviiie siècle en France et du xixe siècle dans le reste de l’Europe, pour être alors perçue comme un choix légitime. La baisse de la natalité qui survient au xixe siècle n’est ainsi pas due au développement du célibat et à la hausse de l’âge moyen au mariage, comme ce fut le cas dans le passé, mais à la limitation des naissances pratiquée au sein des couples mariés. Le contexte dans lequel elle se produit est pourtant plutôt hostile puisque l’Église, les médecins et les responsables politiques s’opposent alors à toute forme de limitation des naissances. Dès 1803, l’avortement est condamné en Grande-Bretagne dans le Lord Ellenborough’s Act, un exemple suivi par de nombreux autres pays d’Europe : en France dans l’article 317 du Code pénal de 1810 et dans l’Empire allemand en 1871 (Strafgesetzbuch, paragraphes 218, 219, 220). Cette position des états européens peut surprendre, car l’économiste anglais Thomas Malthus (1766-1824) avait au contraire mis en avant, dans son Essai sur le principe de population paru en 1798, la menace que la croissance démographique représentait à ses yeux pour la prospérité économique. Mais le fort essor démographique de la deuxième moitié du xixe siècle s’accompagne d’une baisse de la fécondité et d’une émigration massive, qui font craindre un affaiblissement politique, économique, et plus encore militaire. Surtout, autoriser des moyens de limitation des naissances reviendrait à dissocier l’acte sexuel de la conception, ce qui est inacceptable pour de nombreux représentants politiques comme pour l’Église.
Comment alors expliquer la généralisation des pratiques de limitation des naissances ? La diffusion de moyens de contraception mécanique, comme le préservatif, ne joue qu’un rôle mineur, ceux-ci étant réservés à une petite élite, en raison de leur coût. On estime ainsi à 16 % seulement la proportion de couples anglais mariés utilisant des moyens de contraception mécaniques avant 1910. Les principaux moyens utilisés restent longtemps le retrait et l’abstinence périodique et, en cas d’échec ou de non-recours à ces méthodes, ce qui est fréquent dans les classes populaires, l’avortement.
Si la limitation du nombre de naissances survient au xixe siècle le plus souvent dans le contexte de l’industrialisation, elle apparaît avant tout comme un facteur d’ascension sociale : elle permet d’améliorer le niveau de vie du ménage et les chances de la nouvelle génération. S’impose ainsi progressivement l’idée que c’est aux parents de travailler pour leurs enfants et non l’inverse. En d’autres termes, l’apport des enfants n’est plus d’ordre économique, mais émotionnel. Or nul besoin d’une famille nombreuse pour satisfaire ce désir.
En d’autres termes, la maîtrise des naissances s’explique notamment par l’évolution des mentalités. C’est la raison pour laquelle elle se développe d’abord en France, pays qui se distingue moins par son niveau économique, que par ses mouvements intellectuels et un niveau de sécularisation avancé.
Les idées néo-malthusiennes gagnent en audience, portées par des représentants peu nombreux mais efficaces dans la diffusion de leurs idées, comme Annie Besant (1847-1933) et George Bradlaugh (1833-1891) en Grande-Bretagne. L’économiste suédois Knut Wicksell (1851-1926) estime ainsi qu’un ménage devrait avoir un nombre d’enfants correspondant à ses moyens financiers. Contrairement à Thomas Malthus, favorable à une régulation de la population par le développement du célibat et le report du mariage, les néo-malthusiens prônent le recours aux méthodes contraceptives, véhiculant par là une autre représentation des relations entre époux, incluant une notion de sentiment amoureux et de plaisir, jusque-là absente de la représentation du mariage.
Pour autant, la plupart des pays d’Europe maintiennent la pénalisation de l’avortement et l’étendent aux méthodes contraceptives, une approche qui se renforce à l’issue de la Première Guerre mondiale en raison des importantes pertes humaines subies. La loi du 31 juillet 1920 condamne ainsi, en France, la vente et la diffusion d’informations sur les méthodes anticonceptionnelles. Seule l’Union soviétique libéralise l’avortement en 1920, une expérience qui prend fin dès 1936.
Ce durcissement n’empêche pas l’avortement de se développer, en particulier dans les pays touchés par la crise de 1929. On estime ainsi à un million le nombre d’avortements par an en Allemagne entre 1930 et 1932, soit autant que de naissances. C’est la raison pour laquelle les politiques s’assouplissent dans de nombreux pays d’Europe, dans un souci de santé publique, l’accent étant mis sur la protection de la maternité et de l’enfance. Cela se traduit par des réformes, comme l’abrogation en Suède en 1938 de la loi anti-contraceptive de 1910, ou par une application moins stricte des législations, comme en Allemagne sous la République de Weimar. Dans la conférence de Lambeth, l’Église anglicane autorise en 1930 le recours à la contraception dans le cadre du mariage, une décision non contraignante, mais d’une grande portée symbolique.
Le baby-boom, qui se généralise en Europe après la Seconde Guerre mondiale, relègue au second plan la crainte d’une dépopulation. L’Union soviétique libéralise alors de nouveau l’avortement en 1955, un exemple repris progressivement par l’ensemble du bloc de l’Est, mais qui s’achève avec la fin du baby-boom. Néanmoins, en raison de sa généralisation avant même l’apparition de la pilule, l’avortement a toujours joué un rôle important dans la régulation des naissances dans l’Est de l’Europe et continue de le faire aujourd’hui.
Dans l’Ouest de l’Europe, l’avortement reste longtemps illégal, mais la pilule fait son apparition dans les années 1960, provoquant une véritable révolution contraceptive. L’Allemagne est le premier pays d’Europe à la légaliser, dès 1961. La France suit en 1967, avec la loi Neuwirth (décrets d’application, en 1971), suscitant de vives critiques de la part de l’Église catholique. Dans l’encyclique Humanae Vitae, publiée le 25 juillet 1968, le pape Paul VI condamne explicitement la contraception. Une prise de position qui n’empêche pas la diffusion de la pilule.
L’essor de la pilule renforce le débat sur les moyens accessibles en cas d’échec, notamment l’avortement, suscitant une nouvelle opposition entre les gouvernements et les comportements dans la population – le taux de recours à l’IVG restant élevé. Avec le développement des mouvements féministes dans les années 1960 et 1970, plusieurs pays reconnaissent le droit à l’avortement, comme la Grande-Bretagne avec l’Abortion Act de 1967. En France, avec le manifeste paru en France le 5 avril 1971 de 343 femmes reconnaissant avoir avorté, les femmes expriment le souhait de pouvoir disposer librement de leur corps et de choisir le moment d’avoir un enfant. En 1974, la loi Veil autorise enfin l’interruption volontaire de grossesse en France. D’autres États maintiennent cependant des législations restrictives, comme l’Irlande, l’Allemagne ou la Pologne, amenant les femmes, qui en ont les moyens, à se rendre dans un pays voisin pour interrompre une grossesse.
Ces différences d’un pays à l’autre se retrouvent également dans les pratiques contraceptives. Parmi les femmes vivant en couple, le recours à des moyens modernes va en 2013 de 28 % en Pologne à 84 % au Royaume-Uni, pour des méthodes tout aussi variées (pilule, stérilet, implant, patch, etc.).
S’il était et reste toujours pour beaucoup un moyen pour limiter le risque de déclassement social, le contrôle des naissances devient pour les femmes un moyen de liberté et d’indépendance. De fait, une fois le processus engagé, on constate qu’aucun pays d’Europe n’est revenu en arrière. La régulation des naissances est devenue une pratique à laquelle les politiques se sont progressivement adaptées.
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